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DISCOURS PRÉLIMINAIRE

CONTENANT

L'HISTOIRE DES FORÊTS ET DE LEUR LÉGISLATION.

La conservation des forêts a été, chez toutes les nations, l'objet de l'attention des gouvernemens. Ces belles et imposantes masses de végétaux étoient regardées, dans le premier âge du monde, comme le plus riche présent que le créateur eût fait au genre humain (1), parce que l'invention des arts n'avoit pas encore donné aux autres productions de la terre le degré d'utilité qu'elles devoient obtenir, et parce que les hommes trouvoient alors dans le sein des forêts tout ce qui pouvoit satisfaire leurs premiers besoins. Ils n'avoient, dit Pline, d'autre nourriture que les fruits des arbres, d'autre lit que leurs feuilles, d'autre habillement que leur écorce (2). Mais lorsque l'agriculture leur eut procuré une nourriture plus agréable et plus abondante, les arbres eurent, à leurs les arbres eurent, à leurs yeux, moins d'importance et de prix. Toutefois les sociétés conservèrent long-temps une sorte de respect religieux pour ces végétaux qui avoient pourvu aux besoins de leur enfance, et ce n'est qu'à mesure qu'elles arrivèrent à une civilisation plus parfaite et à un accroissement plus considérable, que s'opéra la destruction des plus importantes forêts.

L'histoire des peuples de l'antiquité, et nous pouvons dire notre propre histoire, nous montre cette destruction toujours croissante, et la cause qui la détermine, toujours plus forte que la puissance des lois qu'on lui oppose. Nous voyons en effet que la réduction des forêts n'éprouve point d'interruption, et que déjà elles ont disparu d'un grand nombre de contrées où cependant leur conservation intéressoit éminemment l'existence des peuples.

Essayons de présenter quelques observations sur cette importante matière; rappelons comment les nations les plus riches du monde ont tari la source de leur prospérité, et en suivant, dans l'ordre des temps, la marche progressive des défrichemens, démontrons que les mêmes causes qui ont entraîné la ruine de tant de contrées fertiles, menacent aujourd'hui les peuples que leur imprévoyance et une aveugle cupidité poussent à détruire leurs forêts.

Pour mettre, dans l'examen d'un sujet aussi grave, l'ordre qu'il exige, nous diviserons ce discours en deux parties. Nous parlerons d'abord des grands intérêts sociaux qui se rattachent à l'existence des forêts, et des motifs qui ont dû porter les premiers hommes à

(1) Summumque munus homini datum arbores sylvæque intelligebantur. PLINE, liv. XII. (2) Hinc primum alimentum, harum fronde mollior specus, libro vestis. PLINE, liv. XII.

TOME I.

1

rendre aux arbres des hommages religieux. Nous traiterons ensuite de l'histoire de la dégislation forestière.

PREMIÈRE PARTIE.

Aperçu de la diminution du

Considérations générales sur les forêts.Recherches historiques sur les hommages religieux rendus aux arbres en différens temps et en différens lieux. sol forestier dans plusieurs pays, et notamment en France.

Les bois ont été le premier vêtement de la terre avant la réunion des hommes en société, et nous les voyons encore dominer sur toutes les autres productions dans les contrées où le genre humain n'a point formé d'établissemens fixes. Là, ils sont répandus avec une étonnante profusion; leur étendue, leur vigueur, leur masse souvent impénétrable, attestent la prodigieuse fécondité de la nature : des arbres séculaires et qui semblent faire gémir le sol, s'élèvent sur les débris de ceux qui les ont précédés. La propagation de ces forêts antiques ne connoît d'autres limites que celles assignées par la nature à la puissance de la végétation.

Une semblable accumulation de végétaux n'est pas moins contraire à la température que leur excessive rareté. Ces grandes forêts, telles qu'on en trouve encore dans le nord de l'Amérique, en Pologne et en Russie, entretiennent un air froid et humide; elles arrêtent et condensent les nuages, et répandent dans l'atmosphère des torrens de vapeurs aqueuses; les vents ne pénètrent point dans leur enceinte; le soleil ne réchauffe jamais la terre qu'elles ombragent; cette terre poreuse, formée par la décomposition des herbes, des feuilles, des branches et des troncs d'arbres renversés par le temps, retient et conserve une humidité perpétuelle. Les lieux bas servent de réservoirs à des eaux froides et stagnantes; les pentes donnent naissance à des ruisseaux sans nombre, dont la réunion forme les plus grands fleuves de la terre.

