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pas déjà à pareille conversion de Goschen-Stratford en Goschen-Elliot, de Gladstone-humanitaire en Gladstone-anglais ? Ecoutons les échos venant du Bosphore, du Danube, de la Sprée et de la Néva, et avant de nous enthousiasmer sur la situation actuelle de la question d'Orient, demandons-nous si les puissances, se réunissant au nom du Traité, sont disposées toutes également à le respecter et au besoin à le modifier; demandons-nous surtout comment Lord Granville entend introduire la réforme en Turquie est-ce avec le Sultan ou contre le Sultan? est-ce avec les pachas ou sans les pachas? That is the question.

(A suivre.)

Nous ne voudrions rien dire de désagréable au ministre qu a récemment distribué à la Chambre des députés et au Sénat cinq Livres Jaunes à la fois; ce serait mal reconnaître une innovation louable; cependant nous ne pouvons nous empêcher de lui signaler comment ses communications mêmes démontrent leur insuffisance.

Ces Livres Jaunes, quoique multiples, n'ont pas de numéro d'ordre; en en consultant les titres, on voit qu'il y a deux Recueils relatifs à la rectification des frontières turco-grecques, deux autres séries de pièces concernant la reconnaissance de l'indépendance de la Roumanie, et un Livre Jaune unique, intitulé : « Commission technique européenne formée en vertu d'un accord intervenu entre les Puissances signataires du Traité de Berlin. »>

C'est par ce Livre Jaune en une partie que nous avons commencé notre lecture; c'est aussi par lui que nous avons observé qu'à ce festin de documents, il est offert les condiments, mais que les entrées et les rôtis manquent. Chaque lecteur fera la même remarque; cette commission a siégé après qu'une autre commission, chargée de tracer la ligne de délimitation entre la Bulgarie et la Roumanie, s'était vue arrêtée dans ses travaux, faute d'entente sur le point à l'Est de Silistrie dont parle l'article 46 du Traité de Berlin. Le cabinet de Saint-Pétersbourg s'était fait fort de prouver qu'il n'est pas nécessaire, pour exécuter fidèlement le Traité, de séparer la ville de Silistrie de sa banlieue, et les puissances avaient consenti à prendre part à cette démonstration. Telle est l'origine de l'institution de la Commission technique; les puissances lui ont confié le soin de rechercher s'il est possible d'édifier, à la frontière roumanobulgare, un pont sur le Danube, ailleurs qu'à l'endroit fixé par la presque unanimité de la commission de délimitation, et dans quelles conditions une telle construction pourrait être exécutée. C'est sur la valeur de cette démonstration que la Commission technique européenne avait à se prononcer, sans aucune préoccupation d'ordre politique ou stratégique.

Les procès-verbaux de la commission et le rapport sommaire que le délégué français, M. Lalanne (de l'Institut), a adressé au ministre des Affaires Étrangères, montrent avec

quel zèle et quelle compétence la commission a cherché à éclaircir le problème; malheureusement l'unanimité n'a pu être obtenue, la question est revenue entière à la commission de délimitation, ou plus exactement, aux gouvernements respectifs. Nous n'avons donc pas devant nous un document diplomatique proprement dit: c'est un travail digne des recueils scientifiques; l'Académie des Sciences entendrait avec plaisir la lecture de la théorie des ponts appliquée au fleuve si variant et si rebelle du Danube; il ne nous déplaît point cependant que le Gouvernement ait jugé convenable de montrer aux Chambres comment le mandat confié à M. Lalanne a été fidèlement et honorablement rempli, comment les fonds votés ont été utilement employés ; mais, quand chaque ligne de ce Livre Jaune rappelle les travaux de la commission européenne de délimitation, nous ne voyons pas pourquoi le gouvernement prive les Chambres de ce moyen de contrôle et se prive luimême de cette satisfaction, en ne publiant pas les procèsverbaux des commissions de délimitation où la France était représentée par M. le commandant Lemoyne, M. le capitaine de génie Nicolas, M. le capitaine Marmier, M. le consul général Aubaret, et M. le consul général comte Colonna Ceccaldi. Il n'y a plus de secret diplomatique à respecter sur le tracé, devenu public, d'une frontière, pas plus qu'il n'y aurait d'inconvénient à communiquer aux chambres un Livre Jaune contenant le dossier de la commission européenne de Roumélie orientale, où M. le baron de Ring et M. Charles de Coutouly agissaient au nom de la République française. Tous ces travaux étant connus depuis janvier 1879 et depuis janvier 1880 par les Livres Bleus anglais, qui ou quoi craindrait-on de compromettre en publiant également la correspondance du cabinet avec ses divers Agents, outre les procès-verbaux des diverses commissions? Chapitre de géographie politique qui déjà est devenu chapitre de géographie économique, chapitre d'histoire contemporaine, le peuple français doit-il les ignorer, ou se condamner à en devoir la connaissance aux gouvernements étrangers?

