Images de page
PDF
ePub

Il est guindé sans cesse; et dans tous ses propos
On voit qu'il se travaille à dire des bons mots.
Depuis que dans la tête il s'est mis d'être habile,
Rien netonche son goût, tant il est difficile :
Il veut voir des défauts à tout ce qu'on écrit,
Et pense que louer n'est pas d'un bel esprit:
Que c'est être savant que trouver à redire,
Qu'il n'appartient qu'aux sots d'admirer et de rire;
Et qu'en n'approuvantrien des ouvrages du temps,
H se met au-dessus de tous les autres gens:
Aux conversations même il trouve à reprendre,
Ce sont propos trop bas pour y daigner descendre;
Et, les deux bras croisés, du haut de son esprit,
Il regarde en pitié tout ce que chacun dit.

ACASTE..

Dieu me damne, voilà son portrait véritable.. CLITANDREà Célimène.

Pour bien peindre les gens vous êtes admirable.

ALCESTE.

Allons, ferme, poussez, mes bons amis de cour, Vous n'en épargnez point, et chacun a son tour; Cependant aucun d'eux à vos yeux ne se montre, Qu'on ne vous voie, en hâte, aller à sa rencontre, Lui présenter la main, et, d'un baiserflatteur, Appuyer les sermens d'être son serviteur.

CLITANDRE.

Pourquoi s'en prendre à nous! Si ce qu'on dit

vous blesse,

Il faut que le reproche à madame s'adresse.

ALCESTE..

Non, morbleu, c'est à vous; et vos ris complaisan
Tirent de son esprit tous ces traits médisans.
Son humeur satyrique est sans cesse nourrie
Par le coupable encens de votre flatterie;
Et son cœur à railler trouveroit moins d'appas,
S'il avoit observé qu'on ne l'applaudit pas.
C'est ainsi qu'aux flatteurs on doit par-tout se

prendre

Des vices où l'on voit les humains se répandre...

PHILINTE.

Mais pourquoi, pour ces gens, un intérêt si grand, Vous, qui condamneriez ce qu'en eux on reprend?

CÉLIMENE.

Et ne faut-il pas bien que monsieur contredise?
A la commune voix veut-on qu'il se réduise,
Et qu'il ne fasse pas éclater en tous lieux,
L'esprit contrariant qu'il a reçu des cieux ?
Le sentiment d'autrui n'est jamais pour lui plaire,
Il prend toujours en main l'opinion contraire
Et penseroit paroître un homme du commun,
Si l'on voyoit qu'il fût de l'avis de quelqu'un.
L'honneur de contredire a pour lui tant de

charmes,

Qu'il prend contre lui-même assez souvent les.

armes;

Et ses vrais sentimens sont combattus par lui, Aussitôt qu'il les voit dans la bouche d'autrui.

ALCESTE.

Les rieurs sont pour vous, madame, c'est tout dires Et vous pouvez pousser contre moi la satyre.

PHILINTE.

Mais il est véritable aussi que votre esprit
Se gendarme toujours contre tout ce qu'on dit;
Et que, par un chagrin que lui-même il avoue,
Il ne sauroit souffrir qu'on blâme ni qu'on loue...

ALCESTE.

C'est que jamais, morbleu, les hommes n'ont

raison,

Que le chagrin contre eux est toujours de saison, Et que je vois qu'ils sont, sur toutes les affaires, Loueurs impertinens, on censeurs téméraires..

Mais...

CÉLIMÈNE.

ALCESTE.

Non, madame, non, quand j'en devrois mourir,

Vous avez des plaisirs que je ne puis souffrir;
Et l'on a tort ici de nourrir dans votre ame
Ce grand attachement aux défauts qu'on y blâme..

CLITANDRE.

Pour moi, je ne sais pas, mais j'avouerai tout haus Que j'ai cru jusqu'ici madame sans défaut.

ACASTE.

