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La tribune elle-même a retenti de certaines doléances. L'honorable M. de Carné a une raison trop haute et trop ferme pour se faire l'organe de déclamations déraisonnables. Il a réclamé en faveur des droits de la famille, quand il s'agira de statuer sur l'instruction secondaire. Nous croyons qu'il n'entre dans l'esprit de personne de méconnaître ces droits. Après avoir insisté sur l'esprit de son amendement, M. de Carné s'est lancé plus avant, et il a fait une excursion sur le terrain de la philosophie. Nous dirons que c'est à tort, même avant d'aborder le fond de la question.

Pourquoi sont instituées nos assemblées politiques? Est-ce pour discuter sur Platon, Aristote ou Descartes? En aucune façon. Dans le dernier siècle, un Anglais, réclamant au sein de la chambre des communes la liberté de conscience, s'écriait: Au moins n'ayons pas un dieu parlementaire! Qu'il nous soit permis d'en dire autant pour la philosophie, et de prier la chambre de ne pas s'en occuper. D'ailleurs, de quoi s'agit-il pour l'enseignement de la philosophie dans les colléges royaux? Les élèves sont-ils appelés à opter entre Platon et Aristote, entre Leibnitz et Spinosa? Nullement. On leur enseigne les élémens de la morale, on leur apprend la nature et l'importance de nos principales facultés; cela n'est ni catholique ni anti-catholique, c'est simplement raisonnable. Plus tard, quand le jeune homme est sorti du collége, il pourra, si son esprit l'y porte, pénétrer dans l'intelligence des systèmes, les comparer, choisir, et, s'il en a la force, penser par lui-même. Alors commencera vraiment pour lui la question philosophique. Alors il pourra s'adresser à l'enseignement supérieur des facultés, qui, pour être fidèle à tous ses devoirs, ne devra rien dissimuler de la portée des problèmes scientifiques à l'intelligente curiosité des jeunes gens qui deviennent des hommes. Dans ces discussions et ces problèmes, la chambre, probablement, n'a pas l'intention d'intervenir.

Sans être philosophe, M. Villemain a su défendre la philosophie; il s'est fait un bouclier des noms de Descartes, de Leibnitz et de Malebranche, et il s'est étonné qu'une philosophie aussi spiritualiste, dont l'Université a expressément recommandé l'enseignement, rencontrât dans le clergé d'aussi étranges répugnances. Enfin il s'est engagé à concilier, dans le projet de loi qui doit être présenté aux chambres, les droits de l'état tant avec les garanties et les franchises que peuvent justement réclamer les particuliers, qu'avec les progrès dont est susceptible l'éducation. «< Seulement, a dit en terminant M. Villemain, nous tâcherons que la contre-révolution n'essaie pas de faire tout à coup un grand changement dans le système de l'enseignement national. » Par ses dernières paroles, M. le ministre de l'instruction publique a clairement marqué le danger. Une partie du clergé voudrait faire de la loi qu'il réclame si vivement un instrument de réaction. C'est à la fermeté du gouvernement et des chambres d'éviter cet écueil, de faire impartialement la part de tous les droits et de toutes les situations.

Cette impartialité si désirable, nous ne l'avons pas trouvée assez entière chez M. le garde-des-sceaux, quand il a répondu à MM. Dupin et Isambert. M. Martin du Nord se croit peut-être trop obligé, en sa qualité de ministre

des cultes, de se mettre au point de vue exclusif du clergé; aux affaires, il ne s'agit de porter ni l'esprit d'un catholique, ni celui d'un protestant ou d'un philosophe, mais l'esprit politique qui arrive à la justice envers tous par l'intelligence de toute chose. A coup sûr, nous ne demanderons pas à M. Martin du Nord de partager sur les matières religieuses les façons de penser de M. Isambert, mais nous eussions désiré qu'il n'eût pas uniquement parlé en défenseur du clergé. Ne pouvait-il pas, tout en indiquant ce que certaines incriminations avaient d'excessif, faire entendre aussi de sévères paroles sur les fautes commises dans les rangs ecclésiastiques? Le langage tenu par M. le ministre des cultes a confirmé ce qu'au reste on savait depuis long-temps, c'est que dans le sein du cabinet M. Martin du Nord et M. Villemain sont loin d'être d'accord sur la question du clergé.

Avant les vifs débats suscités par les affaires de l'église et des légitimistes, les questions extérieures avaient été l'objet des discussions les plus lumineuses. En approfondissant le problème de l'alliance anglaise, les orateurs de l'opposition savaient fort bien que la majorité était résolue à ne pas leur donner raison par les votes, mais ils n'en ont pas moins persisté à traiter la question sous toutes ses faces avec calme, avec fermeté. Voilà, selon nous, un devoir politique noblement rempli. Une opposition s'honore, elle est utile à elle-même et au pays, quand, sans l'attente d'un triomphe immédiat, elle travaille en vue de l'avenir, et dit la vérité tant pour la chambre que pour le dehors.

