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Qui, lui-même.

AMAN.

HYDASPE

Hé, seigneur! d'une si belle vie Un si foible ennemi peut-il troubler la paix ?

AMAN.

L'insolent devant moi ne se courba jamais.
En vain de la faveur du plus grand des monarques
Tout révère à genoux les glorieuses marques;
Lorsque d'un saint respect tous les Persans tou-

chés,

N'osent lever leurs fronts à la terre attachés,
Lui, fiérement assis, et la tête immobile,
Traite tous ces honneurs d'impiété servile,
Présente à mes regards un front séditieux,
Et ne daigneroit pas au moins baisser les yeux.
Du palais cependant il assiége la porte:
A quelque heure que j'entre, Hydaspe, ou que

je sorte,

Son visage odieux m'afflige et me poursuit;
Et mon esprit troublé le voit encor la nuit.
Ce matin j'ai voulu devancer la lumière:
Je l'ai trouvé couvert d'une affreuse poussière,
Revêtu de lambeaux, tout pâle; mais son œil
Conservoit sous la cendre encor le même orgueil.
D'où lui vient, cher ami, cette impudente audace?
Toi, qui dans ce palais vois tout ce qui se passe,
Crois-tu que quelque voix ose parler pour lui?
Sur quel roseau fragile a-t-il mis son appui ?

HYDASPE.

Seigneur, vous le savez, son avis salutaire
Découvrit de Tharès le complot sanguinaire.
Le roi promit alors de le récompenser:..
Le roi, depuis ce temps, paroît n'y plus penser.

AMAN

Non, il faut à tes yeux dépouiller l'artifice:
J'ai su de mon destin corrigerdlinjustice:
Dans les mains des Persan's jeune enfant apporté,
Je gouverne l'empire où je fus auldetés

Mes richesses des rois égalent l'opulence; Environné d'enfans, soutiens de ma puissance, Il ne manque à mon front que le bandeau royal: Cependant (des mortels aveuglement fatal!) De cet amas d'honneurs la douceur passagère Fait sur mon cœur à peine une atteinte légère ; Mais Mardochée, assis aux portes du palais, Dans ce cœur malheureux enfonce mille traits; Et toute ma grandeur me devient insipide Tandis que le soleil éclaire ce perfide.

HYDASPE.

Vous serez de sa vue affranchi dans dix jours: La nation entière est promise aux vautours.

AMAN.

Ah! que ce temps est long à mon impatience!
C'est lui, je te veux bien confier ma vengeance,
C'est lui qui devant moi refusant de ployer,
Les a livrés au bras qui les va foudroyer.
C'étoit trop peu pour moi d'une telle victime:
La vengeance trop foible attire un second crime.
Un homme tel qu'Aman, lorsqu'on l'ose irriter,
Dans sa juste fureur ne peut trop éclater.
Il faut des châtimens dont l'univers frémisse;
Qu'on tremble en comparant l'offense et le sup-

plice;

Que les peuples entiers dans le sangsoient noyés. Je veux qu'on dise un jour aux siècles effrayés: Il fut des Juifs; il fut une insolente race; Répandus sur la terre, ils en couvroient la face : Un seul osa d'Aman attirer le courroux; Aussitôt de la terre ils disparurent tous.

"

HYDASPE.

:

Ce n'est donc pas, seigneur, le sang amalécite Dont la voix à les perdre en secret vous excite ?

AMAN.

Je sais que, descendu de ce sang malheureux, Une éternelle haine a dû m'armer contre eux; Qu'ils firent d'Amalec un indigne carnage:

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Que, jusqu'aux vils troupeaux, tout éprouva

leur rage;

Qu'un déplorable reste à peine fut sauvé:
Mais, crois-moi, dans le rang où je suis élevé,
Mon ame, à ma grandeur tout entière attachée,
Des intérêts du sang est foiblement touchée.
Mardochée est coupable; et que faut-il de plus?
Je prévins donc contre eux l'esprit d'Assuérus.;
J'inventai des couleurs, j'armai la calomnie;
J'intéressai sa gloire; il trembla pour sa vie:
Je les peignis puissans, riches, séditieux;
Leur dieu même ennemi de tous les autres dieux.
Jusqu'à quand souffre-t-on que ce peuple respire,
Et d'un culte profane infecte votre empire ?
Etrangers dans la Perse, à nos topposés,
Du reste des humains ils mains ils semblent divisés,
N'aspirent qu'à troubler le repos où nous som-

mes,

Et détestés par-tout détestent tous les hommes.
Prévenez, punissez leurs insolens efforts;
De leur dépouille enfin grossissez vos trésors.
Je dis; et l'on me crut. Le roi, dès l'heure même,
Mit dans ma main le sceau de son pouvoir su-

prême : Assure, me dit-il, le repos de ton roi. Va, perds ces malheureux : leur dépouille està

toi.

