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la pièce. C'est l'expression réelle de ce genre d'ouvrages scéniques, qui ne sont ni comédies, ni drames, mais qu'on pourrait nommer comédies tristes ou drames gais; genre équivoque dont l'ancien répertoire fournit peu de modèles, et qui tend, comme nous l'avons déjà indiqué, à passer de nos scènes secondaires sur le théâtre de premier ordre, avec les modifications commandées par un goût plus difficile et des ambitions plus élevées.

L'auteur a été secondé merveilleusement par les comédiens; l'ensemble de cette représentation ne laisse rien à désirer. Provost, ce grondeur de bonne compagnie; Geffroy, cette intelligence distinguée servie par le talent, ont joué sans reproche les rôles d'Hervet et de Vernange. Mine Desmousseaux est, comme toujours, au-dessus de tout éloge. Me Mélingue, sans sortir de la saine et noble comédie, a composé avec sentiment le rôle difficile de Me de Vernange. Il nous a semblé que Riché, dont les progrès scnt sensibles, confond un peu les valets modernes avec ces Frontins et ces Lafleurs d'autrefois qui parlent librement et regardent le maître en face. Le laquais, aujourd'hui, est humble et réservé, ce qui ne l'empêche pas d'être sournois sous la politesse obséquieuse.

L'un des bruits importans de la quinzaine a été la reprise de Marie Tudor à l'Odéon. Ce drame de M. Victor Hugo renferme, on le sait, l'un des plus beaux dénouemens que l'on trouve dans le théâtre moderne. La réunion de Mines George et Dorval avait stimulé la curiosité. Nous avons constaté, cette fois encore, dans l'attitude bienveillante de l'auditoire, une absence complète de parti pris en littérature, symptôme étrange dont toutes les écoles littéraires peuvent s'emparer comme d'une approbation trompeuse. Cette indifférence peut servir à quelque chose. Si tous les genres sont bien accueillis à l'Odéon, la grande querelle serait donc là du moins terminée, et nous jouirions entin quelque part du règne de cette loi qui ne proscrit que le genre ennuyeux. Mais, pour asseoir nos convictions, attendons quelque nouvel orage; jusque-là, ces vagues capricieuses ne donnent pas la juste mesure de leurs fureurs. Le Pseudonyme de feu Camille Bernay est une bluette en un acte que nous n'analyserons pas, soit à cause de son peu d'importance, soit en raison du respect qu'on doit aux morts. Camille Bernay promettait un poète distingué à la littérature, mais plusieurs de ses ouvrages auraient eu besoin d'être revus par lui; l'âge et l'expérience lui eussent inspiré d'en refaire ou d'en supprimer quelques-uns. Nous devons toutefois mentionner dans le Pseudonyme les tentatives de cet écrivain vers la comédie, qu'on oubliait de son temps, et qu'on cherche à réhabiliter aujourd'hui. Rien ne prouve plus en faveur des poètes que cette prescience qui les fait courir, sentinelles intrépides, en avant de tous les mouvemens contemporains.

Pendant que M. Bayard fait de la comédie moderne, l'académicien M. Ancelot fait jouer des comédies historiques, c'est-à-dire des comédies à cos

tume espagnol. Un bon directeur s'identifie tellement avec tous les ouvrages qu'il a reçus, il y met tant du sien, qu'en de certaines occasions l'ouvrage lui devient commun avec l'auteur, il entre pour ainsi dire en collaboration sans le vouloir; il peut dire notre pièce, ma pièce, et cela semble tout naturel. Paris bloqué, dont l'auteur nommé est M. Maurel-Duperré, ressemble à s'y méprendre non pas seulement à une pièce mise en scène par M. Ancelot, mais à un vaudeville qu'il aurait fait lui-même. En voyant paraître ces trois actes au moment où une rupture avec la société des auteurs paraissait imminente, on eût dit le premier quartier de roche lancé par un directeur quelque peu titan vers l'Olympe auquel il voudrait tenir tête.

