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détruit tous les ètres, firent naître l'art des embaumemens. On sait que les Égyptiens et les Guanches excellèrent à sauver de la dissolution le peuple innombrable de leurs momies. Il est vrai de dire que la nature du climat concourait avec les mœurs et les moyens de ces deux nations pour conserver les cadavres. Le ciel d'Égypte ne contient aucune humidité : il préserve sous sa coupole bleue comme sous un globe de verre les objets les plus fragiles et les plus délicats; c'est à cette atmosphère immobile, sèche, toujours la même, qu'il était réservé d'entretenir la mort dans une éternelle jeunesse. Quoique la pratique des embaumemens se soit continuée chez les peuples modernes pour certaines familles, elle n'a jamais revêtu des caractères de conservation bien durable. La tombe de nos rois et de nos reines a été fouillée; qu'a-t-on trouvé, dans ces sépultures somptueuses, à la place des corps embaumés avec des frais immenses et un travail de plusieurs mois? Un peu de poussière ou une corruption plus honteuse encore que le néant. Il manque à nos embaumeurs le soleil d'Égypte, l'huile de cèdre, le natrum et tous ces aromates puissans, fournis par la nature du pays, à l'aide desquels la main de l'homme luttait contre les lois générales de la matière animée. Nous vivons en France sous un climat délétère; le brouillard, la pluie, la neige, les hivers si longs, les printemps si courts et quelquefois si aigres, enlèvent leur couleur aux bois peints, dégradent le marbre des statues exposées à l'air, noircissent derrière la main de l'ouvrier la pierre qu'il travaille, et concourent à pâlir sur les joues des enfans la fleur de leur âge. Un homme a essayé de vaincre ces obstacles; nous rencontrerons plus loin ses travaux dans nos cimetières: mais, si ingénieux que soit son procédé, si belles que soient lesdécouvertes modernes de la science, rien ne peut rivaliser avec l'art de la nature; un peu de neige sur le voyageur qui tombe en gravissant la montagne, un voile de sable sur ce sauvage qui meurt en traversant les contrées brûlantes, et voilà qu'elle conserve, en jouant, ces débris humains que nous disputons si chèrement et avec tant de peine à la destruction.

Le soin des funérailles a suivi celui des sépultures. Tous les peuples civilisés expriment leurs regrets et leur vénération pour les dépouilles de ceux qui leur sont chers. En Égypte ces honneurs rendus aux restes de l'homme occupaient une classe entière de citoyens. La mort. fait également vivre à Paris un personnel considérable; sans parler des magasins de deuil où l'on habille en les plaignant la veuve

et l'orphelin, nous avons une entreprise géante dans laquelle l'orgueil de la cité a rassemblé la matière de ses pompes et de ses cérémonies funèbres. Un peuple de gens attachés à l'établissement, ordonnateurs des convois, porteurs, conducteurs de chars, maîtres des cérémonies, officiers à manteau, hommes de deuil, valets de pied, tout une noire multitude se tient prête à marcher pour les besoins du service. Les vastes écuries entretiennent sans cesse cent chevaux noirs et six chevaux blancs, issus sans doute de ce påle cheval de l'Apocalypse sur lequel est assise la Mort quand elle visite les nations. Tous les matins, trente-six chars ordinaires, soixante corbillards drapés ou vernis s'attendent à recevoir leur charge. Cinquante voitures de deuil se disposent à les suivre. Six mille cercueils tenus constamment en bon état, d'après les termes du règlement, occupent le magasin central, sans compter les magasins situés dans les douze arrondissemens de Paris et toujours bien approvisionnés. Le matériel de l'établissement est évalué à plus de 250,000 fr.; c'est de là que sortent ces vastes tentures destinées à voiler sous leurs plis les grandes lignes et les massifs piliers de nos églises, ces chandeliers chargés de cire et toutes ces figures de la douleur qui pleurent autour des catafalques. Nous avons visité pendant plus d'une heure ces ornemens innombrables sous lesquels l'homme s'efforce de parer le néant de sa nature. La mort est coquette; comme toutes les laides femmes, elle cherche à racheter par l'éclat et l'étalage de sa toilette les difformités de sa personne. Les objets de cet immense gardemeuble sont distribués selon la nature des convois. Les habitans de notre ville s'en vont à la terre, leur dernière demeure, avec des figures variées et des appareils bien différens. Depuis le convoi de première classe, qui coûte aux parens du défunt la somme de 3,362 fr., jusqu'à celui dont l'état fait les frais à raison de 8 fr. pour les indigens, il y a une série continue qui descend toujours; et, comme on pense bien, les degrés les plus occupés de cette échelle sont les dégrés inférieurs. Outre les ornemens affectés à chaque service, le goût des familles peut encore choisir dans ce bazar de la mort des fournitures supplémentaires; il existe un tarif inexorable pour les emblèmes et les insignes de ces cérémonies funèbres. Voulez-vous deux chevaux de plus à votre char? c'est 50 fr. Aimez-vous les lampes sépulcrales? on en mettra partout, c'est 3 fr. le bec. Avez-vous du goût pour les vertus théologales? dites-le, on vous en mettra quatre aux coins du catafalque, c'est 200 fr. Au milieu de ce luxe qui ne

