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fession de son crime; elle appelle donc de tous côtés les témoignages étrangers, et elle n'ose les décourager par la crainte d'une peine capitale. La loi française qui a une ressource de plus, ne craint pas tant d'intimider les témoins; au contraire, la raison demande qu'elle les intimide : elle n'écoute que les témoins d'une part; ce sont ceux que produit la partie publique; et le destin de l'accusé dépend de leur seul témoignage. Mais, en Angleterre, on reçoit les témoins des deux parts, et l'affaire est, pour ainsi dire, discutée entre eux. Le faux témoignage y peut donc être moins dangereux; l'accusé y a une ressource contre le faux témoignage, au lieu que la loi française n'en donne point. Ainsi, pour juger lesquelles de ces lois sont les plus conformes à la raison, il ne faut pas comparer chacune de ces lois à chacune il faut les prendre toutes ensemble, et les comparer toutes ensemble.

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CHAPITRE XII.

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lée, avant qu'il l'eût portée dans le lieu où il avait Lorsque le voleur était surpris avec la chose vorésolu de la cacher, cela était appelé chez les Rocouvert qu'après, c'était un vol non manifeste. mains un vol manifeste; quand le voleur n'était dé

La loi des Douze Tables ordonnait que le voleur manifeste fût battu de verges et reduit en servitude, s'il était pubère; ou seulement battu de verges, s'il était impubère : elle ne condamnait le voleur non manifeste qu'au payement du double de la chose volée.

Lorsque la loi Porcia eut aboli l'usage de battre

Que les lois qui paraissent les mêmes sont quelquefois de verges les citoyens et de les réduire en servitude,

réellement différentes.

Les lois grecques et romaines punissaient le recéleur du vol comme le voleur 2; la loi francaise fait de même. Celles-là étaient raisonnables, celle-ci ne l'est pas. Chez les Grecs et chez les Romains, le voleur étant condamné à une peine pécuniaire, il fallait punir le recéleur de la même peine : car tout homme qui contribue de quelque façon que ce soit à un dommage doit le réparer. Mais, parmi nous, la peine du vol étant capitale, on n'a pas pu, sans outrer les choses, punir le recéleur comme le voleur. Celui qui reçoit le vol peut, en mille occasions, le recevoir innocemment; celui qui vole est toujours coupable; l'un empêche la conviction d'un crime déjà commis, l'autre commet ce crime; tout est passif dans l'un, il y a une action dans l'autre il faut que le voleur surmonte plus d'obstacles, et que son âme se roidisse plus longtemps contre les lois.

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le voleur manifeste fut condamné au quadruple 1; et on continua à punir du double le voleur non manifeste.

Il paraît bizarre que ces lois missent une telle différence dans la qualité de ces deux crimes, et dans fut surpris avant ou après avoir porté le vol dans la peine qu'elles infligeaient en effet, que le voleur le lieu de sa destination, c'était une circonstance

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qui ne changeait point la nature du crime. Je ne saurais douter que toute la théorie des lois romaines sur le vol ne fût tirée des institutions lacédémoniennes. Lycurgue, dans la vue de donner à ses citoyens de l'adresse, de la ruse, et de l'activité, voulut qu'on exerçât les enfants au larcin, et qu'on fouettât rudement ceux qui s'y laisseraient surprendre cela établit chez les Grecs, et ensuite chez les Romains, une grande différence entre le vol manifeste et le vol non manifeste ".

Chez les Romains, l'esclave qui avait volé était précipité de la roche Tarpéienne. Là il n'était point question des institutions lacédémoniennes; les lois de Lycurgue sur le vol n'avaient point été faites pour les esclaves : c'était les suivre que de s'en écarter en ce point.

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mêmes circonstances que les nôtres : à Rome, s'ingérait de la médecine qui voulait ; mais parmi nous les médecins sont obligés de faire des études, et de prendre certains grades; ils sont donc censés connaître leur art.

A Rome, lorsqu'un impubère avait été surpris ! Les lois de Rome n'avaient pas été faites dans les dans le vol, le préteur le faisait battre de verges à sa volonté, comme on faisait à Lacédémone. Tout ceci venait de plus loin. Les Lacédémoniens avaient tiré ces usages des Crétois; et Platon, qui veut prouver que les institutions des Crétois étaient faites pour la guerre, cite celle-ci : « la faculté de « supporter la douleur dans les combats particuliers a et dans les larcins qui obligent de se cacher. >>

Comme les lois civiles dépendent des lois politiques, parce que c'est toujours pour une société qu'elles sont faites, il serait bon que, quand on veut porter une loi civile d'une nation chez une autre, on examinât auparavant si elles ont toutes les deux les mêmes institutions et le même droit politique.

