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SCÈNE VIII.

CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, DORANTE, LE MARQUIS, LYSIDAS, GALOPIN.

GALOPIN.

MADAME, on a servi sur table.

DORANTE.

Ah! voilà justement ce qu'il faut pour le dénoûment que nous cherchions, et l'on ne peut rien trouver de plus naturel. On disputera fort et ferme de part et d'autre, comme nous avons fait, sans que personne se rende; un petit laquais viendra dire qu'on a servi, on se levera, et chacun ira souper.

URANIE.

La comédie ne peut pas mieux finir, et nous ferons bien d'en demeurer là.

FIN DE LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.

MOLIÈRE. 2.

28

SUR

LA CRITIQUE

DE

L'ÉCOLE DES FEMMES.

MOLIÈRE, dans cette pièce, ne se borna pas à humilier ses ennemis : il présenta sous les traits les plus vrais et les plus comiques les sociétés qui existoient alors, et donna l'esquisse de quelques caractères qu'il approfondit par la suite. C'est une chose admirable que, dans une simple défense qui devoit peu intéresser le public, l'auteur ait pu faire entrer tant de scènes agréables, et que, sans noeud, sans intrigue, il soit parvenu à composer une pièce qu'on verroit encore avec plaisir si elle étoit remise au théâtre. Ce n'est point l'apologic de L'ÉCOLE DES FEMMES qu'on y cherche; l'agrément de cette comédie n'est plus contesté. Mais le lecteur, qui aime à suivre les progrès d'un homme de génie, remarque dans cette critique les germes de plusieurs conceptions que Molière méditoit alors, et qu'il fit entrer dans ses chefs-d'œuvre.

Les gens trop scrupuleux, et principalement les hypocrites, avoient trouvé de l'indécence dans le sermon d'Ar

nolphe : les derniers soutenoient que l'auteur, en parlant des chaudières bouillantes, avoit voulu tourner en ridicule les peines de l'enfer. Ce fut la première dispute que Molière eut avec les faux dévots; il leur répondit parfaitement dans cette pièce; mais ils étoient loin de s'attendre qu'il leur préparoit la comédie foudroyante du TARTUFFE. Il paroît en effet qu'il s'en occupa dès cette époque.

Les dames de l'hôtel de Rambouillet, qui avoient souffert assez patiemment LES PRÉCIEUSES RIDICULES, parce que l'auteur avoit eu l'adresse de leur faire croire qu'il n'avoit voulu attaquer que les sociétés de province, s'étoient récriées contre quelques passages de L'ÉCOLE DES FEMMES. Les naivetés d'Agnès les avoient choquées; et leur imagination travaillant sur des expressions qui offroient à la vérité plus d'un sens, elles y avoient trouvé la plus horrible indécence. Molière, qui ne pouvoit les souffrir, entrevit le parti qu'il étoit possible de tirer de leur pruderie et de leur prétendue spiritualité. Dès-lors il résolut de compléter le tableau de l'hôtel de Rambouillet, qui n'étoit qu'esquissé dans LES PRÉCIEUSES, et de mettre sur le théâtre l'abus du purisme et du néologisme que ces dames portoient très-loin.

Climène offre la première idée du rôle de Philaminte dans la comédie des FEMMES SAVANTES: même enthousiasme pour un mauvais poëte, même aversion pour ce qui tient aux idées généralement reçues, même affectation de déprimer tout ce qui n'est pas pointe ou jeux de mots.

On trouve aussi dans cette pièce le croquis de la prude Arsinoé du MISANTHROPE. Une femme cherche ridiculement ce

qui peut blesser la pudeur dans la comédie qu'elle critique; elle le commente, et paroît prendre plaisir à donner les explications les plus singulières. Cependant elle frémit de tant d'indécence; et l'un des personnages, fatigué de toutes ces grimaces, lui fait observer qu'on dit d'elle que ses oreilles sont plus chastes que tout le reste de son corps. N'est-ce pas la même idée que Célimène exprime dans LE MISANTHROPE?

Elle fait des tableaux couvrir les nudités ;

Mais elle a du penchant pour les réalités.

Molière, dans cette comédie du premier ordre, n'osa pas. exprimer la fausse délicatesse de certaines femmes qui trouvoient la langue indécente parce que quelques syllabes auroient pu l'être si on les eût isolées. Il transporta cette idée comique dans LA COMTESSE D'ESCARBAGNAS. ' On observe qu'il l'avoit indiquée dans LA CRITIQUE de l'École des FEMMES : le scrupule de cette dame, dit un homme raisonnable, va jusqu'à défigurer la langue; il n'y a point de mots dont sa sévérité ne veuille retrancher ou la tête ou la queue pour les syllabes déshonnêtes qu'elle g

trouve.

L'auteur, de son vivant, ne fut bien apprécié qu'à la cour; aussi, dans LES FEMMES SAVANTES, il peignit l'homme aimable

1 Cette idée est aussi développée, mais d'une manière plus décente, dans LES FEMMES SAVANTES. Philaminte dit qu'elles ont :

Un dessein plein de gloire, et qui sera vanté
Chez tous les beaux esprits de la postérité ;

C'est le retranchement de ces syllabes sales

Qui dans les plus beaux mots produisent des scandales.

dans le personnage du courtisan Clitandre. LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES présente l'esquisse de ce rôle. Dorante s'emporte contre le pédant Lysidas sur ce qu'il a l'air de mépriser les suffrages de la cour : « Il n'y a point de licu, dit-il, « où les décisions soient si justes; et sans mettre en ligne de « compte tous les gens savants qui y sont, du simple bon sens << naturel et du commerce de tout le beau monde, on s'y fait « une manière d'esprit qui, sans comparaison, juge plus fine«ment des choses que tout le savoir enrouillé des pédants. » Clitandre, dans LES FEMMES SAVANTES, développe cette idée en attaquant Trissotin.

Vous en voulez beaucoup à cette pauvre cour, etc.

Les précieuses cherchoient toujours à faire l'analyse de leurs sentiments; et ces subtilités produisoient un jargon souvent inintelligible. On parloit beaucoup de la différence de l'esprit et du cœur ; et cette distinction frivole, qu'on retrouve souvent dans les écrivains du dix-huitième siècle, est ici attaquée par Molière. «Je ne voudrois pas, dit une précieuse, que « Dorante fit mal sa cour à madame votre cousine, et je per« mets à son esprit d'être du parti de son cœur. »

Ces dames étoient fort empressées d'accueillir les nouveaux mots, et surtout ceux qui s'accordoient avec leurs idées : leur prétention à la pudeur rendit très-facile l'admission du mot obscénité; elles le répétoient chaque fois que leur délicatesse étoit blessée; et cela arrivoit souvent. Le désir qu'elles avoient de conserver le bon ton, et de ne pas descendre à des sociétés indignes d'elles, les rendit aussi indulgentes pour le mot

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