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mité qui la force à franchir les bornes de la réserve prescrite à son sexe; elle ne se décide à faire des avances à Valère que parce qu'elle sera obligée d'épouser Sganarelle dans six jours. Toute l'adresse et tout l'esprit que la captivité et la contrainte peuvent donner à une jeune fille se développent dans ce rôle. La scène où elle remet à son tuteur le paquet cacheté est surtout admirable; la pudeur qu'elle affecte, l'observation qu'elle fait à Sganarelle pour l'empêcher d'ouvrir ce paquet, sont dans son caractère et dans sa situation : rien n'est plus théâtral.

Léonor forme un excellent contraste avec Isabelle : elle se Jivre aux plaisirs de son âge, mais sa conduite est irréprochable autant sa sœur a d'horreur pour Sganarelle, autant elle chérit un tuteur qui l'a élevée avec douceur et indulgence, et qui n'est ennemi ni d'une parure décente, ni des distractions honnêtes qu'une jeune personne peut se permettre : c'étoit P'unique situation au théâtre où l'on pût se permettre de présenter une fille de cet âge recevant les soins d'un vieillard, et l'aimant sincèrement.

Ergaste, dont le rôle est court, mais très-comique, présente un valet de ce siècle, qui, confident des amours de son maître, lui donne des conseils et le sert dans son intrigue. Lisette est peut-être un peu libre; mais telles étoient les soubrettes prises dans la classe du peuple : la décence étoit plus dans leur conduite que dans leurs paroles.

Enfin le dénouement de ce chef-d'œuvre est un des meilleurs qui existent dans la comédie : il n'exige point d'explication, n'entraîne point de longueurs : la présence seule de Léonor et d'Isabelle suffit pour montrer à Sganarelle qu'il est trompé.

LE PRINCE JALOUX avoit répandu quelques nuages sur la réputation naissante de Molière; L'ÉCOLE DES MARIS les dissipa; et ce grand homme reprit dans l'opinion la place qu'il méritoit.

LES FACHEUX,

COMÉDIE-BALLET

EN TROIS ACTES ET EN VERS,

Représentée à la fête de Vaux, le 20 août 1661; et à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 4 novembre de la même année.

AU ROI.

SIRE,

J'AJOUTE une scène à la comédie; et c'est une espèce de fâcheux assez insupportable qu'un homme qui dédie un livre. Votre majesté en sait des nouvelles plus que personne de son royaume, et ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elle se voit en butte à la furie des épîtres dédicatoires. Mais, bien que je suive l'exemple des autres, et me mette moimême au rang de ceux que j'ai joués, j'ose dire toutefois à votre majesté que ce que j'en ai fait n'est pas tant pour lui présenter un livre que pour avoir lieu de lui rendre grâces du succès de cette comédie. Je le dois, SIRE, ce succès qui a passé mon attente, non-seulement à cette glorieuse approbation dont votre majesté honora d'abord la pièce, et qui a entraîné si hautement celle de tout le monde, mais encore à l'ordre qu'elle me donna d'y ajouter un caractère de fâcheux dont elle eut la bonté de m'ouvrir les idées elle-même, et qui a été trouvé partout le plus beau morceau de l'ouvrage. Il faut avouer, SIRE, que je

n'ai jamais rien fait avec tant de facilité, ni si promptement, que cet endroit où votre majesté me commanda de travailler. J'avois une joie à lui obéir qui me valoit bien mieux qu'Apollon et toutes les muses; et je conçois par-là ce que je serois capable d'exécuter pour une comédie entière, si j'étois inspiré par de pareils commandements. Ceux qui sont nés en un rang élevé peuvent se proposer l'honneur de servir votre majesté dans les grands emplois; mais pour moi, toute la gloire où je puis aspirer, c'est de la réjouir. Je borne là l'ambition de mes souhaits; et je crois qu'en quelque façon ce n'est pas être inutile à la France que de contribuer en quelque chose au divertissement de son roi. Quand je n'y réussirai pas, ce ne sera jamais par un défaut de zèle ni d'étude, mais seulement par un mauvais destin qui suit assez souvent les meilleures intentions, et qui sans doute affligeroit sensiblement,

SIRE,

De votre majesté

le très-humble, très-obéissant

et très-fidèle serviteur,

MOLIÈRE.

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