Ainsi, lorsque les lois sur le vol passèrent des Crétois aux Lacédémoniens, comme elles y passèrent avec le gouvernement et la constitution même, ces lois furent aussi sensées chez un de ces peuples qu'elles l'étaient chez l'autre ; mais, lorsque de Lacédémone elles furent portées à Rome, comme elles n'y trouvèrent pas la même constitution, elles y furent toujours étrangères, et n'eurent aucune liaison avec les autres lois civiles des Romains.

CHAPITRE XIV.

Qu'il ne faut point séparer les lois des circonstances dans lesquelles elles ont été faites.

Une loi d'Athènes voulait que, lorsque la ville était assiégée, on fit mourir tous les gens inutiles 2. C'était une abominable loi politique, qui était une suite d'un abominable droit des gens. Chez les Grecs, les habitants d'une ville prise perdaient la liberté civile, et étaient vendus comme esclaves : la prise d'une ville emportait son entière destruction, et c'est l'origine non-seulement de ces défenses opiniâtres et de ces actions dénaturées, mais encore de ces lois atroces que l'on fit quelquefois.

Les lois romaines voulaient que les médecins pussent être punis pour leur négligence ou pour leur impéritie 3. Dans ce cas, elles condamnaient à la déportation un médecin d'une condition un peu relevée, et à la mort celui qui était d'une condition plus basse. Par nos lois il en est autrement.

Des Lois, liv. I.

2 Inutilis ætas occidatur, (Syrian., in Hermog.)

3 La loi Cornelia, de sicariis. Institutes, liv. IV, tit. m, de lege Aquilia, § 7.

CHAPITRE XV.

Qu'il est bon quelquefois qu'une loi se corrige elle-même.

La loi des Douze Tables permettait de tuer le voleur de nuit, aussi bien que le voleur de jour qui, étant poursuivi, se mettait en défense; mais elle voulait que celui qui tuait le voleur criât et appelât les citoyens ; et c'est une chose que les lois qui permettent de se faire justice soi-même doivent toujours exiger. C'est le cri de l'innocence, qui, dans le moment de l'action, appelle des témoins, appelle des juges. Il faut que le peuple prenne connaissance de l'action, et qu'il en prenne connaissance dans le moment qu'elle a été faite; dans un temps où tout parle, l'air, le visage, les passions, le silence, et où chaque parole condamne ou justifie. Une loi qui peut devenir si contraire à la sûreté et à la liberté des citoyens. doit être exécutée dans la présence des citoyens.

CHAPITRE XVI.

Choses à observer dans la composition des lois.

Ceux qui ont un génie assez étendu pour pouvoir donner des lois à leur nation ou à une autre, doivent faire de certaines attentions sur la manière de les former.

Le style en doit être concis. Les lois des Douze Tables sont un modèle de précision; les enfants les apprenaient par cœur 3. Les novelles de Justinien sont si diffuses qu'il fallut les abréger 4.

Le style des lois doit être simple; l'expression directe s'entend toujours mieux que l'expression réfléchie. Il n'y a point de majesté dans les lois du Bas-Empire; on y fait parler les princes comme

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des rhéteurs. Quand le style des lois est enflé, on ne les regarde que comme un ouvrage d'ostentation.

Il est essentiel que les paroles des lois réveillent chez tous les hommes les mêmes idées. Le cardinal de Richelieu convenait que l'on pouvait accuser un ministre devant le roi ; mais il voulait que l'on fût puni, si les choses qu'on prouvait n'étaient pas considérables; ce qui devait empêcher tout le monde de dire quelque vérité que ce fût contre lui, puisqu'une chose considérable est entièrement relative, et que ce qui est considérable pour quelqu'un ne l'est pas pour un autre.

La loi d'Honorius punissait de mort celui qui achetait comme serf un affranchi, ou qui aurait voulu l'inquiéter 2. Il ne fallait point se servir d'une expression si vague : l'inquiétude que l'on cause à un homme dépend entièrement du degré de sa sensibilité.

