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Je ne vous dirai point si le comte est aimé :
Mais apprenez de moi qu'il est fort estimé;
Que ses hautes vertus, pour qui je m'intéresse,
Méritent mieux que vous les vœux d'une princesse;
Que je garde aux ardeurs, aux soins qu'il me fait voir,
Tout le ressentiment qu'une âme puisse avoir;
Et que, si des destins la fatale puissance

Môte la liberté d'être sa récompense,

Au moins est-il en moi de promettre à ses vœux
Qu'on ne me verra point le butin de vos feux.
Et, sans vous amuser d'une attente frivole,
C'est à quoi je m'engage; et je tiendrai parole.
Voilà mon cœur ouvert, puisque vous le voulez,
Et mes vrais sentiments à vos yeux étalés.
Êtes-vous satisfait? et mon âme attaquée
S'est-elle, à votre avis, assez bien expliquée?
Voyez, pour vous ôter tout lieu de soupçonner,
S'il reste quelque jour encore à vous donner.
(à don Sylve.)

Cependant si vos soins s'attachent à me plaire,
Songez que votre bras, comte, m'est nécessaire,
Et, d'un capricieux quels que soient les transports,
Qu'à punir nos tyrans il doit tous ses efforts.
Fermez l'oreille enfin à toute sa furie;

Et, pour vous y porter, c'est moi qui vous en prie.

SCÈNE IV.

D GARCIE; D. ALPHONSE, CRU D. SYlve,

D. GARCIE.

TOUT vous rit, et votre âme en cette occasion
Jouit superbement de ma confusion.

Il vous est doux de voir un aveu plein de gloire
Sur les feux d'un rival marquer votre victoire :
Mais c'est à votre joie un surcroît sans égal,
D'en avoir pour témoins les yeux de ce rival;
Et mes prétentions, hautement étouffées,
A vos vœux triomphants sont d'illustres trophées.
Goûtez à pleins transports ce bonheur éclatant :
Mais sachez qu'on n'est pas encore où l'on prétend.
La fureur qui m'anime a de trop justes causes,
Et l'on verra peut-être arriver bien des choses.
Un désespoir va loin quand il est échapp',
Et tout est pardonnable à qui se voit trompé.
Si l'ingrate, à mes yeux, pour flatter votre flamme,
A jamais n'être à moi vient d'engager son âme,
Je saurai bien trouver, dans mon juste courroux,
Les moyens d'empêcher qu'elle ne soit à vous.

D. ALPHONSE.

Cet obstacle n'est pas ce qui me met en peine.
Nous verrons quelle attente, en tout cas, sera vaine;
Et chacun de ses feux pourra, par sa valeur,
Ou défendre la gloire, ou venger le malheur.

Mais comme, entre rivaux, l'âme la plus posée

A des termes d'aigreur trouve une pente aisée,
Et que je ne veux point qu'un pareil entretien
Puisse trop échauffer votre esprit et le mien,
Prince, affranchissez-moi d'une gêne secrète,
Et me donnez moyen de faire ma retraite.

D. GARCIE.

Non, non, ne craignez point qu'on pousse votre esprit
A violer ici l'ordre qu'on vous prescrit.

Quelque juste fureur qui me presse et vous flatte,
Je sais, comte, je sais quand il faut qu'elle éclate.
Ces lieux vous sont ouverts; oui, sortez-en, sortez
Glorieux des douceurs que vous en remportez :
Mais, encore une fois, apprenez que ma tête
Peut seule dans vos mains mettre votre conquête.

D. ALPHONSE.

Quand nous en serons là, le sort en notre bras
De tous nos intérêts videra les débats.

FIN DU TROISIÈME ACTE.

ACTE QUATRIÈME.

SCÈNE I.

DONE ELVIRE, D. ALVAR.

DONE ELVIRE.

RETOURNEZ, don Alvar, et perdez l'espérance
De me persuader l'oubli de cette offense.

Cette plaie en mon cœur ne sauroit se guérir;
Et les soins qu'on en prend ne font rien que l'aigri.
A quelques faux respects croit-il que je défère?

Non, non,
Et son vain repentir qui porte ici vos pas,
Sollicite un pardon que vous n'obtiendrez pas.

il a poussé trop avant ma colère;

D. ALVAR.

Madame, il fait pitié : jamais cœur, que je pense,
Par un plus vif remords n'expia son offense;
Et, si dans sa douleur vous le considériez,
Il toucheroit votre àme, et vous l'excuseriez.
On sait bien que le prince est dans un âge à suivre
Les premiers mouvements où son âme se livre,
Et qu'en un sang bouillant toutes les passions
Ne laissent guère place à des réflexions.
Don Lope, prévenu d'une fausse lumière,

De l'erreur de son maître a fourni la matière.
In bruit assez confus, dont le zèle indiscret
A de l'abord du comte éventé le secret,
Vous avoit mise aussi de cette intelligence
Qui, dans ces lieux gardés, a donné sa présence.
Le prince a cru l'avis; et son amour séduit
Sur une fausse alarme a fait tout ce grand bruit.
Mais d'une telle erreur son âme est revenue:
Votre innocence enfin lui vient d'être connue;
Et don Lope qu'il chasse est un visible effet
Du vif remords qu'il sent de l'éclat qu'il a fait.

DONE ELVIRE.

Ah! c'est trop promptement qu'il croit mon innocence,
Il n'en a pas encore une entière assurance :
Dites-lui, dites-lui qu'il doit bien tout peser,
Et ne se hater point, de peur de s'abuser.

D. ALVAR.

Madame, il sait trop bien...

DONE ELVIRE.

Mais, don Alvar, de grâce,

N'étendons pas plus loin un discours qui me lasse;
Il réveille un chagrin qui vient à contre-temps
En troubler dans mon cœur d'autres plus importants.
Oui, d'un trop grand malheur la surprise me presse,
Et le bruit du trépas de l'illustre comtesse
Doit s'emparer si bien de tout mon déplaisir,
Qu'aucun autre souci n'a droit de me saisir.

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