Figurez-vous un étalage de portraits historiques, des vertubleu, des par la sambleu, des moustaches tortillées dans tous les sens, un luxe de chroniques prétendues scandaleuses sur MM. de Turenne, de Condé, sur le Mazarin, ce ministre infortuné qui ne s'attendait pas, lorsqu'il s'écria : Qu'ils chantent! à être chanté de la sorte sur le théâtre de M. Ancelot. Il est tout simple que l'illustre immortel se soit passionné pour des détails si neufs, si peu connus, pour la peinture d'une époque aussi peu exploitée que la fronde! En un mot cet enthousiasme pour l'histoire de France ne messied pas à l'auteur de Marie de Brabant; mais M. Maurel-Duperré, l'auteur nommé, n'avait pas les mêmes raisons pour choisir ce sujet lorsqu'il y en a tant d'autres. On dira peut-être qu'il n'y a pas de sujet dans Paris bloqué, ou, pour mieux dire, qu'il n'y a qu'un titre dans cette pièce, nous voulons bien le croire, et cela redouble notre admiration pour M. Ancelot, dont l'imagination ardente a cru voir tant de choses là où il y en avait si peu. Cela rappelle un peu le fameux proverbe dans lequel un homme qui veut écrire une comédie se figure avoir trouvé un sujet magnifique et envoie pour scenario à son collaborateur cette seule phrase: Ah! mon Dieu! je crois que ma cuisinière me vole! Puis il ajoute : La pièce est toute faite, et quelle pièce! ce sera pour en mourir de rire. Ainsi M. Ancelot, ruminant cette idée : Paris bloqué, répétait à tout venant : Idée monstre! canevas monstre! titre monstre! Il n'y manquait que le mot : Succès monstre! mais personne ne l'a dit. Du reste, M. Ancelot a traité M. Maurel-Duperré comme s'il se fût agi de lui-même, directeur et académicien. On retrouvait à cette première représentation les intrépides mains qui semblent se multiplier dans tous les coins de la salle aux beaux jours des pièces de Mme ou de M. Ancelot. Il y a un public étrange et inconnu qu'on ne voit au Vaudeville que ces soirs-là, public bouillant d'enthousiasme qui sans doute suit les représentations de M. ou de Me Ancelot par amour pour l'art, et qui fait à leurs pièces le premier jour un succès de délire. M. Ancelot a procuré ce même auditoire à M. Maurel-Duperré; aussi la pièce a-t-elle obtenu à la première représentation le même succès de délire. Il n'est pas jusqu'à certaines réclames inféodées à l'administration du Vaudeville qui n'aient déployé pour le jeune auteur ce luxe d'encens dont M. et Mme Ancelot respirent seuls ordi

nairement la vapeur enivrante. On y parle de mots pétillans qui décèlent une main habile, absolument comme lorsqu'il s'agit de cette main habile dans laquelle sont tombées, comme vous savez, ces fameuses rênes du théâtre de la Bourse. Mais les efforts de cette main exercée n'ont pas empêché les trois actes du vaudeville nouveau d'être mortellement froids et ennuyeux. Cette pièce aura été composée pour servir de pendant à Madame Roland, c'est la même école; un cours d'histoire mis à la portée de gens qui veulent se réjouir modérément après leur dîner.

M. Ancelot n'a pas encore signé le traité que lui imposent les auteurs associés, mais on voit qu'il est en mesure de faire la guerre, et Paris bloqué n'est pas le seul échantillon de ses moyens de défense. Une autre pièce en un acte, la Veille du Mariage, de M. Émile Vernisy, avait précédé l'ouvrage important. Ce vaudeville non historique a l'avantage sur son successeur d'être moins long et moins protégé par les amis de M. et de Mme Ancelot. Toutefois, il n'est pas meilleur. On eût dit que le Vaudeville était déjà frappé de l'interdit, et que les auteurs appelés au secours de M. Ancelot refaisaient déjà les pièces de l'ancien répertoire absolument comme au Gymnase. La Veille du Mariage est une épreuve, non pas nouvelle, mais assez connue, que se font subir mutuellement deux jeunes fiancés. L'amour sort vainqueur de part et d'autre, on se marie. Sans le jeu spirituel de Laferrière, cette épreuve eût été bien fâcheuse pour l'auteur devant le public. Mais M. Ancelot a pour se consoler la perspective de cent soixante représentations par an qui lui sont concédées par la société des auteurs pour ses pièces ou celles de Mme Ancelot. Quant à celles de M. Maurel Duperré, le nombre n'a pas été limité, l'année renferme trois cent soixante-cinq jours.

Aux Variétés, théâtre que rien ne menace, un autre inconvénient se présente, et se présente souvent. On sait que la troupe avait besoin d'être renouvelée; elle l'est trop. Les débuts se succèdent, et avec eux, à cause d'eux, les pièces. Or, comme jamais un débutant n'est sûr de réussir, et que les auteurs de vaudevilles craignent fort de compromettre leur réputation de gens d'esprit, ils ne donnent aux débutans que des pièces toutes compromises. Marjolaine, vaudeville en un acte, représente un de ces sacrifices. MM. Dennery et Cormon ont consenti à confier ce rôle à une jeune personne nommée Mlle Valence. Cette jeune actrice s'est chargée de faire réussir la pièce, l'administration s'est chargée de faire réussir l'actrice, tout a été pour le mieux, et une pluie de fleurs pour Mile Valence, de lauriers pour M. Dennery a composé le plus gracieux tableau final qu'un vaudevilliste puisse rêver. Aussi M. Dennery, fatigué de tant de gloire, est-il parti pour l'Italie. Heureusement M. Cormon nous reste!

