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DON GARCIE

DE NAVARRE,

OU

LE PRINCE JALOUX,

COMÉDIE HÉROÏQUE

EN CINQ ACTES et en vers,

Représentée à Paris, dans la salle du Palais-Royal, le 4

février 1661.

MOLIÈRE. 2.

PERSONNAGES.

DON GARCIE, prince de Navarre, amant de done Elvire. DONE ELVIRE, princesse de Léon.

DON ALPHONSE, prince de Léon, cru prince de Castille sous le nom de don Sylve.

DONE IGNES, comtesse, amante de don Sylve, aimée par Maurégat, usurpateur de l'Etat de Léon.

ELISE, confidente de done Elvire.

DON ALVAR, confident de don Garcie, amant d'Elise.
DON LOPE, autre confident de don Garcie, amant d'Elise.
DON PEDRE, écuyer d'Ignès.

UN PAGE de done Elvire.

La scène est dans Astorgue, ville d'Espagne, dans le royaume de Léon.

DE NAVARRE,

OU

LE PRINCE JALOUX.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

DONE ELVIRE, ÉLISE.

DONE ELVIRE.

Nox, ce n'est point un choix qui pour ces deux amants
Sut régler de mon cœur les secrets sentiments;

Et le prince n'a point, dans tout ce qu'il peut être,
Ce qui fit préférer l'amour qu'il fait paroître.
Don Sylve, comme lui, fit briller à mes yeux
Toutes les qualités d'un héros glorieux;
Même éclat de vertus, joint à même naissance,
Me parloit en tous deux pour cette préférence;
Et je serois encore à nommer le vainqueur,
Si le mérite seul prenoit droit sur un cœur :
Mais ces chaînes du ciel qui tombent sur nos âmes
Décidèrent en moi le destin de leurs flammes;

Et toute mon estime, égale entre les deux,

Laissa vers don Garcie entraîner tous mes vœux.

ÉLISE.

Cet amour que pour lui votre astre vous inspire
N'a sur vos actions pris que bien peu d'empire,
Puisque nos yeux, madame, ont pu long-temps douter
Qui de ces deux amants vous vouliez mieux traiter.

DONE ELVIRE.

De ces nobles rivaux l'amoureuse poursuite
A de fâcheux combats, Élise, m'a réduite.
Quand je regardo's l'un, rien ne me reprochoit
Le tendre mouvement où mon âme penchoit ;
Mais je me l'imputois à beaucoup d'injustice,
Quand de l'autre à mes yeux s'offroit le sacrifice :
Et don Sylve, après tout, dans ses soins amoureux,
Me sembloit mér ter un destin plus heureux.
Je m'opposois encor ce qu'au sang de Castille
Du feu roi de Léon semble devoir la fille,
Et la longue amitié qui d'un étroit lien
Joignit les intérêts de son père et du mien.
Ainsi, plus dans mon âme un autre prenoit place,
I'lus de tous ses respects je plaignois la disgrâce :
Ma pitié, complaisante à ses brûlants soupirs,
D'un dehors favorable amusoit ses désirs,
Et vouloit réparer, par ce foible avantage,
Ce qu'au fond de mon cœur je lui faisois d'outrage.

ÉLISE.

Mais son premier amour que vous avez appris
Doit de cette contrainte affranchir vos esprits;

Et puisque avant ces soins où pour vous il s'engage

Done Ignès de son cœur avoit reçu l'hommage,
Et que, par des liens aussi fermes que doux,
L'amitié vous unit cette comtesse et vous,
Son secret révélé vous est une matière
A donner à vos vœux liberté tout entière;
Et vous pouvez sans crainte à cet amant confus
D'un devoir d'amitié couvrir tous vos refus.

DONE ELVIRE.

Il est vrai que j'ai lieu de chérir la nouvelle
Qui m'apprit que don Sylve étoit un infidèle,
Puisque par ses ardeurs mon cœur tyrannisé
Contre elles à présent se voit autorisé,

Qu'il en peut justement combattre les hommages,
Et, sans scrupule, ailleurs donner tous ses suffrages.
Mais enfin quelle joie en peut prendre ce cœur,
Si d'une autre contrainte il souffre la rigueur;
Si d'un prince jaloux l'éternelle foiblesse
Reçoit indignement les soins de ma tendresse,
Et semble préparer, dans mon juste courroux,
Un éclat å briser tout commerce entre nous?

ÉLISE.

Mais, si de votre bouche il n'a point su sa gloire, Est-ce un crime pour lui que de n'oser la croire? Et ce qui d'un rival a pu flatter les feux L'autorise-t-il pas à douter de vos vœux?

DONE ELVIRE.

Non, non, de cette sombre et lache jalousie

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