laisse que l'embarras des accessoires, j'ai regretté de n'être pas le marquis de Brunoy pour me complaire à de telles pompes. Mais il faut l'avouer, toutes ces richesses-là me touchent médiocrement. Ces voiles semés de plus de larmes que n'en versent les yeux de ceux qui les commandent, ces crêpes infinis, ces garnitures noires, ces harnais drapés, ces housses brodées en argent, ces plumets dont on charge les chevaux, comme pour donner aux animaux eux-mêmes la figure de la tristesse, ce cortège de pleureurs et de pleureuses, ce clergé en surplis et en étole de deuil, donnent à la douleur un caractère artificiel et théâtral qui me déplaît. La mort n'est pas un spectacle; la mort n'est pas une chose matérielle, un cercueil voilé dans une église tendue de noir et pleine de chants lugubres; non, la mort, c'est de ne plus voir celui qu'on a vu; c'est cette absence sourde et éternelle de l'objet aimé, ce vide du cœur qui ne sent plus autour de soi que solitude, cette nuit de l'ame qui couvre de ténèbres et d'horreur toute la nature. Le reste est de trop; tous ces ornemens faux, ces clinquans, ces oripeaux et ces colifichets de la tristesse ne valent pas la noble simplicité d'un convoi ordinaire; la religion, qui ordonne de renoncer à Satan et à ses pompes, devrait défendre celles des services funèbres. De telles funérailles somptueuses aboutissent en outre à des sépultures qui tiennent seize mètres carrés dans le cimetière et coûtent 27,000 fr. de terrain; c'est quatorze fois plus de place qu'il n'en faut pour dormir en paix.

Tous les peuples ont établi leurs cimetières sur l'idée qu'ils se faisaient des destinées de l'homme après sa mort. Les Égyptiens, qui avaient été saisis par le mystère de la tombe, et qui croyaient probablement à la migration des ames, descendaient les restes conservés de leur famille dans des souterrains, des puits, des chambres sépulcrales. Cette nation, ennemie de tout changement, avait voulu immobiliser les formes humaines jusque dans la mort, et fixer la destruction même à son point de départ. Les hypogées de la vieille Égypte nous présentent en outre le spectacle singulier de l'homme se faisant suivre dans sa dernière demeure par les animaux. Comment ne pas voir dans cet usage consacré par les mœurs une suite de cette confusion primitive qui se retrouve chez tous les peuples anciens? L'homme ne s'était pas encore séparé du reste de la création; enveloppé de tous côtés par la nature, il vivait et s'endormait en elle. Les cimetières souterrains des anciens habitans de l'Égypte ont été ouverts, et c'est d'eux que nous avons appris le peu que nous savons sur les habi-

