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ATHALIE.

Mais cet enfant fatal, Abner, vous l'avez vu; Quel est-il? de quel sang? et de quelle tribu?

ABNER.

Deux enfans à l'autel prêtoient leur ministère : L'un est fils de Joad; Josabet est sa mère; L'autre m'est inconnu.

MATHAN.

Pourquoi délibérer?

De tous les deux, madame, il se faut assurer. Vous savez pour Joad mes égards, mes mesures; Que je ne cherche point à venger mes injures; Que la seule équité règne en tous mes avis : Mais lui-même, après tout, fût-ce son propre fils, Voudroit-il un moment laisser vivre un coupable?

ABNER.

De quel crime un enfant peut-il être capable?

MATHAN.

Le ciel nous le fait voir un poignard à la main : Le ciel est juste et sage, et ne fait rien en vain. Que cherchez-vous de plus?

ABNER.

Mais sur la foi d'un songe,

Dans le sang d'un enfant voulez-vous qu'on se

plonge? Vous ne savez encore de quel père il est né, Quel il est.

MATHAN.

On le craint; tout est examiné. A d'illustres parens s'il doit son origine, La splendeur de son sort doit håter sa ruine: Dans le vulgaire obscur si le sort l'a placé, Qu'importe qu'au hasard un sang vil soit versé? Est-ce aux rois à garder cette lente justice? Leur sureté souvent dépend d'un prompt sup

plice.

N'allons point les gêner d'un soin embarrassant: Dès qu'on leur est suspect, on n'est plus in

nocent.

ABNER.

Hé quoi, Mathan! d'un prêtre est-ce là le langage? Moi, nourri dans la guerre aux horreurs du car

nage, Des vengeances des rois ministre rigoureux, C'est moi qui prête ici ma voix au malheureux! Et vous, qui lui devez des entrailles de père, Vous, ministre de paix dans les temps de colère, Couvrant d'un zèle faux votre ressentiment, Le sang à votre gré coule trop lentement !

Vous m'avez commandé de vous parler sans feinte,

Madame: quel est donc ce grand sujet de crainte? Un songe, un foible enfant, que votre œil pré

veny Peut-être sans raison croit avoir reconnu.

ATHALIE,

Je le veux croire, Abner, je puis m'être trompée: Peut-être un songe vain m'a trop préoccupée. Hé bien, il faut revoir cet enfant de plus près; 1len faut à loisir examiner les traits.

Qu'on les fasse tous deux paroître en ma pré

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Manqueroit-on pour moi de complaisance?

De ce refus bisarre où seroient les raisons?
Il pourroit me jeter en d'étranges soupçons.
Que Josabet, vous dis-je, ou Joad les amène.
Je puis, quand je voudrai, parler en souveraine.
Vos prêtres, je veux bien, Abner, vous l'avouer,
Des bontés d'Athalie ont lien de se louer.
Je sais sur ma conduite et contre ma puissance
Jusqu'où de leurs discours ils portent la licence:
Ils vivent cependant, et leur temple est debout.
Mais je sens que bientôt ma douceur est à bout.
Que Joad mette un frein à son zèle sauvage,
Et ne m'irrite point par un second outrage.
Allez.

SCÈNE VI.

ATHALIE, MATHAN, SUITE D'ATHALIE.

MATHAN.

Enfin je puis parler en liberté ; Je puis dans tout son jour mettre la vérité. Quelque monstre naissant dans ce temple s'élève, Reine: n'attendez pas que le nuage crève. Abner chez le grand-prêtre a devancé le jour : Pour le sang de ses rois vous savez son amour. Et qui sait si Joad ne veut point en leur place Substituer l'enfant dont le ciel vous menace, Soit son fils, soit quelque autre?

ATHALIE.

Oui, vous m'ouvrez les yeux: Je commence à voir clair dans cet avis des cieux. Mais je veux de mon doute être débarrassée: Un enfant est peu propre à trahir sa pensée; Souvent d'un grand dessein un mot nous fait

juger.

Laissez-moi, cher Mathan, le voir, l'interroger. Vous cependant, allez; et, sans jeter d'alarmes, A tous mes Tyriens faites prendre les armes.

SCÈNE VII.

JOAS, JOSABET, ATHALIE, ZACHARIE, ABNER, SALOMITH, DEUX LÉVITES, LE CHOEUR, SUITE D'ATHALIE.

JOSABET, aux deux lévites.

O vous, sur ces enfans si chers, si précieux, Ministres du Seigneur, ayez toujours les yeux.

ABNER, à Josabet.

Princesse, assurez-vous, je les prends sous ma

garde.

ATHALIE.

Oh ciel! plus j'examine, et plus je le regarde...

saisis.

C'est lui! D'horreur encor tous mes sens sont

(montrant Joas.)

Epouse de Joad, est-ce là votre fils?

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Le ciel jusqu'aujourd'hui...

ATHALIE, à Josabet.

Pourquoi vous pressez-vous de répondre pour lui?

C'est à lui de parler.

Dans un âge si tendre

JOSABBT.

Quel éclaircissement en pouvez-vous attendre?

ATHALIE.

Cet åge est innocent: son ingénuité

N'altère point encor la simple vérité.

Laissez-le s'expliquer sur tout ce qui le touche.

JOSABET, à part.

Daigne mettre, grand Dieu, ta sagesse en sa

bouche!

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JOAS.

Je suis, dit-on, un orphelin

Entre les bras de Dieu jeté dès ma naissance, Et qui de mes parens n'eus jamais connoissance,

ATHALIE.

Vous êtes sans parens?

JOAS.

Ils m'ont abandonné.

ATHALIE.

Comment? et depuis quand?

JOAS.

Depuis que je suis né.

ATHALIE.

Ne sait-on pas au moins quel pays est le vôtre ?

JOAS.

Ce temple est mon pays: je n'en connois point

d'autre.

ATHALIE.

Où dit-on que le sort vous a fait rencontrer ?

JOAS.

Parmi des loups cruels prêts à me dévorer.

ATHALIE.

Qui vous mit dans ce temple?

JOAS.

Une femme inconnue,

Qui ne dit point son nom, et qu'on n'a point revue.

ATHALIE,

Mais de vos premiers ans quelles mains ont pris

soin?

JOAS.

Dieu laissa-t-il jamais ses enfans au besoin?
Aux petits des oiseaux il donne leur pâture,
Et sa bonté s'étend sur toute la nature.

Tous les jours je l'invoque; et d'un soin paternel
Il me nourrit des dons offerts sur son autel.

ATHALIE.

Quel prodige nouveau me trouble et m'embar

rasse!

La douceur de sa voix, son enfance, sa grace, Font insensiblement à mon inimitié

Succéder.... Je serois sensible à la pitié !

ABNER.

Madame, voilà donc cet ennemi terrible?

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