Images de page
PDF
ePub

THÉRAPEUTIQUE MÉDICALE.

NOTE SUR UNE AFFECTION CATARRHALE ÉPIDÉMIQUE AVEC ANGINE COUENNEUSE ET SUR SON TRAITEMENT,

Par M. LEMERCIER, médecin des prisons et épidémies de l'arrondissement de Mayenne, correspondant de l'Académie royale de médecine.

La grippe, qui a attaqué tant de personnes dans la capitale, existe encore maintenant épidémiquement dans plusieurs parties du département de la Mayenne. Depuis deux mois et demi à trois mois, un nombre considérable d'individus, tant des villes que des campagnes, en ont été atteints. Presque tous les détenus de la prison de Mayenne viennent d'en être pris simultanéinent. Aux symptômes si connus de cette affection catarrhale bénigne viennent se joindre des affections rhumatismales, soit générales, soit locales, comme pleurodynies, torticolis, lombagos, gonflement des articulations; des douleurs dans les membres, des serremens des muscles des bras, des cuisses et des mollets ont lieu, comme si ces parties étaient pincées avec des tenailles. Un sentiment général de fatigue au moindre mouvement; le dégoût pour toute application, pour toute méditation, l'inertie physique et morale montrent que l'action de cette fièvre catarrhale ne se borne point à agir sur un organe ou systèmes d'organes, à l'exclusion des autres, mais qu'elle agit sur l'ensemble de l'organisme, et que le système nerveux lui-même reçoit l'influence de la cause de cette maladie. A una connaissance, une grande quantité de personnes, sous l'influence de l'épidémie régnante, ont été saisies de bronchites intenses, de pleurésics, de pleuro-pneumonies, de pleurodynies simples et doubles. Beaucoup de vieillards, incommodés par d'anciens rhumes, ont été victimes de pneumonies hypostatiques; plusieurs asthmatiques ont été frappés de catarrhes suffocans, accompagnés de râle muqueux ; quelques-uns sont morts très-promptement.

Dans cette épidémie, de jeunes enfans sont souvent affectés de coryza, avec de petites toux accompagnées de quintes convulsives, dans lesquelles la voix est sèche, sonore, enrouée; ces symptômes sont fréquemment suivis d'accès de strangulation, de pneumo-laryngalgies, de laryngo-trachéites, et les malades succombent en peu de jours, quelquefois même en peu d'heures, à des laryngites sur-aiguës sans TOME V. 9° LIV.

18

concrétion pelliculaire, ou à de véritables croups, le plus souvent compliqués, soit d'angines pharygiennes, gutturales, tonsillaires, couenneuses, soit de pneumonies aiguës ou de spasme du larynx, sans qu'il paraisse, sur aucune partie du corps, d'éruption morbileuse. De plus âgés sont atteints de pseudo-croups, simples ou compliqués, affection qui a des symptômes alarmans, et qui se termine, en trois ou quatre jours, par une légère expectoration, après avoir donné de grandes inquiétudes aux parens et aux médecins. D'autres sont saisis d'angines tonsillaires et pharygiennes. Dès le commencement de cette affection des voies digestives, la rougeur du pharynx est très-vive, le gonflement des amygdales est ordinairement considérable et la déglution difficile ; la luette, rouge, gonflée et pendante, touche la base de la langue; un ou deux jours après l'invasion, les piliers antérieurs du voile du palais, le palais, les amygdales, le pharynx, quelques parties de l'intérieur de la bouche, de la surface de la langue, se recouvrent çà et là, presque comme dans le muguet, de plaques membraniformes plus ou moins nombreuses, plus ou moins étendues, de couleur grise, jaunâtre ou blanche, caséeuses, s'enlevant facilement, non en lambeaux, comme lorsque la concrétion couenneuse est continue, mais par plaques irrégulières; ces productions se renouvellent avec promptitude, se propagent plutôt du côté du tube digestif et des fosses nasales que vers le conduit aérien, gênent la sécrétion de la salive et en empêchent l'expulsion.