Lorsque la loi doit faire quelque vexation, il faut, autant qu'on le peut, éviter de la faire à prix d'argent. Mille causes changent la valeur de la monnaie; et avec la même dénomination on n'a plus la même chose. On sait l'histoire de cet impertinent de Rome 3, qui donnait des soufflets à tous ceux qu'il rencontrait, et leur faisait présenter les vingt-cinq sous de la loi des Douze Tables.

Lorsque, dans une loi, l'on a bien fixé les idées des choses, il ne faut point revenir à des expressions vagues. Dans l'ordonnance criminelle de Louis XIV 4, après qu'on a fait l'énumération exacte des cas royaux, on ajoute ces mots : « Et ceux dont de « tout temps les juges royaux ont jugé : » ce qui fait rentrer dans l'arbitraire dont on venait de sortir.

Charles VII dit qu'il apprend que des parties font appel trois, quatre et six mois après le jugement, contre la coutume du royaume, en pays coutumier 5; il ordonne qu'on appellera incontinent, à moins qu'il n'y ait fraude ou dol du procureur 6, ou qu'il n'y ait grande et évidente cause de relever l'appelant : la fin de cette loi détruit le commencement, et elle le détruisit si bien que dans la suite on a appelé pendant

trente ans 7.

La loi des Lombards ne veut pas qu'une femme

1 Testament politique.

2 Aut qualibet manumissione donatum inquietare voluerit. Appendice au code Théodosien, dans le premier tome des OEuvres du P. Sirmond, page 737.

3 AULU-GELLE, liv. XX, chap. I.

On trouve dans le procès-verbal de cette ordonnance les motifs que l'on eut pour cela.

5 Dans son ordonnance de Montel-lez-Tours, l'an 1453. 6 On pouvait punir le procureur sans qu'il fût nécessaire de troubler l'ordre public.

7 L'ordonnance de 1667 a fait des règlements là-dessus.

| qui a pris un habit de religieuse, quoiqu'elle ne soit pas consacrée, puisse se marier : « car, dit-elle, si <«< un époux, qui a engagé à lui une femme seulement << par un anneau, ne peut pas sans crime en épouser << une autre, à plus forte raison l'épouse de Dieu ou << de la sainte Vierge... » Je dis que dans les lois il fut raisonner de la réalité à la réalité; et non pas de la réalité à la figure, ou de la figure à la réalité.

Une loi de Constantin veut que le témoignage seul de l'évêque suffise, sans ouïr d'autres témoins. Ce prince prenait un chemin bien court: il jugeait des affaires par les personnes, et des personnes par les dignités.

Les lois ne doivent point être subtiles: elles sont faites pour des gens de médiocre entendement ; elles ne sont point un art de logique, mais la raison simple d'un père de famille.

Lorsque, dans une loi, les exceptions, limitations, modifications ne sont point nécessaires, il vaut beaucoup mieux n'en point mettre. De pareils détails jettent dans de nouveaux détails.

Il ne faut point faire de changement dans une loi sans une raison suffisante. Justinien ordonna qu'un mari pourrait être répudié sans que la femme perdit sa dot, si pendant deux ans il n'avait pu consommer le mariage 3. Il changea sa loi, et donna trois ans au pauvre malheureux 4. Mais, dans un cas pareil, deux ans en valent trois, et trois n'en valent pas plus que deux.

Lorsqu'on fait tant que de rendre raison d'une loi, il faut que cette raison soit digne d'elle. Une loi romaine décide qu'un aveugle ne peut pas plaider, parce qu'il ne voit pas les ornements de la magistrature 5. Il faut l'avoir fait exprès pour donner une si mauvaise raison, quand il s'en présentait tant de

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droits du roi, et si, dans ce cas, la raison de la loi civile ou ecclésiastique doit céder à la raison de la loi politique; mais je dirai que des droits si respectables doivent être défendus par des maximes graves. Qui a jamais vu fonder sur la figure d'un signe d'une dignité les droits réels de cette dignité ?

Davila dit que Charles IX fut déclaré majeur au parlement de Rouen à quatorze ans commencés, parce que les lois veulent qu'on compte le temps du moment au moment, lorsqu'il s'agit de la restitution et de l'administration des biens du pupille; au lieu qu'elles regardent l'année commencée comme une année complète, lorsqu'il s'agit d'acquérir des honneurs 2. Je n'ai garde de censurer une disposition qui ne paraît pas avoir eu jusqu'ici d'inconvénient; je dirai seulement que la raison alléguée par le chancelier de l'Hôpital n'était pas la vraie : il s'en faut bien que le gouvernement des peuples ne soit qu'un honneur.

