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-Car? reprit Fabien.

Rien, rien, répondit la veuve. Vous avez raison, messieurs, il faut garder le silence, et laisser aller les choses où elles vont. Ce que Dieu fait est bien fait.

Et avec un sourire d'indicible méchanceté, la veuve s'élança dans les escaliers, ayant hâte de se retrouver en face de toutes ces personnes qu'elle croyait désormais tenir dans sa main.

III.

Pendant que toute l'intrigue de ce drame étrange, si simple à la fois et si compliqué, s'éclaircissait et se nouait en même temps entre les cinq ou six personnes que nous avons mises en scène, dans l'espace étroit du château de Fontenay-aux-Roses, et dans le court intervalle qui s'est écoulé depuis que nous avons mis sous les yeux de nos lecteurs le premier chapitre de cette histoire; - le malade, ce grand enfant gâté qui n'avait encore connu les mécomptes de la vie humaine que dans les contrariétés d'un caprice amoureux où le sentiment, il est vrai, jouait son rôle, le malade, bercé par un doux rêve, attendait avec une impatience pleine de charme le moment de revoir Fernande. Assis près de son lit, le docteur répondait à ses questions, ajoutant complaisamment les mixtures balsamiques de son langage aux effets magiques de l'espérance; art divin dont le formulaire est au ciel. Excitées par tant d'influences diverses, les facultés de Maurice reprenaient leurs fonctions dans le mécanisme animal et intellectuel de l'être, si bien que la pensée exerçait maintenant sans entraves son empire souverain.

Docteur, dit-il en baissant la voix et en regardant timidement autour de lui; docteur, puisque nous sommes seuls, vous allez m'expliquer, n'est-ce pas, comment il se fait que Fernande se trouve ici? Est-il bien nécessaire d'expliquer ce que le cœur devine? demanda en souriant le docteur.

Elle a donc appris que je voulais mourir?

- Vous êtes trop curieux pour un malade.

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- Quand a-t-on vu une mère hésiter lorsqu'il s'agit de sauver son

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- Et Clotilde, dit vivement Maurice, elle ne se doute de rien, je l'espère?

Rassurez-vous; grace à vos amis qui vous ont secondé à mer

veille....

Braves garçons! comment m'acquitterai-je jamais avec eux?
Grace au nom d'emprunt qu'ils ont donné à Fernande....

- Oui; mais comment a-t-elle consenti à prendre ce nom? Voilà ce qui m'étonne, moi qui la connais.

-Je crois qu'elle n'a consenti à rien, que tout était arrangé quand elle est arrivée, et qu'elle a été obligée, pour ne pas renverser toutes les espérances, d'entrer dans la position qu'on lui avait préparée.

- Et Mme de Neuilly qui retrouve en elle une amie de pension, comprenez-vous cela, docteur?

-Ah! ça, c'est un de ces effets du hasard qui échappent aux yeux des préparateurs les plus habiles; heureusement que cette reconnaissance n'a rien dérangé. Quant à moi, j'avoue qu'un instant j'ai eu grand' peur.

- Ainsi, docteur, ainsi que je m'en 'étais toujours douté, Fernande n'est pas une femme de rien, mais tout au contraire une fille de famille élevée à Saint-Denis. Oh! j'avais au moins deviné cela il était impossible que tant de perfections, d'élégance, de délicatesse, n'appartinssent pas à une personne de race. Chère Fernande!

:

- Ah ça, mais un instant, monsieur mon malade, reprit le docteur en arrêtant Maurice au milieu de son enthousiasme; un instant : maintenant que le docteur du corps est devenu le docteur de l'ame, maintenant que je suis non-seulement votre médecin, mais encore votre confesseur, répondez vous êtes donc véritablement affolé de cette femme?

-Oh! silence, silence, docteur, répondit Maurice avec un sentiment de crainte douloureuse. Mon Dieu! Clotilde est si bonne, si parfaite, si angélique!

- Que vous l'admirez, n'est-ce pas, mais que vous aimez Fernande?

