Images de page
PDF
ePub

C'est une enfant. Clotilde avait pris trois années et était devenue femme sans qu'autre chose se développât en elle, que sa froide beauté. Il en résultait que Maurice avait toujours aimé Clotilde comme on aime une sœur.

Tout cet édifice d'heureuse tranquillité avait donc, aux yeux de Maurice, simulé le bonheur. Les convenances respectées à l'égard de sa jeune femme lui avaient valu ce que les gens du monde appellent la considération. Le repos et la vanité l'avaient maintenu dans cet état intermédiaire entre l'ennui et la félicité. Mais du moment où Maurice avait retrouvé Fernande, c'est-à-dire la femme selon ses sympathies, le cœur selon son cœur, l'ame selon son ame, il ne s'était plus inquiété à quel étage de la société il l'avait rencontrée. Il l'avait prise dans ses bras, l'avait enlevée jusqu'aux régions les plus hautes de son amour. Dès-lors les émotions, les mystères, les transports d'une existence nouvelle, avaient répondu aux besoins endormis de son organisation, aux lois secrètes de sa poétique et ardente nature. Tout avait disparu, disparu dans le passé, car le passé était vide d'émotions, et quiconque a traversé la mer oublie tous les jours de calme pour le souvenir d'un seul jour de tempête. Il n'y avait donc plus pour lui de félicité que dans les regards de Fernande à ses yeux, le luxe ne conservait de prix que par le goût exquis dont elle parait toute chose; les arts ne répondaient à sa pensée que par le sentiment qu'elle y attachait; enfin, sa vie même, si pleine à cette heure, lui devenait insupportable à l'instant même, si ce n'était pas à Fernande qu'il la consacrait.

Pour Fernande aussi venait de s'ouvrir une existence plus conforme à ses désirs et à ses volontés. La sainteté d'un amour vrai semblait en quelque sorte la purifier, effacer le passé, rendre à son ame sa candeur native. Fernande chassait tous les souvenirs anciens pour ne pas souiller un avenir dont les promesses la berçaient mollement. On eût dit que par un effort de volonté elle retournait à son enfance pour disposer cette fois les évènemens de sa nouvelle vie d'après les exigences de sa raison; et cette force de vouloir, par laquelle tout prenait un autre aspect, donnait à la fois à sa beauté un charme plus puissant et à son esprit une allure plus vive. Le bonheur de son ame rayonnait autour d'elle, comme la lueur d'un ardent foyer.

Un tel accord de sympathie venait accroître rapidement une passion dont l'un et l'autre ressentait pour la première fois l'impression profonde. Chaque jour ajoutait quelque chose au charme du tête-àtête, au bonheur de l'intimité. Plus ils s'appréciaient l'un l'autre,

[ocr errors]

plus ils se sentaient étroitement unis. Tous deux à cet âge heureux de la vie où le temps qui passe ajoute encore aux graces du corps, ils voyaient dans leur tendresse mystérieuse tant d'heureuses chances. de bonheur, que la source de ce bonheur semblait ne pouvoir pas se tarir. Avec Fernande, l'ame presque toujours dominait les sens et excluait ce culte de soi-même qui use vite le sentiment et qui fait de certaines liaisons un lien si fragile. L'amour, ce feu qui ne brille qu'aux dépens de sa durée, était si chastement couvert sous les ressources du cœur et de l'esprit, qu'il semblait chez ces deux beaux jeunes gens devoir suffire à la durée de toute leur existence. Le temps s'écoulait rapidement, et cependant la jeune femme élégante ne se montrait plus ni dans les promenades ni dans les spectacles. Les plus belles journées d'hiver, ces journées que l'on met si âprement à profit, s'écoulaient sans qu'on aperçût la voiture de Fernande ni aux Champs-Élysées ni au bois. Les spectacles les plus attrayans de l'Opéra et des Bouffes se passaient sans que les regards retrouvassent la loge où Fernande trônait au milieu de sa cour. Elle avait fait de ses heures un emploi si régulier et si complet, qu'il ne lui restait pas un instant à donner aux indifférens de tous les jours et aux flatteurs d'autrefois. Depuis que Maurice était entré dans son appartement, nul n'était plus admis chez elle, aucun n'avait part à sa confiance; nul regard indiscret ne pouvait percer le secret de sa conduite, et dans son ivresse elle laissait la foule s'étonner et murmurer.

- Mon Dieu! que je suis heureuse! disait-elle souvent en laissant tomber sa tête gracieuse sur l'épaule de Maurice et en parlant les yeux à demi fermés, la bouche à moitié entr'ouverte; le ciel a pris mes maux en pitié, cher ami, car il m'a envoyé cet ange, qui est venu trop tard pour être le gardien de mon passé, mais qui sera le sauveur de mon avenir. Je vous dois mon repos aujourd'hui et pour toujours, Maurice; car avec le bonheur, il n'y a que des vertus. Ah! croyez-le bien, le juge d'en haut sera sévère pour ceux qui n'ont pas su employer les richesses qu'il avait déposées au fond de leur ame, et qui, pouvant se procurer le bonheur dont nous jouissons, l'ont laissé passer sans en vouloir. Le bonheur, vois-tu, Maurice, c'est une pierre de touche sur laquelle tous nos sentimens sont éprouvés, les bonnes et les mauvaises qualités n'y laissent pas la même marque. Le bonheur qui me vient de toi, Maurice, m'élève à ce point, que je suis fière d'exister maintenant, moi qui parfois ai eu honte de la vie. En effet, le monde pour moi se réduit maintenant à nous deux; l'univers pour moi se concentre dans cette petite chambre, paradis

[graphic][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed]

P. Oct. 46 k

AP

20

P18

.க

t

« PrécédentContinuer »