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L'ART

POÉTIQUE

DE

BOILEAU.

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229

L'ART POÉTIQUE.

CHANT PREMIER.

Dans ce premier chant, l'auteur donne des règles générales pour la poésie ; mais ces règles n'appartiennent point si proprement à cet art, qu'elles ne puissent aussi être pratiquées utilement dans les autres genres d'écriture. Une courte digression renferme l'histoire de la poésie françoise, depuis Villon jusqu'à Malherbe.

C'EST

EST en vain qu'au Parnasse un téméraire au

teur

Pense de l'art des vers atteindre la hauteur.
S'il ne sent point du ciel l'influence secrète >
Si son astre, en naissant, ne l'a formé poète,
Dans son génie étroit il est toujours captif,
Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.
O vous donc, qui, brûlant d'une ardeur péril-
leuse,

pas

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Courez du bel esprit la carrière épineuse,
N'allez sur des vers sans fruit vous consumer,
Ni prendre pour génie un amour de rimer!
Craignez d'un vain plaisir les trompeuses amorces,
Et consultez long-temps votre esprit et vos forces.
La nature fertile en esprits excellens,

Sait entre les auteurs partager les talens.
L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme:
L'autre, d'un trait plaisant aiguiser l'épigramme.
Malherbe d'un béros peut vanter les exploits;
Racan chanter Philis, les bergers et les bois.

S

Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s'aime, Méconnoit son génie, et s'ignore soi-même. Ainsi tel autrefois qu'on vit avec Faret Charbonner de ses vers les murs d'un cabaret , S'en va mal-à-propos,

d'une voix insolente , Chanter du peuple Hébreu la fuite triomphante; Et poursuivant Moïse au travers des déserts, Court avec Pharaon se noyer dans les mers. Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant, ou

sublime, Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime: L'un l'autre vainement ils semblent se haïr; La rime est un esclave, et ne doit qu'obéir. Lorsqu'à la bien chercher d'abord on s'évertue , L'esprit à la trouver aisément s'habitue. Au joug de la raison sans peine elle fléchit, Et loin de la gèner, la sert et l'enrichit. Mais lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle; Et

pour la rattraper , le sens court après elle. Aimez donc la raison. Que toujours vos écrits Empruntentd'elle seule et leur lustre et leur prix.

La plupart emportés d'une fougue insensée, Toujours loin du droit sens vont chercher leur

pensée. Ils croiroient s'abaisser dans leurs vers mons

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trueux ,

S'ils pensoient ce qu'un autre a pu penser comme

eux.
Evitons ces excès. Laissons à l'Italie
De tous ces faux brillans l'éclatante folie.
Tout doit tendre au bon sens;

mais

pour y par

venir,

Le chemin est glissant et pénible à tenir.
Pour peu qu'on s'en écarte , aussitôt on se noie,
La raison, pour marcher, n'a souvent qu'unevoie.

Un auteur , quelquefois trop plein de son objet,
Jamais sans l'épuiser n'abandonne un sujet.
S'il rencontre un.palais, il m'en dépeint la face;

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:

Il me promène après de terrasse en terrasse.
Ici s'offre un perron ; là règne un corridor :
Là ce balcon s'enferme en un balustre d'or.
Il compte des plafonds les ronds et les ovales.
Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales.
Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin .*
Et je me sauve à peine au travers du jardin.

a
Fuyez de ces auteurs l'abondance stérile;
Et ne vous chargez point d'un détail inutile.
Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant:
L'esprit rassasié le rejette à l'instant.
Qui ne sait se borner, ne sut jamais écrire,
Souvent la

peur

d'un mal nous conduit dans un

pire. Un vers étoit trop foible, et vous le rendez dur. J'évite d'être long, el je deviens obscur, L'un n'est point trop fardé : mais sa muse est trop

nue. L'autre a peur ramper, il se perd dans la nue.

Voulez-vous du public mériter les amours ? Sans cesse en écrivant variez vos discours. Un style trop égal et toujours uniforme, En vain brille à nos yeux : il faut qu'il nous en

dorme. On lit peu ces auteurs, nés pour nous ennuyer Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.

Heureux qui dans ses vers sait d'une vois légère: Passer du grave au doux, du plaisant au sévère! Son livre aimé du ciel, et chéri des lecteurs, Est souvent chez Barbin entouré d'acheteurs.

Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse : Le style le moins noble a pourtant sa noblesse. Au mépris du bon sens, le burlesque effronté Trompa les yeux d'abord, plut par sa nouveauté. On ne vit plus en vers, que pointes triviales : Le Parnasse parla le langage des halles : La licence à rimer alors n'eut plus de frein.

de

:

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