De graces et d'attraits je vois qu'elle est pourvue, Mais les défauts qu'elle a ne frappent point ma

vue.

ALCESTE.

Ils frappent tous la mienne; et, loin de m'en ca

cher, Elle sait que j'ai soin de les lui reprocher. Plus on aime quelqu'un, moins il faut qu'on b

flatte;

A ne rien pardonner le pur amour éclate;
Et je bannirois, moi, tous ces lâches amans,
Que je verrois soumis à tous mes sentimens,
Et dont, à tout propos, les molles complaisances
Donneront de l'encens à mes extravagances.
CÉLIMÈNE.

Enfin, s'il faut qu'à vouss'en rapportent les cœurs,
On doit, pour bien aimer, renoncer aux douceurs;
Et du parfait amour mettre l'honneur supreme
A bien injurier les personnes qu'on aime.

ÉLIANTE.

L'amour, pour l'ordinaire, est peu fait à ces lois,
Et l'on voit les amans vanter toujours leurs choix.
Jamais leur passion n'y voit rien de blamable,
Et, dans l'objet aimé, tout leur devientaimable.
Ils comptent les défauts pour des perfections,
Et savent y donner de favorables noms.
La pâle est aux jasmins en blancheur comparable;
La noire à faire peur, une brune adorable;
La maigre a de la taille et de la liberté ;
La grasse est, dans son port, pleine de majesté :
La mal-propre, sur soi de peu d'attraits chargée,
Est mise sous le nom de beauté négligée ;
La géante paroît une déesse aux yeux;
La naine, un abrégé des merveilles des cieux ;
L'orgueilleuse a le cœur digne d'une couronne;

1

La fourbea de l'esprit, la sotte est toute bonne;
La trop grande parleuse est d'agréable humeur,
Et la muette garde une honnète pudeur.
C'est ainsi qu'un amant, dont l'amour est extrême,
Aime jusqu'aux défauts des personnes qu'il aime.

ALCESTE.

Et moi, je soutiens, moi...

CÉLIMÈNE.

1

Brisons-là ce discours,

Et dans la galerie allons faire deux tours;

Quoi! vous vous en allez, messieurs?

CLITANDRE et ACASTE

Non pas, madame.

ALCESTE.

La peur de leur départ occupe fort votre ame. Sortez quand vous voudrez, messieurs; mais

j'avertis

Que je ne sors qu'après que vous serez sortis.

ACASTE.

A moins de voir madame en ètre importunée, Rien ne m'appelle ailleurs de toute la journée.

CLITANBRE.

Moi, pourvu que je puisse être au petit couché, Je n'ai point d'autre affaire où je sois attaché.

CÉLIMENE à Alceste.

C'est pour rire, je crois.

ALCESTE.

Non, en aucune sorte,

Nous verrons si c'est moi que vous voudrez qui

sorte.

SCÈNE VI.

ALCESTE, CÉLIMÈNE, ELIANTE, ACASTE

PHILINTE, CLITANDRE, BASQUE.

BASQUE à Alceste.

Monsieur, un homme est là, qui voudroit vous

parler

Pour affaire, dit-il, qu'on ne peut reculer.

ALCESTE.

Dis-lui que je n'ai point d'affaires si pressées.

[blocks in formation]

ALÇESTE, CÉLIMÈNE, ÉLIANTE, ACASTE,

PHILINTE, CLITANDRE, UN GARDE de la

[blocks in formation]

ment,

Vous mandent de venir les trouver promptement, Monsieur.

ALCESTE.

Qui, moi, monsieur?

IEGARDE.

Vous-même.

ALCESTE.

Et pourquoi faire?

PHILINTE à Alceste.

C'est d'Oronte et de vous la ridicule affaire.

Comment?

CÉLIMÈNE à Philinte.

PHILINTE.

Oronte et lui se sont tantôt bravés

« PrécédentContinuer »