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prétend pas non plus, mais si nous retrouvons dans le Laird de Dumbicky quelques-uns des défauts de l'auteur, nous y voyons en revanche briller > toutes ses qualités. Le deuxième acte renferme des scènes d'un comique entraînant, le style en est fin et d'une bonne touche. Outre le rôle spirituel du laird et l'étourdissante odyssée de son oncle David Mac-Mahon de Susquebauch, il y a le rôle de Cheffeneck, étrange personnage que nul peut-être sinon l'auteur n'eût eu l'adresse de conduire sans périls jusqu'au bout de la pièce. Le rôle de Nelly renfermait mille écueils à travers lesquels M. Alexandre Dumas a dû manœuvrer bien difficilement, car cette femme rusée qui mène toute l'intrigue ne fait qu'apparaître, jeter un mot à la hâte, et s'enfuir de peur d'être aperçue. Cette difficulté, vaincue avec tant d'habileté, peut avoir échappé au public, mais il en résultera beaucoup d'honneur pour l'auteur dans l'opinion des gens de l'art. La pièce a été jouée avec assez d'ensemble. M. Pierron, qui avait rempli le rôle d'Henri III de manière à laisser concevoir quelques espérances, n'a fait preuve d'aucune souplesse et d'aucune élégance dans celui de Buckingham. Monrose a composé le rôle du jeune laird écossais avec une simplicité de bon goût qui double le mérite de son comique. Alexandre Mauzin a su éviter tous les dangers du personnage de Cheffeneck. Quant à M. Milon, c'est toujours la même afféterie, la même tenue de province. Mile Bourbier a imprimé au rôle de Nelly une certaine distinction.

Puisque nous en avons fini avec l'Odéon, qui comble de représentations tous les auteurs dramatiques, et leur offre des palmes toujours prétes, examinons la situation de ce pauvre théâtre du Vaudeville, dont le directeur académicien lutte tant qu'il peut à l'effet d'obtenir pour les auteurs le moins de représentations possible. L'interdit lancé par la société des auteurs dramatiques contre le Gymnase est suspendu sur la tête de M. Ancelot, peutêtre est-il déjà tombé à l'instant où nous écrivons ces lignes. La question est simple, mais celles-là s'embrouillent plus vite que les autres. On sait que, pour prévenir les abus qui résultaient de la prétendue collaboration des directeurs avec leurs auteurs, collaboration trop souvent imposée, la commission dramatique interdit cette ressource aux uns et aux autres dans ses traités avec les directeurs. La même défense s'applique aux principaux employés des théâtres. Mais puisque les auteurs ont ainsi maintenu partout leurs droits contre l'envahissement des pièces de directeurs, pièces éternelles et renaissantes comme les têtes de l'hydre de Lerne, n'ont-ils pas dû s'effrayer de voir le répertoire de Mme Ancelot prendre racine au Vaudeville à l'ombre d'un privilége trop personnellement exploité en partie double? Ne se sont-ils pas aperçus comme nous des Hermance, des Marguerite, des Loisa, et des Madame Roland, qui pullulent place de la Bourse Sous la raison sociale M. Ancelot et Mme Ancelot? Ils ont done essayé de mettre un frein à la fureur de ces vaudevilles qui accompagnent quand même les pièces à succès d'auteurs étrangers, pour en partager les recettes. Cela est dans leur droit bien plus que les droits d'auteur de Mme Ancelot ne

sont dans le privilége de l'académicien, son directeur et son époux. Indè iræ. M. Ancelot veut plaider. Nous ne le lui conseillons pas.

Mais laissons aller cette affaire jusqu'où l'aveugle folie de l'amour-propre et de la cupidité coalisés voudra la conduire. Le directeur, s'apercevant qu'on lui reprochait de jouer trop peu de pièces, en a joué deux à la fois, et selon l'habitude, l'une des deux a succombé. Règle générale, de deux chefsd'œuvre représentés le même soir, l'un ne peut manquer de tomber. Mille exemples prouveront cette assertion. Le doute ne peut subsister que sur ce point est-ce la première, est-ce la dernière des deux pièces qui tombe? Celle qui est restée sur le champ de bataille au Vaudeville s'appelait les Paysans d'aujourd'hui. Les noms de MM. Duvert et Lausanne ont été accueillis par d'énergiques sifflets. Mais cette chute doit, dit-on, donner lieu à un procès, et l'on prétend que les auteurs s'inscrivent contre l'arrêt du public, espérant, toujours d'après les on dit, prouver que le public n'était pour rien dans cette affaire. Cette complication pourrait embarrasser beaucoup M. Ancelot dans un moment où les auteurs dramatiques contestent sa bienveillance pour tous les ouvrages qui ne sont pas signés de Mme Ancelot.

L'autre pièce a réussi. L'Idée du Médecin de MM. Armand et Achille Dartois n'est pas ce qu'on appelle une bonne idée d'auteur; mais le jeu spirituel de Bardou compense les défauts de l'ouvrage.