tudes de ce peuple anéanti. L'Égypte ne nous a laissé que trois choses, des temples, des palais et des tombeaux: ce sont les tombeaux qui se sont le mieux conservés et qui étaient faits pour durer le plus long-temps. Les Grecs et les Romains paraissent au contraire avoir été frappés dans la mort par l'idée du repos. Leurs sépulcres, situés à l'entrée des villes, invitaient le voyageur à s'asseoir, siste, viator! Déjà un grand progrès s'est accompli dans les mœurs : à mesure que l'homme s'élève, il refoule dans leur sphère les autres créatures, et rompt cette chaîne primitive qui l'unissait aux habitans inférieurs du globe. Le Grec ou le Romain met ses os à l'écart; l'homme isole sa sépulture des restes de la nature animale. La religion du Christ devait encore donner à la mort une face nouvelle, et transformer par ses dogmes d'immortalité la dernière demeure du juste. Sans éventrer les montagnes pour construire ces tombeaux démesurés par lesquels la vieille Égypte cherchait à relever la grandeur de ce qui n'est plus, le chrétien trouve dans l'immensité de sa foi le secret de rendre au tombeau son véritable caractère. En réunissant le cimetière à l'église, il fait planer au-dessus des sépulcres l'image de Celui qui ne devait rien à la mort et qui a voulu la traverser afin de nous en montrer le chemin. Le Campo santo est là pour nous dire les félicités sévères et les rayonnemens lointains de cette seconde vie qui se dégage de l'autre comme le jour se dégage de la nuit. La vieillesse pour le chrétien n'est pas la décadence des forces, le déclin de la maturité; c'est une nouvelle aurore. En même temps qu'il rassure le juste par la vision de l'éternité, le cimetière chrétien effraie l'imagination devant l'idée des peines et des châtimens dont il cherche à délivrer les ames par ses prières. Le catholicisme abusait peut-être de la crainte de la mort : comme si ce spectre qui glace d'effroi toute la nature n'avait pas en lui-même assez de difformité, la religion lui donnait encore pour escorte les affres, les épouvantemens et la menace de l'enfer. Le prêtre montrait au pécheur Dieu derrière la tombe, sous la forme d'un juge au visage irrité. Les convulsions, les sueurs froides du dernier moment n'étaient rien auprès des terreurs et des visions funestes dont le dogme mal compris d'une autre vie chargeait la conscience alarmée du chrétien. Le clergé romain, dont le défaut fut de vouloir intéresser Dieu dans ses ambitions, se servait de la crainte de l'éternité pour régner sur les rois, jeter l'interdiction et la cendre aux têtes féodales, et retenir comme par un anneau de fer la bouche intraitable du peuple. Combien nous paraît plus

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grande l'intention de cette femme qui descend en plein jour sur la place publique d'une ville d'Orient, avec un réchaud allumé dans la main droite et un vase d'eau dans l'autre main! Son air inspiré, ses cheveux dénoués et flottans, sa beauté austère, étonnent les passans; on s'arrête, on l'entoure, on l'interroge :—« L'eau, dit-elle en montrant son vase, c'est pour éteindre l'enfer; le feu, c'est pour allumer la charité sur la terre!» Les femmes n'ont jamais pu croire à l'enfer, parce qu'elles n'ont jamais pu se faire à l'idée de ne point aimer. Si le christianisme environne d'ombre et de terreurs les approches de la mort, il faut bien aussi reconnaître que lui seul a révélé les mystères, les joies et les espérances de la tombe dans ces restes enfouis au cimetière il nous montre des germes qui mûrissent pour la résurrection. La foi rétablit un lien invisible entre nous et ces générations souterraines dont nous ne sommes séparés que par un voile; elle continue nos amitiés et nos rapports du cœur bien audelà de l'événement qui les a rompus, en les rattachant à l'éternité. Le stoïcien, dans sa plus grande hardiesse, avait été jusqu'à nier la douleur; il était réservé au chrétien de nier la mort: non est umbra mortis. Les ténèbres de l'avenir se dissipent pour le croyant au soleil de la parole divine: Dieu lui a promis de le ressusciter, et Dieu ne saurait mentir. La foi s'efface chaque jour du monde; où retrouvons-nous maintenant ses dernières traces, sinon parmi les sépultures; L'esprit chrétien est dans les cimetières, et il n'est que là; vous le cherchez dans les églises, parmi les vivans, et vous ne le trouvez plus. En vain la science, la poésie même essaient de bégayer sur les sépulcres quelques formules d'immortalité; la foi est bien plus grande dans sa simplicité de son langage. On lit sur une pierre du cimetière du Sud cette inscription ambitieuse :

La science seule révèle
Notre impénétrable avenir;
Quand la matière est éternelle,
La puissance intellectuelle
Pourrait-elle s'anéantir?

Combien j'aime mieux le sentiment de cette mère qui a fait graver sur le tombeau de ses trois enfans ces mots de l'Écriture sainte : Et noluit consolari quia non sunt! Je préfère encore cette courte sentence qu'une famille chrétienne a inscrite au-dessus de l'entrée du ca

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