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IMPRIMERIE DE H. FOURNIER ET CIE. RUE SAINT-BENOIT, 7.

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FERNANDE.

VII.'

Un des caractères les plus remarquables de notre société moderne est ce vernis extérieur à l'aide duquel chacun voile au regard de son voisin le véritable sentiment qu'il a dans le cœur; grace à la monotonie d'un langage noté jusque dans les moindres fioritures du savoir-vivre, chacun peut donner le change sur sa pensée; aussi, dans notre milieu social, le drame n'existe que dans les replis de l'ame ou devant la cour d'assises.

En effet, dans ce groupe gracieusement assis sous les branches pendantes et parfumées des lilas, des ébéniers et des acacias, il n'y a pour l'observateur, si profond qu'il soit, qu'un intérieur de famille dans son mouvement de tous les jours. Tous les visages sont calmes, toutes les bouches sont souriantes, tous les sourires joyeux. Cependant fouillez au fond des cœurs, vous y trouverez toutes les passions avec lesquelles les poètes modernes ont bâti l'édifice de leurs pièces les plus excentriques, amour, jalousie et adultère. Mais une nouvelle visite peut arriver, les valets peuvent aller et venir, rien n'aura trahi les préoccupations individuelles, qui disparaissent

(1) Voyez les livraisons des 17, 24, 31 décembre 1843, 7, 14 et 21 janvier 1844.

sous la contrainte imposée par l'usage: le visiteur croira qu'il a assisté à la réunion la plus innocente du monde; les valets se diront que leurs maîtres sont les gens les plus heureux de la terre.

C'est comme symbole des inextricables mystères du cœur humain que les Grecs inventèrent la fable du labyrinthe. Quiconque n'a point le fil d'Ariadne s'y égare indubitablement.

Cependant la nuit envahissait peu à peu l'horizon, la brise plus fraîche agitait le feuillage. Le docteur crut prudent de faire rentrer Maurice; il manifesta son désir : chacun avait intérêt au déplacement qui se fit. En conséquence, à l'instant même on regagna le château, et il fut arrêté qu'on se réunirait de nouveau dans la chambre du malade, après lui avoir laissé le temps de se remettre au lit, sa sortie étant une de ces heureuses escapades que l'on ne pardonne que parce qu'elles réussissent. Il y eut alors un de ces momens de liberté générale où chacun sent le besoin de se soustraire pour quelques instans aux convenances long-temps observées. Mme de Barthéle et Clotilde accompagnèrent Maurice jusqu'à la porte de sa chambre. Fabien et Léon tirèrent chacun un cigare de leur poche et s'enfoncèrent dans le jardin. Enfin, au moment où Mme de Neuilly entraînait Fernande vers le boudoir, M. de Montgiroux crut avoir trouvé le moment tant attendu, et se penchant à son oreille :

Madame, lui dit-il, puis-je espérer que vous daignerez venir au bosquet où nous avons pris le café? D'ici à une demi-heure j'irai Vous y attendre.

- J'irai, monsieur, répondit Fernande.

Plaît-il? dit Mme de Neuilly en se retournant.

- Rien, madame, répondit le comte; je demandais à madame si elle retournait à Paris ce soir.

Et saluant les deux femmes, il s'éloigna pour aller rejoindre au jardin Fabien et Léon; mais à la porte du salon il rencontra Mme de Barthéle qui allait y rentrer.

-- Où allez-vous, comte? dit celle-ci,

Au jardin, madame, répondit M. de Montgiroux.

Au jardin! êtes-vous fou, mon cher comte, et n'avez-vous point entendu ce que le docteur nous a dit de la fraîcheur de ces premières soirées de printemps?

Mais ce qu'il en a dit, ma chère baronne, dit M. de Montgiroux, c'était pour le malade.

-Point, monsieur, point; c'était pour tout le monde. Il est donc de mon devoir de maîtresse de maison de m'emparer de votre bras,

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