Dans de semblables contrées, qui n'attendent que la main de l'homme pour recevoir les germes de nouvelles productions, les défrichemens sont les premiers travaux de l'agriculture; mais il y faudroit procéder avec ménagement, et mille exemples attestent au contraire la fatale imprévoyance du genre humain à cet égard. Les hordes sauvages, et les hommes civilisés qui s'établissent dans ces contrées, se livrent sans réserve à la destruction des forêts; ils les incendient, ils les abattent, ils détruisent de tous côtés les arbres qui les entourent, et après quelques récoltes sur la terre qu'ils ont dépouillée de bois, ils portent ailleurs le fer et le feu. C'est ainsi que dans l'Amérique l'on voit disparoître, en peu de temps, d'immenses étendues de forêts. Les colons qui arrivent ensuite continuent les abattis et les défrichemens; et telle est la fureur de détruire, que là, comme en tant de choses, l'homme ne s'arrête que lorsque le mal est devenu sans remède, et qu'il éprouve lui-même les suites funestes de son imprudence.

Ces faits, nous les retrouvons dans l'histoire de tous les peuples, et par-tout nous voyons que les défrichemens, si utiles dans le principe, ont été continués avec une dangereuse progression, à mesure que les sociétés sont devenues plus nombreuses, plus industrieuses et plus avides de jouissances. La culture et les pâturages ont étendu leurs conquêtes sur

les forêts et en ont tellement resserré les limites, que les bois sont aujourd'hui en raison inverse des besoins de chaque peuple.

La destruction des forêts est donc le résultat ordinaire de l'augmentation de la population et des progrès du luxe et de la civilisation. Nous verrons bientôt qu'elle est à son tour le précurseur de la décadence des nations et de l'apparition des déserts; mais avant d'offrir ce tableau, présentons celui des avantages que procurent aux pays cultivés les forêts distribuées sur le sol dans la juste proportion que leur intérêt exige: elles concourent à l'harmonie des lois de la nature ; elles exercent sur l'atmosphère la plus heureuse influence; elles attirent et divisent les orages, les distribuent en pluies bienfaisantes; elles alimentent les sources et les rivières, qui vont porter la fécondité dans les champs du laboureur; elles aspirent par leurs feuilles les miasmes et les gaz délétères, et rendent à l'air sa fraîcheur et sa pureté ; elles couvrent et décorent les cimes des montagnes, soutiennent et affermissent le sol sur la pente rapide des coteaux, et enrichissent les plaines de leurs débris; elles tempèrent la violence des vents glacés du nord et les effets de l'air brûlant du midi. C'est dans leur sein que l'on trouve des matériaux pour les constructions civiles et navales, et que le commerce va chercher des moyens de transport et d'échange pour toutes les parties du Monde; ce sont elles qui fournissent des produits à presque tous les arts: à l'agriculture, pour ses instrumens, aux usines, pour leur construction et leur alimentation, et à la quantité innombrable de métiers où les bois sont employés comme matière première ; l'emploi des bois se diversifie en mille manières, et nous les rencontrons par-tout, dans nos besoins et dans notre luxe (1). Ils s'unissent tellement à l'industrie, ils en forment un objet si essentiel, qu'ils la modifient dans chaque contrée, et lui impriment une direction et un caractère différens selon qu'ils sont plus ou moins abondans ou avantageux.

Si nous opposons à ce tableau celui des contrées qui n'ont pas su respecter leurs antiques forêts, nous voyons ces régions livrées à toute l'action des vents; elles n'éprouvent plus les alternatives heureuses de fraîcheur et de chaleur; elles sont ou dévorées par de longues sécheresses, ou inondées par des pluies qui se prolongent d'une manière désastreuse; les cours d'eau qui ont cessé d'être entretenus par des sources permanentes, se tarissent ou se débordent en torrens; le lit des rivières s'encombre; le soleil dissipe promptement l'humidité de la terre et lui enlève le principe de sa fécondité; l'œil ne rencontre par-tout que le spectacle de la stérilité et de la misère. Telles sont les causes qui ont changé en déserts des contrées jadis fertiles et peuplées par des millions d'hommes. L'Asie mineure, la Judée, l'Egypte et les provinces situées au pied du mont Atlas; la Grèce, autrefois la patrie des arts et de la liberté, aujourd'hui celle de l'ignorance, de la barbarie et de la servitude: tous ces pays ne présentent plus que des ruines et des tombeaux. Le voyageur qui parcourt la Grèce ne trouve à la place des belles forêts dont les montagnes étoient couronnées, des riches moissons que récoltoient vingt nations industrieuses, des nombreux troupeaux qui fertilisoient les campagnes, que des rochers décharnés et des sables arides, habités par de misérables bourgades. Vainement il cherche plusieurs fleuves dont l'histoire a conservé les noms ; ils sont effacés de la terre.