Que voulez-vous, docteur, c'est un sentiment involontaire, irrésistible, qui s'est emparé de moi tout entier, qui me brûle, qui me dévore? J'ai voulu le combattre; j'ai été vaincu par lui, et j'allais en mourir quand vous êtes venu, ou plutôt quand elle est venue. Alors, oh! docteur, je ne puis pas vous dire ce qui s'est passé en moi; à sa vue, je me suis senti renaître; il m'a semblé que l'air, le soleil, la vie, tout ce qui s'était éloigné de moi revenait à moi, et, dans ce TOME XXVI. FÉVRIER.

12

moment même, tenez, rien que l'idée qu'elle est là, qu'elle va venir, que je vais la voir, cette idée m'inonde d'une joie infinie, d'une béatitude céleste. Écoutez, docteur, vous le savez maintenant, je l'aurais dit que vous ne l'eussiez pas cru peut-être, mais vous l'avez vu, il y va de mon existence; eh bien! docteur, soyez dans cette maison un ministre de paix et d'union.

Oui, sans doute, vous désirez que je la retienne. -Si la chose est possible, en sauvant les apparences.

- Nous ferons ce que nous pourrons pour cela. Je comprends, les mœurs sont à la mode, et quand on a votre âge, qu'on est homme du monde comme vous, on suit toutes les modes. Le diable n'y perd rien, c'est vrai; mais, comme vous dites, les apparences sont sauvées.

Oh! ne plaisantez pas sur les choses sérieuses, docteur!

-Eh! mon cher malade, est-ce ma faute, je vous le demande, si les choses plaisantes deviennent des choses sérieuses, et si les choses sérieuses deviennent de plaisantes choses? Vivons, c'est le point essentiel d'abord, ensuite vivons bien portans, enfin vivons heureux si c'est possible.

Mais vivons, mais soyons heureux sans faire le malheur de personne, docteur, sans faire rougir ma mère, sans coûter des larmes à Clotilde tout cela est bien difficile, j'en ai peur.

:

Bah! guérissez d'abord de votre maladie; ensuite, eh bien! j'essaierai de vous guérir de votre amour.

Comment cela?

- Comme le docteur Sangrado, tout bonnement avec des saignées et de l'eau chaude.

- Mais je n'en veux pas guérir, moi, s'écria Maurice.

Comme si cela dépendait de vous, dit le docteur; mais silence!

voilà quelqu'un, sans doute Fernande!

- Non, dit Maurice, ce n'est point son pas.

C'était Mme de Neuilly suivie des deux jeunes gens.

Derrière eux, et comme ils venaient de prendre place, entrèrent à leur tour Mme de Barthéle, Fernande, Clotilde et M. de Montgiroux. Il se fit un mouvement de chaises et de fauteuils, et, au bout d'un instant, chacun se trouva assis.

Maurice, dans la disposition inquiète où se trouvait naturellement son esprit, avait vu entrer successivement toutes les personnes que nous venons de nommer, depuis Mme de Neuilly jusqu'à M. de Montgiroux, en cherchant successivement à lire sur leurs visages les sentimens divers qui les agitaient.

Soit préoccupation, soit réalité, l'expression de tous ces visages lui parut avoir changé depuis le moment du déjeuner. C'est que dans la journée il était pour chaque personne arrivé un évènement important. Clotilde avait entendu l'histoire de Fernande et celle de Mme de Willefore ces deux histoires avaient été pour elle un grand enseignement. Mme de Barthèle avait, malgré la dénégation de M. de Montgiroux, conçu le soupçon que le comte connaissait Fernande, et ce soupçon continuait de lui mordre secrètement le cœur. Fernande avait appris que Maurice, tout en portant le nom de M. de Barthéle, était le fils du comte de Montgiroux, et cette idée terrible qu'elle avait été la maîtresse du père et du fils s'agitait dans son ame. Enfin Mune de Neuilly avait appris que Fernande s'appelait Fernande tout court, et qu'il n'existait aucun M. Ducoudray. De plus elle avait deviné la jalousie de MTM de Barthèle et l'amour de M. de Montgiroux. Les deux jeunes gens seuls étaient encore à peu près ce que Maurice les avait laissés; mais que lui importait ce que pensaient les deux jeunes gens, qu'il regardait comme des amis dévoués?