En fait de présomption, celle de la loi vaut mieux que celle de l'homme. La loi française regarde comme frauduleux tous les actes faits par un marchand dans les dix jours qui ont précédé sa banqueroute 3: c'est la présomption de la loi. La loi romaine infligeait des peines au mari qui gardait sa femme après l'adultère, à moins qu'il n'y fût déterminé par la crainte de l'événement d'un procès, ou par la négligence de sa propre honte; et c'est la présomption de l'homme. Il fallait que le juge présumât les motifs de la conduite du mari, et qu'il se déterminât sur une manière de penser très-obscure. Lorsque le juge présume, les jugements deviennent arbitraires; lorsque la loi présume, elle donne au juge une règle fixe.

La loi de Platon, comme j'ai dit, voulait qu'on punît celui qui se tuerait, non pas pour éviter l'ignominie, mais par faiblesse 4. Cette loi était vicieuse en ce que, dans le seul cas où l'on ne pouvait pas tirer du criminel l'aveu du motif qui l'avait fait agir, elle voulait que le juge se déterminât sur ces motifs.

Comme les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, celles qu'on peut éluder affaiblissent la

1 Della guerra civile di Francia, page 96.

2 Ceux qui ont vu les livres savent que les lois veulent qu'en honneurs l'an commencé est réputé pour entier et accompli. Je citerai la loi qui est en nos livres, avec congé et licence: c'est la loi qui est assez vulgaire, ad rempublicam de munerib, et honorib. aux Pandectes, qui décide qu'il suffit d'avoir atteint, et non pas accompli, le dernier an de l'âge. (DuPLY, Traité de la majorité de nos rois, 1655, in-4°, page 364.) (P.)

3 Elle est du 18 novembre 1702. 4 Livre IX, des Lois.

législation. Une loi doit avoir son effet, et il ne faut pas permettre d'y déroger par une convention particulière.

La loi Falcidie ordonnait, chez les Romains, que l'héritier eût toujours la quatrième partie de l'hérédité; une autre loi permit au testateur de défendre à l'héritier de retenir cette quatrième partie c'est se jouer des lois. La loi Falcidie devenait inutile car, si le testateur voulait favoriser son héritier, celui-ci n'avait pas besoin de la loi Falcidie; et s'il ne voulait pas le favoriser, il lui défendait de se servir de la loi Falcidie.

Il faut prendre garde que les lois soient conçues de manière qu'elles ne choquent point la nature des choses. Dans la proscription du prince d'Orange, Philippe II promet à celui qui le tuera de donner à lui ou à ses héritiers vingt-cinq mille écus et la noblesse; et cela en parole de roi, et comme serviteur de Dieu. La noblesse promise pour une telle action! une telle action ordonnée en qualité de serviteur de Dieu! tout cela renverse également les idées de l'honneur, celles de la morale, et celles de la religion.

Il est rare qu'il faille défendre une chose qui n'est pas mauvaise, sous prétexte de quelque per. fection qu'on imagine.

Il faut dans les lois une certaine candeur. Faites pour punir la méchanceté des hommes, elles doivent avoir elles-mêmes la plus grande innocence. On peut voir dans la loi des Wisigoths cette requête ridicule par laquelle on fit obliger les Juifs à manger toutes les choses apprêtées avec du cochon, pourvu qu'ils ne mangeassent pas du cochon même. C'était une grande cruauté : on les soumettait à une loi contraire à la leur; on ne leur laissait garder de la leur que ce qui pouvait être un signe pour les reconnaître.

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sont de mauvais guides pour le législateur; les faits sont toujours mal exposés. Trajan, dit Jules Capitolin, refusa souvent de donner de ces sortes de rescrits, afin qu'on n'étendît pas à tous les cas une décision, et souvent une faveur particulière. Macrin avait résolu d'abolir tous ces rescrits 2; il ne pouvait souffrir qu'on regardât comme des lois les réponses de Commode, de Caracalla, et de tous ces autres princes pleins d'impéritie 3. Justinien pensa autrement, et il en remplit sa compilation. Je voudrais que ceux qui lisent les lois romaines distinguassent bien ces sortes d'hypothèses d'avec les sénatus-consultes, les plébiscites, les constitutions générales des empereurs, et toutes les lois fondées sur la nature des choses, sur la fragilité des femmes, la faiblesse des mineurs et l'utilité publique.

