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l'expérience. Sans nous jeter dans les bras de l'Angleterre en gens qui semblent s'estimer trop heureux de trouver quelque part prévenance et politesse, marchons dans les voies de cette alliance avec sagesse, avec calcul. Ce qu'on peut reprocher au discours de la couronne, ce n'est pas d'exprimer le désir et la pensée de l'alliance avec l'Angleterre, mais c'est peut-être, dans cette expression, de manquer de mesure. Nous ferons d'autant plus d'impression sur l'Angleterre par nos discours et nos actes, que les uns et les autres seront plus empreints de prudence et de réserve.

Il faut distinguer la pensée véritable du gouvernement anglais du langage du Times. La feuille anglaise a pu s'écrier que c'en est fait, que les jours d'éloignement pour l'Angleterre sont passés, et que la politique combinée des deux nations est une fois de plus engagée dans la cause de la paix et de la liberté du monde. M. Peel au fond prend les choses sur un ton moins dithyrambique. Faisons de même, et ne rougissons pas de dire à l'Angleterre: donnant, donnant. Si nous étions plus chevaleresques, elle se moquerait de nous.

Autour de la question de l'alliance anglaise gravitent naturellement toutes celles qui concernent la Grèce et l'Espagne. M. le ministre des affaires étrangères devra faire connaître aux chambres comment et dans quelle mesure la bienveillante attitude de la France a été favorable à la cause de la liberté grecque. Il n'y a point là de secret à garder. M. Guizot pourra, à cette occasion, donner les preuves du bon vouloir de l'Angleterre. Comme nous l'avons déjà remarqué, la Russie a changé de politique; par un brusque revirement, le cabinet de Saint-Pétersbourg a envoyé à M. de Brunow l'ordre de signer le protocole concernant les affaires de la Grèce. Il n'a pas voulu se mettre lui-même en dehors d'un centre politique si important pour l'Orient. Cependant à Athènes l'assemblée nationale proteste qu'elle n'a d'autre pensée que l'affermissement de la liberté intérieure et constitutionnelle, et qu'elle veut le maintien de la paix. Voilà qui pourra répondre aux craintes sincères ou affectées du gouvernement turc.

En Espagne, où l'on nous assure enfin que la France et l'Angleterre n'ont qu'une même politique, les choses marchent étrangement. Il y a deux mois, on semblait s'accorder à penser que le gouvernement représentatif était l'unique salut de l'Espagne; aujourd'hui on ne le considère plus que comme un embarras qu'il faut se hâter d'écarter. Les cortès sont prorogées, ou, comme on dit en Espagne, suspendues. Le ministère s'est décidé à prendre ce parti parce que les interpellations de l'opposition le gênaient. Le ministère fera des lois par voie de décret, et les présentera plus tard à l'approbation des cortès, qui seront dissoutes si elles refusent d'enregistrer les ordonnances royales. Étrange pays! M. Olozaga a été déclaré traître et a été anathématisé parce qu'il a manifesté l'intention de dissoudre les cortès; aujourd'hui, un ministère qu'on dit sans consistance s'embarque dans la même entreprise : il proroge, plus tard il dissoudra. Tout cela est tenté par M. Gon

zalès Bravo, qui débute ainsi dans la vie politique par une série de coups d'état, et qui semble chercher sa force et sa considération en montrant le courage d'un enfant perdu.

On peut cependant reconnaître dans la politique suivie par le ministère espagnol une pensée, c'est de rendre le retour de la reine Marie-Christine naturel et nécessaire Telle est, en effet, la portée de la résurrection de la loi de 1840 sur les ayuntamientos. Puisqu'on met en vigueur la loi même qui avait été le prétexte de l'insurrection contre la reine-mère, il est évident que reprendre ainsi ses erremens et son ouvrage, c'est la rappeler ellemême. Si la loi des ayuntamientos est acceptée par l'Espagne, toutes les incertitudes de Marie-Christine devront se dissiper; elle pourra partir.