Ce n'était donc pas sans raison que Maurice remarquait un changement notable dans les physionomies.

En effet, chacun des personnages offrait sur son visage la trace des émotions qui venaient d'agiter son esprit ou son cœur. Le comte ne pouvait maîtriser son inquiétude à l'endroit des soupçons mal calmés de la baronne. La baronne cherchait en vain à dissimuler sa jalousie, et soupirait en essayant de sourire. Clotilde, éclairée par Fernande sur les intentions de Fabien et sur l'état de son propre cœur, n'osait regarder personne. Fernande, pâle, inanimée et le regard fixe, semblait une victime amenée là pour subir un supplice inévitable. Enfin Mme de Neuilly, l'œil triomphant, les lèvres relevées par le mépris, les narines gonflées par le dédain, semblait comme un mauvais génie planer sur l'assemblée qu'elle dominait.

D'abord le moment de l'arrivée avait produit une diversion favorable; on s'était salué, groupé, placé en échangeant de part et d'autre ces politesses dialoguées d'avance qui sont la monnaie courante des salons; mais bientôt, chacun se retrouvant occupé de ses intérêts, le silence le plus solennel avait régné.

C'était pendant ce moment de silence que Maurice avait, avec inquiétude, porté son regard sur les personnes qui environnaient son lit. Le résultat de cette investigation fut tel, qu'il se pencha à l'oreille du docteur et murmura à voix basse :

-Oh! mon Dieu, docteur, que s'est-il donc passé ?

Le docteur avait grande envie de le rassurer, mais il sentait luimême que quelque chose de nouveau, d'inconnu et de menaçant planait dans l'air.

Les personnages étaient groupés ainsi : Fabien était près de Fernande, Léon près de Clotilde; Mme de Barthèle, qui avait résolu de ne pas laisser au comte un seul instant de relâche, l'avait fait asseoir à ses côtés; Mme de Neuilly seule était isolée, comme si l'on eût compris, par un effet instinctif, qu'elle était une exception dans la nature et dans la société; elle pouvait donc distiller son venin tranquillement et consciencieusement sans être dérangée dans cette opération de chimie intellectuelle.

-Voyez, se disait-elle à part soi avec ce sourire de haine qui avait non moins effrayé Maurice que les figures bouleversées des autres personnages, voyez si un de ceux qui sont là s'occupera de moi, daignera m'adresser un mot, aura même la volonté de me faire une politesse! M. Léon s'occupe de Clotilde; c'est pardonnable, nous sommes chez elle, et puis peut-être profite-t-il de l'abandon de son mari pour lui faire la cour. Tiens, ce ne serait pas maladroit, et il serait curieux que la petite cousine rendît la pareille à son mari. M. de Rieulle n'a de regard, d'attentions, de paroles que pour Me Fernande, une misérable fille entretenue. M. de Montgiroux fait semblant d'écouter ce que lui dit Mme de Barthèle, et essaie de lui répondre; mais ici cet empire si vanté sur lui-même lui échappe, et il est visiblement à toute autre chose. Moi seule, je suis isolée, délaissée, perdue.

Eh bien! comme d'un mot, si je voulais, tout changerait autour de moi, oui, d'un mot! murmurait la veuve en souriant de son sourire le plus venimeux; je n'aurais qu'à dire à Clotilde :

Vous êtes jeune, vous êtes belle, vous êtes riche, mais, vous le voyez, la jeunesse, la beauté, la richesse, sont insuffisantes pour fixer un mari; en revanche, elles assurent des amans.

A Fernande:

Vous avez enlevé le mari à la femme, vous vous êtes présentée ici sous un faux nom; vous attendez avec impatience que Maurice, qui vous couve des yeux, soit revenu à la santé pour reprendre avec lui une intrigue adultère.

A M. de Montgiroux :

Vous vous jouez de vos sermens en politique comme en amour. Blasé sur les plaisirs à demi permis, vous excitez vos appétits par le ragoût de l'inceste; mais votre fortune, toute colossale qu'elle est.

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