Cette espèce de diphtherite donne toujours lieu à une dypsnée assez forte, non parce que le tube aérien est obstrué dans son intérieur, mais parce qu'il y a un serrement à la gorge qui produit une espèce de strangulation. Les obstacles qui existent à l'isthme du gosier et à la partie postérieure des fosses nasales forcent les malades à tenir la poitrine élevée et la bouche ouverte ; ce qui fait que l'air inspiré et expiré exerce une action dessiccative sur toute la muqueuse buccale; la langue se couvre d'un limon plus ou moins épais, qui se dessèche, devient rugueux, fendillé, contracte une couleur roussâtre d'abord, puis brunâtre, et quelquefois même noirâtre, qui n'indique point une adynamie essentielle, comme on pourrait être porté à le croire au premier examen. La déglution des solides ne se fait jamais qu'avec beaucoup de peine; celle des liquides est incessamment empêchée, toujours accompagnée de quintes de toux plus ou moins violentes. Ceux-ci n'offrant pas assez de résistance aux muscles du pharynx pour que leur action puisse s'exercer, une partie s'introduit dans le larynx et les bronches, et détermine la toux et souvent le rejet des liquides par le nez. Cette dysphagie des liquides fait que les malades n'osent étan

cher la soif qui les dévore, dans la crainte de rappeler la toux convulsive qui les agite et les suffoque pendant plusieurs minutes, et ces malheureux subissent, en quelque façon, le supplice que la fable nous rapporte avoir été imposé à Tantale. Quoique cette angine pultacée mérite la plus grande attention, et que ses symptômes soient très-alarmans ordinairement, elle n'est fâcheuse que lorsqu'il existe des complications graves, ou lorsque les malades commettent des écarts de régime, ou qu'elle n'est pas traitée convenablement; elle se termine presque constamment avant ou peu de jours après le premier septenaire, sans que la scarlatine se montre pendant cette fausse angine membraneuse.

Une véritable angine couenneuse se développe aussi dans cette affection épidémique. Un assez grand nombre d'individus de tout âge et de tout sexe en sont attaqués dès son début; les malades se plaignent de torticolis, de douleur et de chaleur au pharynx. En examinant le cou attentivement, on s'aperçoit à l'extérieur qu'il est gonflé, que les ganglions cervicaux et sous-maxillaires sont engorgés, que la face est un peu bouffie, que les yeux sont rouges et larmoyans; en regardant le fond de la cavité buccale, on voit la base de la langue d'un blanc sale, le voile du palais et la luette d'un rouge plus ou moins prononcé, il semble exister un gonflement uniforme de toute la muqueuse; la bouche est sèche, la soif se fait sentir, des nausées et même des vomissemens ont lieu, soit parce que la luette touche la base de la langue, soit parce qu'il existe un embarras gastrique; toute la peau du corps est chaude, le pouls plus fréquent que dans l'état normal. Si le soir ou le lendemain matin, on dirige ses regards sur l'intérieur de la gorge, lorsqu'il est possible de faire ouvrir la bouche, on découvre sur les piliers antérieurs les amygdales, le voile du palais et toute la partie gutturale, la muqueuse, parfois ramollie, souvent tapissée d'une espèce de membrane ou produit muqueux, d'autres fois parsemée de granulations semblables aux follicules de Brunner, et le plus ordinairement recouverte de plaques plus ou moins grandes, tantôt éloignées les unes des autres, tantôt réunies entre elles; ou bien l'on trouve une exsudation albumineuse continue, d'un blanc jaune, d'un aspect lardacé, qui ne s'enlève que difficilement et par lambeaux, qui semble éraillée, et laisse la muqueuse sous-jacente hérissée de petits points rougeâtres, qui sans doute correspondent aux filamens qui servent à unir la vraie et la fausse membrane. Lorsque le mal augmente, les symptômes locaux sont précédés, accompagnés ou suivis d'accablement, de prostration, de chaleur à la peau, de fréquence du pouls, de trouble passager dans les idées, d'une plus grande difficulté dans la déglutition, sans pour cela que la dysphagie soit excessivement