CHAPITRE XVIII.

Des idées d'uniformité.

Il y a de certaines idées d'uniformité qui saisissent quelquefois les grands esprits (car elles ont touché Charlemagne), mais qui frappent infailliblement les petits. Ils y trouvent un genre de perfection qu'ils reconnaissent, parce qu'il est impossible de nele pas découvrir : les mêmes poids dans la police, les mêmes mesures dans le commerce, les mêmes lois dans l'État, la même religion dans toutes ses parties. Mais cela est-il toujours à propos sans exception? Le mal de changer est-il toujours moins grand que le mal de souffrir? Et la grandeur du génie ne consisterait-elle pas mieux à savoir dans quel cas il faut l'uniformité, et dans quel cas il faut des différences? A la Chine, les Chinois sont gouvernés par le cérémonial chinois, et les Tartares par le cérémonial tartare : c'est pourtant le peuple du monde qui a le plus la tranquillité pour objet. Lorsque les citoyens suivent les lois, qu'importe qu'ils suivent la même ?

Voyez Jules Capitolin, in Macrino. 2 Ibid.

3 Il témoignait en cela beaucoup de sens. Quand le plus inepte ou le plus corrompu des juges, quand le plus fourbe ou le plus accrédité des plaideurs avait interrogé l'empereur sur une affaire particulière, et qu'il avait pu en obtenir un rescrit, c'était une loi de laquelle il n'était pas permis de s'écarter, et que l'on citait hardiment ensuite, contre l'esprit ou les dispositions d'une autre loi, dans toutes les affaires qui présentaient quelque ressemblance. (CHABRIT.)

CHAPITRE XIX.

Des législateurs.

Aristote voulait satisfaire tantôt sajalousie contre Platon, tantôt sa passion pour Alexandre. Platon était indigné contre la tyrannie du peuple d'Athènes. Machiavel était plein de son idole, le duc de Valentinois. Thomas More, qui parlait plutôt de ce qu'il avait lu que de ce qu'il avait pensé, voulait gouverner tous les États avec la simplicité d'une ville grecque 1. Harrington ne voyait que la république d'Angleterre, pendant qu'une foule d'écrivains trouvaient le désordre partout où ils ne voyaient point de couronne. Les lois rencontrent toujours les passions et les préjugés du législateur. Quelquefois elles passent au travers, et s'y teignent; quelquefois elles y restent, et s'y incorporent.

LIVRE TRENTIÈME ›.

THÉORIE

DES LOIS FÉODALES CHEZ LES FRANCS,

DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT AVEC L'ÉTABLISSEMENT DE LA MONARCHIE.

CHAPITRE I.

Des lois féodales.

Je croirais qu'il y aurait une imperfection dans mon ouvrage si je passais sous silence un événement arrivé une fois dans le monde, et qui n'arri

1 Dans son Utopie.

2 Cette dernière partie du livre immortel de l'Esprit des Lois est la seule contre laquelle la critique semble avoir conservé quelque avantage. Parmi les gens de goût, il en est peu qui aient eu le courage de la lire, et ceux qui l'ont lue se plaignent de n'avoir pu l'entendre. Il fallait conduire peu a peu le lecteur dans les routes ténébreuses de ces siècles reculés, lier tous les faits, expliquer tous les mots de ces lois dont on n'entend plus la langue, suppléer aux monuments qui manquent par des développements étendus de ceux qui nous restent; il ne fallait rien supprimer, rien franchir : mais cette méthode était opposée à la nature du génie de Montesquieu. Occupé à découvrir, il ne l'est jamais à démontrer; on dirait qu'il ne songe jamais qu'on doit le lire, ou qu'il suppose que tous ses lecteurs ont son génie. Un mélange continuel de fragments de lois barbares et de pensées courtes et détachées, de textes obscurs et de commentaires profonds, fatigue l'attention la plus forte, et fait fermer le livre à chaque instant. Des traits lumineux, des expressions d'un grand éclat vous avertissent bien que vous marchez dans ces ténèbres à la suite d'un homme de génie; mais rien n'est éclairé : il crée la lumière, et ne la répand pas sur les objets. (GARAT, Mercure de France, 6 mars 1784.)

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