Le Gymnase a enfin rencontré sinon un succès, du moins une pièce inté

ressante. Madame Boudenois sort, quant à la forme et quant à l'invention, de ce malheureux cercle de banalités où tournaient fatalement les auteurs rares et épuisés qui travaillent, c'est-à-dire qui luttent depuis si long-temps pour M. Poirson. Cette Madame Boudenois, créée par M. Fournier, ne serait déplacée sur aucun théâtre. Ses malheurs sont intéressans, les péripéties du petit drame dans lequel elle joue le premier rôle sont saisissantes et combinées avec art. Mariée fort jeune, séparée bientôt de son mari qui la trompe pour voler à d'indignes amours, elle devient veuve, ou plutôt se croit veuve, à la nouvelle du naufrage et de la mort de M. Boudenois. Réduite à une fortune plus que modeste, retirée dans un quartier désert, elle cherche à vivre tranquille, sinon heureuse. Le souvenir d'un indigne époux, la honte du scandale causé par ses folies, la gêne de ce nom qui est fort compromis s'il n'est pas déshonoré, lui font une loi de se cacher à tous les regards; elle veut oublier en se faisant oublier de tous. Mais bientôt un nouvel amour ranime la cendre mal éteinte de ce pauvre cœur. Un jeune avocat, Edmond Desroches, parvient à se faire comprendre, à se faire aimer de Delphine. Un seul obstacle pourrait encore s'opposer à leurs vœux, Edmond dépend de son oncle, vieux magistrat inflexible quand il s'agit de convenances et de point d'honneur. Si Delphine déplaît à M. Desroches, tout est perdu; mais au contraire, le juge sévère a reconnu tout ce qu'il y a de graces, de délicatesse, de vertus chez la fiancée de son neveu; il consent, les amans vont être unis. Tout à coup une catastrophe éclate, terrible, imprévue: M. Boudenois n'était pas mort, et il revient près de sa femme.

On voit qu'il y a là tous les élémens d'une jolie pièce. M. Fournier a dévidé courageusement cet écheveau très embrouillé. M. Boudenois, qui se cachait sous le nom de Morris pour éviter la poursuite de ses créanciers peu rassasiés par l'annonce de sa mort, ce mari plus que volage redevient un amant tyrannique. Il parle d'emmener sa femme, et cette affreuse idée ne saurait être combattue ni par la triste veuve ni par son fiancé au désespoir. Mais M. Morris Boudenois n'a pas encore perdu tout sentiment d'honneur, il se résigne au sort qu'il s'est fait lui-même, il abdique encore une fois Boudenois pour Morris, abandonne derechef sa femme, qui cette fois le remercie, et retourne dans le Brésil à certaines amours qu'il eût volontiers sacrifiées à Mme Boudenois désormais Mme Desroches.

Le personnage de ce mari n'était pas d'un dessin facile. Pour peu que les tons eussent été fermes, le fugitif tournait au sacripant. L'auteur doit beaucoup à l'acteur Tisserand, dont la souplesse et le bon goût sauvent ce rôle de l'odieux qu'il effleure à chaque instant. Quant à Mme Volnys, elle nous a paru manquer de jeunesse et d'agrément. Le rôle de Delphine lui pèse, elle le porte avec une sorte de gêne qui paralyse ses excellentes qualités.

Faut-il que nous parlions d'une pièce qui n'a presque pas été jouée au Palais-Royal?-Les Ames en peine sont un vaudeville très souffrant auquel

nous devons la légère compensation d'une oraison funèbre. La plus incroyable déraison, la stérilité la plus disgracieuse, ont révolté le public, d'ordinaire si indulgent, qui fréquente le théatre du Palais-Royal. Cette exhibition d'une métempsychose toute particulière a changé les auditeurs en tigres, ou en serpens siffleurs. On a sifflé, puis on a rugi; sifflé parce que la pièce se jouait, rugi parce qu'elle ne se jouait plus et que le rideau s'était abaissé avant la fin du deuxième acte. Alors les tigres ont redemandé la proie qui leur échappait, ils l'ont redemandée et reprise au commissaire lui-même; puis ils se sont changés de nouveau en serpens. Voilà la seule métempsychose que nous ayons clairement distinguée dans cette singulière représentation. Le bruit courait, au foyer, que les auteurs de cette folie si maltraitée étaient MM. Mélesville et Carmouche, et ce bruit n'a pas été démenti, bien qu'après la pièce, qui s'est traînée jusqu'à la dernière scène, on n'ait pas même proclamé le pseudonyme d'usage en pareil cas.

Les protocoles ne sont pas encore terminés entre M. Dormeuil et Mlle Déjazet. Le plus grand secret préside à ces négociations toutes diplomatiques. En attendant que cet engagement important soit signé, le directeur du Palais-Royal a enlevé au Gymnase une de ses actrices favorites: Mile Nathalie quittera le boulevard Bonne-Nouvelle au mois d'avril prochain.

A. M.

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