En passant au théâtre des Variétés, nous allons entamer forcément la série des revues que tout théâtre de vaudeville croit nécessaire d'offrir à ses abonnés vers l'époque des étrennes. On voit alors les directeurs s'observer mutuellement pour se piller entre eux sans être pillés, chose difficile et à laquelle ils ne réussissent pas plus les uns que les autres. Qui voit l'une de ces revues les voit toutes. Le roi des îles Marquises, le petit Cid et la petite Chimène, dom Sébastien de noir tout habillé, la comète, oh! la comète surtout, remplissent, avec les cigares renchéris et l'Odéon, le carquois d'où ces messieurs les faiseurs de revues tirent leurs flèches épigrammatiques. Si les beaux esprits se rencontrent quand ils n'ont pas de motifs pour cela, ils se rencontrent encore bien plus ayant des raisons pour se rencontrer. Seulement les couplets peuvent être plus ou moins épicés, les ressemblances plus ou moins réussies. Et puis c'est un grand point de savoir si le public aimera mieux voir défiler toute son année passée dans une comète que dans les îles Marquises, dans les états du prince de Gerolstein ou dans la lune. MM. Dumanoir, Dennery et Clairville ont.choisi la comète. Leur pièce s'appelle Paris dans la comète. Il est inutile de savoir si elle a réussi, ces sortes d'ouvrages n'ont pas plus de mérite ici que là. Jamais d'ailleurs ils ne plaisent dans toutes leurs parties, et ils plaisent toujours par quelque endroit. Seulement, aux Variétés l'on trouve ce qui n'est nulle part, le jeune Fouyou, qui semble une tête de troupe fort distinguée auprès de ses grands camarades.

Quelles ressources, quelle activité prodigieuse M. Poirson n'a-t-il pas déployées dans la rude campagne qu'il a tenue contre les auteurs dramati

ques! Que de fois n'a-t-il pas dû souhaiter de pouvoir faire à lui seul ses pièces, comme il rédigeait ses factums et les notes de ses avocats! Mais la guerre touche à sa fin, et les vainqueurs doivent avoir conçu bien de l'estime pour les talens de leur ennemi encore redoutable. M. Poirson a ressaisi son sceptre de directeur, et le voilà de rechef en quête de succès. Chose bizarre, pas une de ces pièces qu'il a si péniblement recueillies n'a éprouvé de lourde chute, beaucoup ont réussi honorablement, pas une n'a obtenu un succès hors ligne. Cependant la provision s'épuise, nul n'est venu partager les travaux de MM. Fournier, Auvray, de Premaray. M. Lemaitre, appelé à la rescousse, refait les pièces de l'ancien théâtre dans l'impossibilité où il se trouve apparemment d'en faire de nouvelles, mais comme le public est peu érudit, Marivaux le fait rire et l'amuse. Au moins M. Poirson a-t-il un bon public s'il a de mauvais auteurs et de mauvaises pièces. Angélique ou l'Epreuve nouvelle, bien qu'imitée un peu hardiment de Marivaux, ne laisse pas d'être une fort jolie pièce que Mlle Rose Chéri joue d'une façon ravissante. Du reste M. Lemaitre n'a point essayé de pallier son larcin, il a tout simplement laissé aux personnages leur habit, leur nom, et ne leur a pris que leur langage et leurs actions. C'est de l'histoire appliquée à la production dramatique. Mais pourquoi ne se permettrait-on pas de semblables licences dans un théâtre où il y a pénurie de pièces, quand on vole impudemment dans les théâtres qui ont répertoire, recettes et le reste? Toutefois le même M. Lemaitre a tort d'oublier le non bis in idem et de réitérer son heureuse audace. Les choses répétées deux fois de suite ne plaisent pas toujours, et nous regrettons qu'il n'ait pas attendu quelques semaines pour faire représenter son Cadet de Famille, autre imitation non moins hardie d'une pièce intitulée Jules ou il n'y a plus d'enfans. Nous aimerions beaucoup, pour l'avenir du Gymnase et pour celui même de l'imitateur, qu'il eût imaginé seul et exécuté sans précédens collaborateurs ce vaudeville qui ne manque pas d'agrément ni de verve, et que les acteurs ont rendu avec un talent digne d'une meilleure cause; car il reste à M. Poirson un mérite incontestable, celui d'avoir formé une troupe excellente. Là seulement il n'a pas été entravé.

Le Gymnase a joué cette année trois pièces de plus que le théâtre du Palais-Royal, et si l'on voulait examiner sainement les choses, on trouverait peut-être que les pièces de M. Poirson valent au fond celles de M. Dormeuil; mais la différence des genres a produit la différencé des succès. Le Palais-Royal possède aussi une troupe choisie, acclimatée, adorée de son public, et qui n'a qu'à se présenter pour faire rire, tandis que l'on se montre fort difficile envers des comédiens qui tâchent de faire pleurer. Et puis, on dirait que l'excommunication lancée sur le Gymnase a fait de ce théâtre un lieu redoutable et maudit, tandis qu'au Palais-Royal on arrive avec des dispositions toutes riantes, sous l'influence des idées les moins littéraires, ou, pour mieux dire, avec le plus profond dédain de toutes les littératures.