Les Espagnols ne sauraient être accusés de pédantisme en matière de mécanisme constitutionnel. Voilà une loi mise en vigueur par un décret, après deux ans et demi d'intervalle; puis le décret abroge un des articles de la loi pour lui en substituer un autre. Le ministère gouverne par ordonnances. Il se propose de promulguer également par décret une loi sur les attributions des députations provinciales. Puis viendra, toujours par forme d'ordonnance, l'organisation du conseil d'état. Voilà bien des licences. Espartero n'en faisait pas davantage, sauf toutefois les bombardements.

Nos chambres, en traitant les diverses questions de politique étrangère, auront à examiner si elles doivent reproduire l'amendement en faveur de la nationalité polonaise. Pourquoi renoncerait-on à cet amendement? L'année dernière, si nous avons bonne mémoire, la commission de l'adresse l'avait inséré spontanément, et pour ainsi dire d'office. Quelques personnes prétendirent, il est vrai, que c'était dans l'intention d'atténuer par ce voisinage la portée du paragraphe sur le droit de visite. Quoi qu'il en soit, les chambres se sont créé elles-mêmes un précédent qu'il nous paraîtrait bien impolitique d'abandonner dans les circonstances où nous sommes. Il est possible, et nos sympathies pour une nation généreuse nous le font sincèrement regretter, il est possible que l'amendement en faveur de la Pologne n'ait pas en luimême une grande vertu; mais ce qu'il faut considérer, c'est la portée fâcheuse que pourrait avoir l'abandon de cet amendement. En effet, ne pas le reproduire, c'est paraître ou faire une concession à la Russie, ou ne pas comprendre l'importance qu'aura dans l'avenir le travail intérieur que font en ce moment les races slaves.

Une concession à la Russie n'est à cette heure, nous le croyons, dans l'intention ni du goût de personne. Le cabinet de Saint-Pétersbourg n'a pas renoncé à afficher une antipathie systématique contre le gouvernement et la dynastie de 1830. Nous n'avons aucun motif de changer à sa considération de ligne de conduite. Ce n'est pas d'ailleurs quand en Allemagne l'esprit public se prononce de plus en plus contre l'influence russe, qu'il serait opportun pour la politique de la France de faire un pas en arrière en renonçant à rappeler les droits de la nationalité polonaise.

Sachons au moins ne rien compromettre des éventualités de l'avenir. Il y a au sein des races slaves une fermentation morale et politique qui doit amener des transformations inévitables. Dans ces révolutions, les enfans de la Pologne ne doutent pas que leur noble patrie aura sa part et sa destinée : patriotique espérance que la France ne saurait vouloir décourager ni compromettre. Continuons donc de faire ce que nous avons fait jusqu'à présent, et, pour nous y déterminer, demandons-nous comment un changement de conduite serait interprété au dehors.

La chambre des pairs se trouve naturellement appelée à prendre l'initiative dans la censure parlementaire qui doit s'adresser aux légitimistes. Le projet rédigé par M. le duc de Broglie contient une phrase qui servira de thème à la discussion. La question de la liberté d'enseignement mérite aussi toute l'attention de la pairie, qui ne négligera pas à coup sûr d'intervenir dès le début dans la discussion avec tout l'ascendant de sa haute expérience. Si l'on pouvait oublier un instant l'extrême importance qui s'attache à la loi sur l'instruction secondaire que le gouvernement doit présenter, les excès toujours croissans de certains organes du clergé la remettraient dans l'esprit aux plus indifférens. On avait dù penser qu'au-delà du chanoine Desgarets il n'y avait rien de possible, et que le libelliste de Lyon devait avoir et garder à toujours la palme du genre injurieux et diffamatoire. C'était une illusion. Le chanoine est distancé, il descend à la seconde place; la première appartient à l'abbé Combalot, qui vient de se signaler par un Mémoire adressé aux évêques de France et aux pères de famille. Qu'en pourrions-nous dire? Un jour, devant l'abbé Morellet, un jeune homme, parlant de certains adversaires des philosophes, s'écriait: Ce sont des bêtes féroces! — Mon ami, repartit tranquillement Morellet, féroces est trop poli.