Toute la nation fut ainsi condamnée.
Du carnage avec lui je réglai la journée.
Mais de ce traître enfin le trépas différé
Fait trop souffrir mon cœur de son sang altéré.
Un je ne sais quel trouble empoisonne ma joie.
Pourquoi dix jours encor faut-il que je le voie?

HYDASPE.

Et ne pouvez-vous pas d'un mot l'exterminer ? Dites au roi, seigneur, de vous l'abandonner.

AMAN.

Je viens pour épier le moment favorable.

Ta

Tu connois comme moi ce prince inexorable: Tu sais combien terrible en ses soudains trans

ports,

De nos desseins souventil rompt tous les ressorts Mais à me tourmenter ma crainte est trop subtile Mardochée à ses yeux est une ame trop vile.

HYDASPE.

Que tardez-vous? Allez, et faites promptement Elever de sa mort le honteux instrument.

AMAN.

J'entends du bruit; je sors. Toi, si le roi m'ap

Il suffit.

pelle....

YDASPE.

CÈNE II.

ASSUÉRUS, HYDASPE, ASAPH;

SUITE D'ASSUŚKUS.

ASSUÉRUS.

Ainsi donc, sans cet avis fidelle, Deux traîtres dans son lit assassinoient leur roi. Qu'on me laisse, et qu'Asaph seul demeure avec

moi.

SCÈNE III.

ASSUERUS, ASAPH.

ASSUÉRUS, assis sur son trône.

Je veux bien l'avouer: de ce couple perfide
J'avois presque oublié l'attentat parricide;
Et j'ai pali deux fois au terrible récit
Qui vient d'en retracer l'image à mon esprit.
Je vois de quel succès leur fureur fut suivie,
Et que dans les tourmens ils laissèrent la vie.
Mais ce sujet zélé qui, d'un œil si subtil,
Sut de leur noir complot développer le fil,
Qui me montra sur moi leur main déjà levée,

:

Enfin par qui la Perse avec moi fut sauvée, Quel honneur pour sa foi, quel prix a-t-il reçu ?

ASAPH.

On lui promit beaucoup: c'est tout ce que j'ai su.

ASSUÉRUS.

O d'un si grand service oubli trop condamnable!
Des embarras du trône effet inévitable!
De soins tumultueux un prince environné,
Vers de nouveaux objets est sans cesse entraîné;
L'avenir l'inquiète, et le présent le frappe:
Mais plus prompt que l'éclair, le passé nous

échappe;

Et de tant de mortels à toute heure empressés
A nous faire valoir leurs soins intéressés,
Il ne s'en trouve point qui, touchés d'un vrai zèle,
Prennent à notre gloire un intérêt fidèle,
Du mérite oublié nous fassent souvenir,
Trop prompts à nous parler de ce qu'il faut punir.
Ah! que plutôt l'injure échappe à ma vengeance,
Qu'un si rare bienfait à ma reconnoissance!
Et qui voudroit jamais s'exposer pour son roi?
Ce mortel qui montra tant de zèle pour moi
Vit-il encore?

ASAPH.

Il voit l'astre qui vous éclaire.

ASSUÉRUS.

Et que n'a-t-il plutôt demandé son salaire ?
Quel pays reculé le cache à mes bienfaits?

ASAPн.

Assis le plus souvent aux portes du palais,
Sans se plaindre de vous ni de sa destinée,
Il y traîne, seigneur, sa vie infortunée.

ASSUÉRUS.

Et je dois d'autant moins oublier la vertu, Qu'elle-même s'oublie. Il se nomme, dis-tu ?

ASAPH.

Mardochée est le nom que je viens de vous lire.

Et son pays?

ASSUÉRUS.

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