Nous appuyons cette petite théorie d'un exemple: les Mémoires de deux jeunes mariées, vaudeville en un acte de MM. Dennery et Clairville, ressemblent, par l'allure et la forme, à ces jolies petites pièces du Gymnase non interdit, qu'on appelait par spécialité genre gymnase. Joué aujourd'hui au boulevard Bonne-Nouvelle, ce vaudeville eût passé tristement, comme la plupart des ouvrages qui s'y jouent; mais au Palais-Royal, bien que mal interprété par les trois acteurs qui y figurent, il a fait plaisir. Cette pièce aussi est une imitation un peu libre, non pas d'une seule pièce, mais de cinq à six autres, la Seconde année, par exemple. Un mari sur le point d'être trompé se tire habilement d'affaire, et transporte au compte de son rival l'infortune que celui-ci lui préparait. Quelques mots un peu grivois, c'est-à-dire trop grivois, rendent la saveur de ce petit plat plus amère que piquante. Le sel est un ingrédient dont l'emploi est plus dangereux qu'on ne pense.

Après cette petite excursion, faite par le Palais-Royal sur les terres du Gymnase, est venue l'Invasion de Grisettes, autre emprunt forcé que MM. Varin et E. Arago ont cru pouvoir faire impunément à M. Paul de Kock, l'Homère des grisettes et des parfumeurs. Il faut, malgré tout, qu'il y ait du Paul de Kock dans ce pèlerinage de six grisettes qui cherchent une de leurs compagnes par toute la banlieue, y compris les bois et les champs de groseilles. Cette compagne est séquestrée par un tuteur jaloux, jaloux et amoureux. Le tuteur n'a pas trente ans; il a beaucoup vécu à l'estaminet, et voyagé autour des billards publics et des bals champêtres; ne reconnaissez-vous pas là un M. Jean ou tout autre héros de M. Paul de Kock? Puis, la grisette séquestrée a une sœur qui fut séduite par un architecte, lequel lui offre douze livres de réparations par mois : cette figure n'est-elle pas aussi de votre connaissance? Bref, le tuteur prend l'architecte pour le séduc teur de sa pupille, l'architecte croit la pupille éprise de lui, les compagnes de la grisette bernent architecte, tuteur, etc. Que vous en semble? Si la critique pouvait s'arrêter sur des ouvrages d'une si frêle constitution, nous dirions que, pour un vaudeville intrigué, celui-ci est mal fait, et que plusieurs situations, comiques dès l'abord, avortent dans le développement par la maladresse des auteurs; mais, encore une fois, constatons, ne commentons pas.

Le Palais-Royal aussi a eu sa Revue, et comme MM. Cogniard avaient pris les Iles Marquises, les Variétés la Comète pour terrain de leur grande parade critique, MM. Bayard, Dumanoir et Varin ont choisi la cour du prince de Gerolstein. Peut-être n'ont-ils pas eu tort. La présence continuelle de M. Grassot sous la perruque du fameux Rodolphe, une exhibition publique des talents mystérieux du prince, tels que pugilat, boxe et adresse, toutes ces pasquinades n'ont pas été moins heureuses que celles des autres théâtres. En fait de critique, nous ne sommes pas difficiles; puissent les théâtres nous rendre la pareille! Dans l'énumération des principaux évènemens littéraires

et sociaux de l'année 1843, tous représentés par une caricature hardie et accompagnés d'une explosion de grosse joie, nous avons vu avec un sentiment de répulsion très fondée apparaître l'expression d'une douleur trop réelle comme un sévère et religieux fantôme au milieu des masques profanes. Nous voulons parler des vers qu'une actrice est venue réciter à propos de la mort de Casimir Delavigne. La transition a paru bien brusque, elle a dû effaroucher bien des rires, une simple allusion suffisait. Les auteurs n'ont pas fait preuve de goût en prolongeant leur trop douloureuse élégie.

Nous voilà maintenant en règle avec les théâtres de Paris. Il nous reste à constater le succès d'une pièce fort pittoresque, le Vengeur, qui depuis quelque temps déjà attire la foule, sinon par une belle prose et une forte intrigue, du moins par de magnifiques décorations et une admirable mise en scène; et puis il se fait dans cet ouvrage amphibie, car l'action se passe autant sur terre que sur mer, une effroyable consommation d'ennemis de la France, ce qui n'est pas d'un mince intérêt pour quiconque se plaît à voir du fond d'une bonne loge l'éclair du canon, la houle de l'Océan, et la tempête majestueuse d'une grande bataille navale. Le tumulte a été combiné de façon à ce qu'aucune phrase ne puisse être distinctement perçue. MM. Laloue et Labrousse sont les auteurs du poème.

A. M.

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