— Depuis que le canon anglais a ouvert une brèche dans le Céleste-Empire, que de voyages imaginaires n'a-t-on pas faits dans ces régions jusqu'à ce jour impénétrables! que de têtes se sont exaltées par la pensée d'une incursion possible sur cette terre vierge des pas et des regards européens! C'est qu'en effet la Chine recèle depuis bien des siècles des mystères dont on brûle de recevoir les premières révélations. Cette disposition du public suffirait pour expliquer le succès que vient d'obtenir dès son apparition un livre qui porte le titre de la Chine Ouverte (1), si d'ailleurs ce livre, au fond sérieux et complet, gai, piquant et original dans la forme, n'était l'œuvre d'une plume

(1) Chez H. Fournier, 7, rue Saint-Benoît.

également exercée à la critique et à l'invention, d'un spirituel écrivain qui, sous le nom d'Old-Nick, a déjà écrit tant de pages piquantes. Cet ouvrage est orné de nombreuses vignettes dues au crayon d'un artiste qui a fait sur les lieux mêmes tous ses croquis, et qui a pu allier ainsi l'exactitude au talen dont il a donné tant de preuves. La gravure et la typographie ont accompli leur tâche avec le même bonheur dans cette utile et charmante publication.

Un écrivain connu vient de publier, sous le pseudonyme de Paul Smith, un choix d'études sur la vie d'artiste, qu'il a pu observer de près. Ce sujet piquant n'avait jusqu'ici été traité que d'une manière assez incomplète. La vie d'artiste a esercé plus d'une fois la verve de nos romanciers, et presque toujours l'exagération a marqué leurs esquisses d'une fâcheuse empreinte. M. Paul Smith a su éviter l'écueil que nous signalons; on reconnaît en lui un observateur consciencieux, un amateur éclairé, qui possède bien l'histoire de nos théâtres, et qui se montre souvent critique ingénieux en même temps que spirituel historien. Nous reviendrons sur cet ouvrage qu'on peut recommander aux artistes comme un dépôt d'utiles recherches, d'agréables portraits, et d'excellens conseils qui empruntent à la position de l'écrivain toute l'autorité de l'expérience. Les Esquisses de la Vie d'artiste (1), de M. Paul Smith, ne s'adressent pas d'ailleurs seulement aux artistes, elles seront lues par les gens du monde, et nous pouvons ainsi leur prédire un double et légitime succès.

(1) Deux vol. in-8°, chez Jules Labitte, quai Voltaire.

F. BONNAIRE.

NAPLES EN 1843.

IV.'

Le 24 mars dernier, veille de l'Annonciation, j'étais allé le matin voir le lac Fusaro, la prétendue tombe d'Agrippine, et toute cette partie des environs de Naples qui avoisine le cap Misène. Une barque me ramenait le soir à la ville, et, selon mon habitude, je faisais causer ou chanter les rameurs. Au milieu des ruines historiques et des nom romains, ces bonnes gens, n'ayant jamais ouvert un livre, ne con-naissent que les traditions naïves à la portée de leur intelligence, e dans lesquelles ils font figurer Néron, Tibêre ou Lucullus, comme d'anciens propriétaires du château voisin, et patrons de leurs grandspères. Chaque débris de monument a sa légende. On pourrait former de tous ces récits un cours d'histoire récréatif, où l'on verrait quels souvenirs les grands de la terre laissent derrière eux parmi le peuple. Un vieux rameur me racontait une historiette touchant le pont commencé par Caligula, et dont les piliers existent encore. Au dire des marins de Baja, Claude, hésitant à poursuivre l'ouvrage de son prédécesseur, aurait consulté le hasard. A minuit, l'empereur, à table avec ses amis, écouta chanter les coqs de sa basse-cour, et comme les chants furent en nombre pair, désagréable aux dieux, il fut rê

(1) Voyez les livraisons des 12, 26 novembre, et 21 décembre 1843.

TOME XXV. JANVIER.

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