Nous ne le croyons pas; nous croyons plus volontiers que le ministère, après avoir réuni les dossiers propres à montrer son action dans les questions où, en vertu de son haut degré d'initiative, il a eu une action plus prononcée, ne tardera pas à distribuer aux chambres d'autres Livres Jaunes sur des questions ou des sujets dans lesquels il a agi sans stimulant

autre que l'honneur et les intérêts de la patrie française. A ce vœu, se borne ce que nous avons à dire sur le Livre Jaune concernant la commission technique du pont.

Que si ce vœu n'était pas exaucé ou ne pouvait l'être, ce serait notre tâche, notre devoir, la mission que nous nous sommes donnée, et à laquelle nous ne faiblirons pas, de faire connaître à nos concitoyens les résultats où ont abouti les commissions mixtes dans lesquelles la France était représentée; nous ferons conaître la géographie actuelle de la Serbie, de la Roumanie, de la principauté de Bulgarie et de la Roumélie orientale; la Constitution de la Bulgarie, et le Règlement organique de la Roumélie orientale: autant de chapitres auxquelles les représentants de la France ont collaboré, et que le Portefeuille fera connaître et apprécier de ses lecteurs.

LA RECONNAISSANCE DE LA ROUMANIE

Les documents récemment déposés roulent sur deux questions où la diplomatie française a eu tous les honneurs et tous les désagréments de son initiative au Congrès de Berlin. Ces deux questions sont: 1° la rectification des frontières entre la Turquie et la Grèce, et 2° l'émancipation des Israélites en Roumanie; l'une encore pendante et appelée à figurer à l'ordre du jour du Sous-Congrès, l'autre ayant reçu sa solution, sinon celle que M. Waddington s'était promise quand il proposait au Congrès l'émancipation sommaire des Israélites de Roumanie, du moins celle qui permet de considérer une question comme close et de ne pas laisser en suspens d'autres intérêts également recommandables. On comprend que nous commencions notre résumé par la question résolue.

Quoique l'article 43 du Traité eût fait de l'émancipation civile et politique des Israélites une condition de la reconnaissance de l'indépendance de la Roumanie, néanmoins l'Autriche, la Russie et la Turquie avaient accrédité des ministres auprès du prince Charles, sans se préoccuper autrement de l'exécution de cette condition. En Roumanie, le gouvernement, les chambres et le peuple ne montraient pas le moindre empressement à s'y soumettre. Le Livre Jaune ne dit rien des motifs qui ont été allégués pour justifier la résistance de la Roumanie; il nous laisse ignorer ce qu'il s'est échangé de Notes, de Dépêches et de ministères roumains, entre le 13 Juillet 1878, date de la signature du Traité de Berlin et le mois d'avril 1879. Si nous voulions raconter à nos lecteurs l'histoire de cette question dans cet intervalle de 10 mois, nous la trouverions dans le Livre Bleu anglais avec une ampleur de détails qu'elle ne comporte plus aujourd'hui. A la date où commence ce Livre Jaune, les chambres roumaines avaient montré des dispositions à autoriser la révision de la Constitution, et notamment celle de l'article 7 qui interdisait d'une façon absolue la naturalisation des Israélites; l'agent de Roumanie à Paris avait essayé de pressentir l'influence qu'un tel vote, une fois obtenu à Bucharest, produirait sur l'esprit du Cabinet français. M. Waddington, tout en appréciant les tendances actuelles des chambres et les dispositions conciliantes du gouverne

PORTEFEUILLE, T. I. N° 1.

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