douloureuse, excepté au niveau du cartilage thyroïde et au-dessous, quand il y a œsophagite; les liquides éprouvent plus de peine à passer que les solides; souvent ils sont repoussés et rejetés par les narines; les malades nasıllent et toussent chaque fois qu'ils essaient de boire; beaucoup rendent des lambeaux plus ou moins considérables de fausses membranes ou de pellicules couenneuses; chez quelques-uns, les lèvres et les gencives saignent; la muqueuse qui double ces parties se ramollit, se déchire, devient d'un rouge obscur, et des portions sont rejetées par l'expuition ou détachées avec les doigts; la bouche exhale une odeur infecte, une espèce de stomatocace a lieu; on pourrait réellement confondre cette diphtherite gutturale avec une esquinancie gangréneuse; mais quand on fait bien attention, on voit que ce n'est qu'une inflammation du tissu muqueux, sans perte de substance, qui donne lieu à la formation d'une pellicule qui est colorée par le sang exhalé, ou par une hémorrhagie de la surface phlogosée, ce qui donne l'aspct, en quelque façon, d'une escarre à cette membrane molle et humide dès son origine. Jamais il n'y a destruction des amygdales ni de la muqueuse; sculement érosion de leur surface, et ensuite de leurs follicules. Si la maladie se propage aux organes de la voix, ou si un vrai croup vient l'aggraver, ou si elle n'est pas traitée à temps et convenablement, elle fait toujours de nombreuses victimes; mais quand le mal reste borné aux amygdales, au palais et au pharynx, et qu'il ne s'étend point ou au larynx ou à la trachée-artère et aux bronches, qu'un traitement prompt, actif et bien entendu, est employé malgré sa gravité, il est bien moins funeste. Le gosier s'humecte d'un mucus épais; souvent la salive devient plus abondante et sanguinolente ; des portions de la membrane couenneuse sont détachées à la suite de la toux ou de quelques vomissemens, et expulsées par morceaux après des quintes ou vomissemens plus ou moins forts. Alors la muqueuse buccale reste à découvert, et laisse voir sa couleur, qui est d'un rouge sombre, et sa surface inégale et rugueuse; sa régénération se fait promptement, et n'est point lente, comme dans les affections gangréneuses, où la perte de substance est plus profonde. Les malades ainsi affectés demeurent faibles pendant quelques jours, l'intérieur de la bouche sensible, les dents mobiles et vacillantes, la gorge peu douloureuse; la déglutition, soit des solides, soit des liquides, se fait assez facilement; la toux, sans être fatigante, revient encore de fois à autre ; l'appétit se prononce; quelques alimens passent, et relèvent les forces; la peau cesse d'être chaude; le pouls, à moins de fréquence, revient peu à peu à son état ordinaire; le sommeil a lieu dans le jour et plusieurs heures de suite; chaque nuit, le ventre est libre, les urines coulent bien,

le

désir des alimens se fait sentir de plus en plus, et les malades entrent en convalescence communément avant le douzième ou quinzième jour.

Traitement. Dans ces diverses variétés d'angines, les anti-phlogistiques m'ont toujours paru réussir mieux que les autres agens thérapeutiques. Appelé, dès l'origine du mal, dans l'angine laryngée, je prescris douze ou quinze sangsues au-devant, et sur les côtés du larynx, plus ou moins, suivant l'âge et la force des individus ; quelquefois je fais répéter, soit dans le même jour, soit le lendemain, cette application, selon que les morsures saignent plus ou moins long-temps, ou que le mal cède ou prend de l'intensité. Ces évacuations sanguines locales, répétées, chez les jeunes enfans, me semblent préférables à la saignée dans les inflammations intenses des muqueuses de la gorge, pour hâter la résolution et prévenir la terminaison fâcheuse qui arrive plutôt, suivant moi, par l'excès d'irritation, que par une cause morbifique. Il n'en est pas de même dans les angines tonsillaires, gutturales, pharyngiennes, pultacées, ou coueuneuses; j'ordonne dans ces cas une ou deux bonnes saignées de bras ou de pied, et peu de temps après, dix-huit ou vingt sangsues, sur les parties latérales du cou et sous les angles de la mâchoire; quand il n'existe aucune complication de phlogose d'organes, ni gastrite, ni gastro-entérite, le jour même, ou le lendemain de l'évacuation sanguine, je donne un grain d'émétique dans une ou deux onces de sirop de sucre, pour les enfans, en une ou deux doses; et deux grains dans du petit lait, aux malades plus avancés en âge, pour nettoyer l'estomac des matières qu'il renferme, désobstruer les voies aériennes des mucosités qui s'y trouvent, changer ou modifier la nature de l'affection, arrêter les progrès du mal, et prévenir, s'il est possible, la formation de la fausse membrane. Je fais appliquer immédiatement après, sur toute la gorge, des cataplasmes émolliens, qu'on renouvelle souvent, et qu'on entretient long-temps; je conseille, à l'intérieur, des bains de bouche, tièdes et mucilagineux; j'engage à les répéter au moins d'heure en heure; j'indique pour boisson le petit lait, la limonade, l'eau sucrée, l'eau et le sirop de groseille, l'eau de gruau, l'eau de veau, l'eau de poulet, et le bouillon aux herbes, suivant le goût des malades; je recommande à tous la diète la plus absolue; quand la maladie est avancée, je prescris comme dérivatifs, sur le conduit digestif, si la déglutition peut s'en faire, le calomel, à la dose d'un ou deux grains par heure dans un peu de miel, ou des potions émulsionnées, avec la résine de jalep et le sucre ; des demi-lavemens, plus ou moins fréquemment, suivant le besoin, avec la casse, le séné, l'huile de ricin ou le jalap. Les vomitifs, à cette période, loin de diminuer l'irritation, l'augmentent et ne favorisent aucunement l'expulsion de la

« PrécédentContinuer »