(1) Mille sunt usus earum (arborum), sine quibus vita degi non possit. Arbore sulcamus maria, terrasque admovemus, arbore exædificamus tecta. PLINE, liv. XII.

Ainsi ont disparu des populations nombreuses; ainsi l'espèce humaine s'est presque éteinte dans les contrées les plus célèbres; ainsi l'homme, après avoir détruit l'ordre établi par la nature, est tombé lui-même sur les ruines qu'il avoit préparées.

Tous les physiciens attribuent aux défrichemens la cause de la diminution des eaux et de l'élévation de la température dans les pays que nous venons de citer. Les mêmes effets se font remarquer dans plusieurs autres parties du Monde.

Les défrichemens opérés pendant les deux derniers siècles en Amérique par les colonies européennes, et continués aujourd'hui sans relâche, offrent de nouvelles preuves de ce fait. Les îles du Cap-Verd, qui étoient rafraîchies par des sources nombreuses, et couvertes de grandes forêts et de hauts herbages, ne présentent maintenant aux regards de l'observateur que des ravins à sec et des rochers dégarnis de terre végétale, où croissent de loin en loin des herbes dures et des arbrisseaux rabougris. L'Ile-de-France, autrefois si productive, est menacée de la même stérilité, si on ne se hâte de mettre un terme aux défrichemens qui se poursuivent sur tous ses points avec une activité effrayante.

C'est surtout dans les pays montueux que la destruction des arbres a des suites funestes. Si l'on porte imprudemment la cognée dans les forêts qui ceignent les plateaux supérieurs, les pluies délaient et entraînent la couche de terre végétale que les racines des arbres ne consolident plus, les torrens ouvrent de tous côtés de larges et profonds ravins, les neiges amoncelées sur les sommets durant l'hiver glissent le long des pentes, au retour des chaleurs ; et comme ces énormes masses ne trouvent point de digues qui les arrêtent, elles se précipitent avec un bruit effroyable au fond des vallées, détruisant, dans leur chute, prairies, bestiaux, villages, habitans. Une fois le roc mis à nu, les eaux pluviales qui pénètrent dans ses fissures le minent sourdement ; les fortes gelées le délitent et le dégradent; il tombe en ruine, et ses débris s'accumulent à la base des montagnes. Le mal est irréparable : les forêts bannies des hautes cimes n'y remontent jamais; les lavanges et les éboulemens, qui se renouvellent chaque année, changent bientôt en des déserts sauvages des vallées populeuses et florissantes (1).

Lorsqu'un pays est déboisé, les privations arrivent en foule : les arts s'éteignent faute de matières premières; les forges deviennent inactives et laissent sans emploi les minéraux renfermés dans le sein de la terre ; l'agriculture est tarie dans sa source; la vigne n'a plus d'abris, plus de tuteurs, et le peu de vin qu'elle produit manque de vaisseaux pour le contenir ; les animaux, privés de pâturage sur une terre aride, cessent d'offrir à l'homme leur coopération à ses travaux ou leurs dépouilles à ses besoins; le chauffage et la cuisson des alimens deviennent l'objet d'excessives dépenses, et l'on ne trouve souvent de ressources que dans les combustibles minéraux, ressources qui n'ont pas, comme les bois, la faculté de se reproduire; enfin tous les genres d'industrie et tous les besoins de la société semblent menacés quand l'imprudence et la cupidité portent leurs excès sur le sol forestier.

Ces tableaux, dont l'effrayante vérité est attestée par des monumens historiques, ne sont point inconnus dans plusieurs parties de la France, où d'immenses plaines de bruyères et de sables offrent encore quelques traces des bois qui les recouvroient dans des temps reculés.

(1) MIRBEL, Physiologie végétale.

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