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votée au storthing et ordonnant la participation des ministres aux débats et aux travaux parlementaires. Le chef de l'opposition, M. Sverdrup, avait proposé de passer outre au refus de la Couronne et de faire promulguer la loi par le parlement. Reconnaissant toutefois qu'il y aurait là un empiètement manifeste du pouvoir législatif sur les attributions du pouvoir exécutif, il a retiré spontanément sa proposition et y a substitué une motion tendant à faire notifier au gouvernement la résolution du stor thing, avec invitation de la sanctionner comme faisant désormais partie intégrante de la constitution.

Les débats nouveaux auxquels cette motion a donné lieu au sein du storthing ont été longs et animés; la discussion a principalement porté sur la question de savoir si le roi possède un droit de velo absolu pour les résolutions du storthing impliquant une modification de la constitution, ou bien si le veto royal n'est que suspensif dans ce cas comme dans ceux où il ne s'agit que de lois ordinaires. Les partisans du droit de veto absolu en matière de révision constitutionnelle ont fait valoir que le pacte fondamental énumère les conditions dans lesquelles le veto suspensif peut s'exercer, et qu'une résolution visant à modifier la constitution n'offre pas ces conditions; ils ont ajouté que le veto absolu en matière de révision des lois fondamentales a été explicitement reconnu dans une adresse présentée au roi en 1824 par le storthing, et qu'il a été implicitement admis, à diverses reprises, par la représentation nationale; ils ont soutenu encore qu'il résulte clairement des délibérations d'où est sortie la constitution norvégienne, qu'on se trouve en face d'un contrat bilatéral conclu entre le roi et le peuple, et qui ne peut-être modifié que du consentement mutuel des deux parties contractantes. A ces arguments les adversaires du veto absolu répliquaient que le roi ne possède que les droits qui lui sont explicitement attribués par le texte de la constitution; or, il n'y est question que d'un veto suspensif, et cette opinion a été défendue dans le temps par M. Stang, qui est aujourd'hui premier ministre. M. Stang a changé d'avis, puisque c'est lui qui, dans le cas actuel, conseille à la Couronne de revendiquer un droit de veto absolu. Les anciennes doctrines du premier ministre n'en fournissaient pas moins à l'opposition une arme précieuse, dont elle a usé habilement et avec succès, la majorité du storthing s'étant ralliée à sa thèse de la négation du veto absolu, même pour une révision de la constitution.

Un membre, favorable d'ailleurs à la participation des ministres aux débats parlementaires, mais pensant que cette réforme s'accomplirait plus facilement et d'une façon plus normale si on laissait à la surexcitation existant actuellement le temps de se calmer, avait suggéré l'idée d'ajourner la question et d'abandonner à un nouveau storthing le soin de la trancher, tout en maintenant en principe les votes déjà émis en faveur de la réforme. Cette suggestion n'a pas eu de succès auprès de la majorité, qui, en adoptant la proposition de M. Sverdrup, s'est prononcée pour une solution immédiate.

Ce vote du storthing norvégien, lisons-nous dans un journal du nord, a produit dans les pays scandinaves une sensation d'autant plus grande qu'on ne s'attendait pas à ce dénouement violent. L'attitude, relativement modérée, des principaux organes de Christiania semblait en effet autoriser des prévisions plus optimistes. Il est maintenant avéré qu'en Norvège comme en Danemark l'opinion de la capitale n'exerce qu'une influence très secondaire sur la marche des évènements dans le monde parlementaire. Loin de fortifier la position du gouvernement, l'appui que lui donnait la bourgeoisie de Christiania n'a servi qu'à envenimer le conflit. Ce qui était au début une simple question constitutionnelle, est ainsi devenu le point de départ d'une lutte dont les conséquences dépasseront peut-être les. prévisions de ceux qui l'ont provoquée. L'antagonisme s'accentue de plus en plus entre la Norvège norvégienne et la Norvège semi-danoise, entre la bourgeoisie et l'élément rural, on pourrait presque ajouter entre la monarchie et la république.