Qui peut mieux se faire l'historien de l'alliance anglaise que l'honorable M. Thiers? Qui en connaît mieux les phases diverses, les variations, les défaillances, les difficultés? Il a suivi cette alliance, étant aux affaires, dans le ministère du 11 octobre, dans ses deux présidences du 22 février et du 1er mars. Rentré dans l'opposition, il a été constamment attentif aux transformations qu'ont subies notre union avec l'Angleterre et le langage du cabinet actuel au sujet de cette union. Il a pu dire toute la vérité, et il l'a voulu. Il l'a dite avec une admirable sérénité d'esprit, sans irritation contre personne. Dans les hautes régions, les rancunes, même celles qui seraient les plus légitimes, ne pénètrent pas. M. Thiers a parlé des whigs comme s'il n'avait pas eu à se plaindre des whigs. Il n'a pas fait une seule allusion à ses dissentimens avec M. Guizot; il a communiqué à la chambre et au pays ce qu'il croit être la vérité, afin que cette vérité exerçât une influence utile sur les intentions ultérieures du parlement et de la France.

Deux points ont été mis en lumière par le chef du centre gauche. Sur les théâtres où l'Angleterre et la France semblent aujourd'hui vouloir agir en commun, ce qui les unissait autrefois a disparu devant ce qui les divise. L'autre point, c'est que la guerre aujourd'hui n'est pas possible en Europe, à moins d'un fait qui ne se réalisera pas, l'agression de la France. Quelle est la conséquence à tirer de cette double démonstration, si ce n'est que, l'alliance anglaise n'étant ni aussi nécessaire ni aussi avantageuse qu'elle l'était dans les premières années qui ont suivi 1830, nous devons, vis-à-vis de l'Angleterre, mettre une très grande réserve dans notre conduite?

Il n'y avait rien qui sentit la passion, et la chambre avait été d'autant plus frappée de ce langage, qu'il était plus dégagé de toute préoccupation de parti. Elle eût volontiers suivi le conseil de M. Thiers de mettre une plus grande réserve dans les termes de l'adresse; mais au dernier moment M. Guizot a déclaré que, si l'on changeait quelque chose, l'œuvre du cabinet serait détruite et ne pourrait de long-temps se recommencer. Alors la chambre a passé outre et rejeté l'amendement de M. Billaut à une faible majorité. Sur le droit de visite, M. le ministre des affaires étrangères n'a fait écarter l'amendement de M. Billaut qu'en déclarant qu'il avait la ferme intention de négocier, et que l'amendement le gênerait dans ses négociations. Devant une déclaration aussi expresse, il n'y avait qu'une réponse possible, le retrait de la phrase proposée par l'opposition; le paragraphe de la commission a été voté à l'unanimité.

A la tribune, M. Guizot nous a donné de mauvaises nouvelles en ce qui concerne nos relations commerciales avec les États-Unis. Il n'y a pas d'espoir que le congrès actuel veuille revenir sur le tarif de 1842, si contraire à nos intérêts. Des négociations ont été ouvertes et suivies avec vivacité; mais le présent congrès a été inflexible, il ne veut rien changer à ce qu'il a voté. « C'est son droit, a dit M. Guizot, et nous n'y pouvons rien; mais nous avons tout lieu d'espérer que le prochain congrès se montrera plus accessible sur cette question. >> Il ne nous reste donc plus qu'à faire des vœux pour que le parti qui en Amérique demande l'abaissement des tarifs soit en majorité au sein du nouveau congrès.

Il a été aussi question dans le débat de l'Amérique méridionale, et M. GlaisBizoin a rendu à M. l'amiral de Mackau le service de l'appeler à la tribune. En effet, quand à la tête d'un ministère spécial on a l'esprit étendu et politique, quand on peut s'exprimer avec une simplicité ferme, abondante et de bon goût, c'est une bonne fortune, pour un ministre qui possède ces avantages, d'être mis en demeure d'éclairer la chambre sur les affaires de son département. Il était d'ailleurs important que la question de la Plata fût mise au grand jour. M. de Mackau a montré, pièces en main, que ni les amiraux, ni le ministre du roi à Buenos-Ayres, ni notre consul à Montevideo, ne pouvaient être l'objet de justes reproches. Il n'a pas dissimulé que son intention était de bien faire comprendre aux réclamans de Montevideo, et à tous ceux qui vont chercher fortune au loin, que, s'ils veulent pouvoir compter sur la protection de la France, leur premier devoir est de ne se point mêler aux guerres civiles étrangères. M. Glais-Bizoin s'est écrié que, depuis les célèbres paroles l'ordre règne à Varsovie, jamais rien d'aussi triste n'avait été dit à la tribune. Une explosion générale a fait justice d'une pareille exclamation, et a dispensé de toute réponse M. l'amiral de Mackau. La chambre avait d'ailleurs écouté l'amiral avec une faveur marquée; elle sait combien le nouveau ministre a pris à cœur la mission glorieuse d'imprimer une puissante impulsion à la marine française.

F. BONNAIRE.

REVUE

DE PARIS

XXVI

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