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ACTE SECOND.

SCÈNE I.

ÉLISE, D. LOPE.

ÉLISE.

Tour ce que fait le prince, à parler franchement,
N'est pas ce qui me donne un grand étonnement;

Car, que

En

d'un noble amour une âme bien saisie

pousse les transports jusqu'à la jalousie,

Que de doutes fréquents ses vœux soient traversés,
Il est fort naturel, et je l'approuve assez :

Mais ce qui me surprend, don Lope, c'est d'entendre
Que vous lui préparez les soupçons qu'il doit prendre;
Que votre âme les forme, et qu'il n'est, en ces lieux,
Fâcheux que par vos soins, jaloux que par vos yeux.
Encore un coup, don Lope, une âme bien éprise
Des soupçons qu'elle prend ne me rend point surprise;
Mais qu'on ait sans amour tous les soins d'un jaloux,
C'est une nouveauté qui n'appartient qu'à vous.

D. LOPE.

Que sur cette conduite à son aise l'on glose!
Chacun règle la sienne au but qu'il se propose;
Et, rebuté par vous des soins de mon amour,

Je

songe auprès du prince à bien faire ma cour.

ÉLISE.

Mais savez-vous qu'enfin il fera mal la sienne,

S'il faut qu'en cette humeur votre esprit l'entretienne?

D. LOPE.

Et quand, charmante Elise, a-t-on vu,

s'il vous plaît,

Qu'on cherche auprès des grands que son propre intérêt;
Qu'un parfait courtisan veuille charger leur suite
D'un censeur des défauts qu'on trouve en leur conduite,
Et s'aille inquiéter si son discours leur nuit,

Pourvu que sa fortune en tire quelque fruit?
Tout ce qu'on fait ne va qu'à se mettre en leur grâce;
Par la plus courte voie on y cherche une place;
Et les plus prompts moyens de gagner leur faveur,
C'est de flatter toujours le foible de leur cœur,
D'applaudir en aveugle à ce qu'ils veulent faire,
Et n'appuyer jamais ce qui peut leur déplaire :
C'est là le vrai secret d'être bien auprès d'eux.
Les utiles conseils font passer pour fâcheux,
Et vous laissent toujours hors de la confidence,
Où vous jette d'abord l'adroite complaisance.
Enfin on voit partout que l'art des courtisans
Ne tend qu'à profiter des foiblesses des grands,
A nourrir leurs erreurs, et jamais dans leur âme
Ne porter les avis des choses qu'on y blame.

ÉLISE.

Ces maximes un temps leur peuvent succéder :
Mais il est des revers qu'on doit appréhender,

Et dans l'esprit des grands, qu'on tàche de surprendre,

Un rayon de lumière à la fin peut descendre,
Qui sur tous ces flatteurs venge équitablement
Ce qu'a fait à leur gloire un long aveuglement,
Cependant je dirai que votre âme s'explique

Un peu

bien librement sur votre politique;

Et ces nobles motifs, au prince rapportés,
Serviroient assez mal vos assiduités.

D. LOPE.

Outre que je pourrois désavouer sans blâme
Ces libres vérités sur quoi s'ouvre mon âme,
Je sais fort bien qu'Elise a l'esprit trop discret
Pour aller divulguer cet entretien secret.
Qu'ai-je dit, après tout, que sans moi l'on ne sache?
Et dans mon procédé que faut-il que je cache?
On peut craindre une chute avec quelque raison,
Quand on met en usage ou ruse ou trahison :
Mais qu'ai-je à redouter, moi qui partout n'avance
Que les soins approuvés d'un peu de complaisance,
Et qui suis seulement par
d'utiles leçons

La pente qu'a le prince à de jaloux soupçons?
Son âme semble en vivre, et je mets mon étude
A trouver des raisons à son inquiétude,

A voir de tous côtés s'il ne se passe rien
A fournir le sujet d'un secret entretien;
Et quand je puis venir, enflé d'une nouvelle,
Donner à son repos une atteinte mortelle,
C'est lors que plus il m'aime, et je vois sa raison
D'une audience avide avaler ce poison,

Et m'en remercier comme d'une victoire

Qui combleroit ses jours de bonheur et de gloire...
Mais mon rival paroît, je vous laisse tous deux :
Et, bien que je renonce à l'espoir de vos vœux,
J'aurois un peu de peine à voir qu'en ma présence
Il reçût des effets de quelque préférence;

Et je veux, si je puis, m'épargner ce souci.

ÉLISE.

Tout amant de bon sens en doit user ainsi.

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ENFIN nous apprenons que le roi de Navarre
Pour les désirs du prince aujourd'hui se déclare,
Et qu'un nouveau renfort de troupes nous attend
Pour le fameux service où son amour prétend.
Je suis surpris, pour moi, qu'avec tant de vitesse
On ait fait avancer... Mais...

SCÈNE III.

D. GARCIE, ÉLISE, D. ALVAR.

D. GARCIE.

QUE fait la princesse?

ÉLISE.

Quelques lettres, seigneur, je le présume ainsi.
Mais elle va savoir que vous êtes ici.

D. GARCIE.

J'attendrai qu'elle ait fait.

SCÈNE IV.

D. GARCIE.

PRES de souffrir sa vue,

D'un trouble tout nouveau je me sens l'âme émue,
Et la crainte, mêlée à mon ressentiment,

Jette par tout mon corps un soudain tremblement.
Prince, prends garde au moins qu'un aveugle caprice
Ne te conduise ici dans quelque précipice,
Et que de ton esprit les désordres puissants
Ne donnent un peu trop au rapport de tes sens :
Consulte ta raison, prends sa clarté pour guide;
Vois si de tes soupçons l'apparence est solide :
Ne démens pas leur voix; mais aussi garde bien
Que, pour les croire trop, ils ne t'imposent rien,
Qu'à tes premiers transports ils n'osent trop permettre,
Et relis posément cette moitié de lettre.

Ah! qu'est-ce que mon cœur, trop digne de pitié,
Ne voudroit pas donner pour son autre moitié!
Mais, après tout, que dis-je? il suffit bien de l'une,
Et n'en voilà que trop pour voir mon infortune.

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