En Prusse, où, comme chacun sait, le gouvernement est si impatient de brûler ce qu'il a adoré et de conserver la faculté d'adorer ce qu'il veut brûler aujourd'hui, en Prusse, disonsnous, pour le projet de loi tendant à attribuer au pouvoir exécutif la faculté de disposer à sa guise des lois dites lois de mai, le gouvernement a vu successivement rejeter les articles 1, 2 et 3 de son projet. Arrivé à l'art. 4, le centre ultramontain a eu la générosité de fournir à M. de Bismarck l'occasion de renier la loi et les sentences qui ont été rendues au nom de cette loi. Cet article, en effet, donne pouvoir au roi de conférer une nomination nouvelle, dans son diocèse primitif, à l'évêque déclaré déchu de ses fonctions par décision judiciaire. M. de Bennigsen a renouvelé, au nom des libéraux-nationaux, la déclaration que jamais son parti ne voterait cet article. La ma

jorité se compose donc de conservateurs et d'ultramontains. Au cours de la discussion, le ministre des cultes, M. de Puttkammer, a déclaré que l'article 4 constitue la partie essentielle du projet. La rentrée en fonctions, dans leurs anciens diocèses, des évêques destitués, est en effet la concession la plus grande que fasse le gouvernement prussien. On aura beau inscrire dans la loi qu'ils rentrent en fonctions grâce à une « nouvelle nomination royale, et après un engagement de leur part de respecter désormais la loi»; ni l'Église, ni les fidèles n'admettront qu'il y ait eu nouvelle nomination. L'évêque apparaîtra comme rentrant, en vertu d'un droit indélébile, en possession d'un siège qui n'a pu lui être enlevé, et dont il avait été seulement écarté par la force. En dépit de toute fiction légale, la réinstallation des évêques aura la portée d'un aveu, par le gouvernement, de l'illégitimité de la loi qui a prescrit la destitution de l'évèque et de l'arrêt qui l'a prononcée. Elle sera en outre, pour la population, le signe sensible de la défaite du gouvernement.

Peu importe, du reste, au gouvernement; la dignité n'est de mise que comme motif ou prétexte de guerre; dans les autres cas, elle peut rester à l'écart, quel que soit sur l'esprit du peuple l'effet de la condamnation des actes antérieurs par les actes postérieurs des mêmes gouvernants.

LES LIVRES JAUNES A LA CHAMBRE
DES DÉPUTÉS

Le 18 de ce mois, la Chambre des députés a voté le budget du ministère des affaires étrangères, sur le rapport de l'honorable M. Antonin Proust, et après une discussion générale à laquelle ont participé les honorables MM. Legrand, Perrochel et Delafosse d'un côté, et l'honorable président du Conseil de l'autre.

Considérés dans leur ensemble, le rapport et la discussion nous ont prouvé que la majorité, la minorité et le gouvernement partagent l'opinion que nous avons émise dans notre. première livraison sur l'insuffisance des Livres Jaunes; cette unanimité est pour nous un puissant encouragement à persévérer dans la voie que nous nous sommes tracée en créant ce Portefeuille.

Examinés séparément, le rapport de la commission, les discours des trois orateurs et la réponse de l'honorable M. de Freycinet, nous impressionnent diversement, et comme nous l'allons montrer tout à l'heure.

Parlant des communications diplomatiques faites au parlement sous le titre de « Livres Jaunes», l'honorable M. Proust, au nom de la commission dont il est le rapporteur, s'exprime comme suit :

"

« Ces recueils de correspondances que nous voudrions voir plus fréquemment mis à la disposition des représentants du "pays, ne peuvent être utiles qu'à la condition d'être très complets, c'est-à-dire, de rappeler les antécédents des différentes questions qu'ils traitent. M. le ministre des affaires étrangères nous permettra de rappeler son attention sur ce « point. >>

Nous sommes à la fois plus et moins exigeant que ne se montre la commission par l'organe de son honorable rapporteur. Nous partageons son désir que le parlement reçoive des communications plus fréquentes, et que ces communications, pour remplir leur but, soient complètes; mais nous entendons autrement qu'elle le mot «< complètes». Nous croyons qu'un Livre Jaune est complet quand il n'omet aucun des sujets où la diplomatie française a coopéré, aucune question où les intérêts

de la France se trouvent impliqués. Quant aux antécédents, comment le ministre saura-t-il apprécier l'espace de temps et l'étendue de détails qu'il soit nécessaire de faire parcourir à son « Livre Jaune » pour instruire le parlement sur les antécédents d'un sujet quelconque? Que si néanmoins il essaie de satisfaire à ce vou, il sera toujours trop discret pour les uns, trop diffus pour les autres, selon que les uns ou les autres se trouveront plus ou moins en état de se passer de cette leçon d'histoire rétrospective, et il se trouvera que les plus mécontents seront précisément ceux qui, sans honte et sans reproche, en auraient le plus besoin. D'ailleurs, avec un Livre Jaune devant lui, chaque député et chaque sénateur peut demander que communication soit faite au parlement des antécédents de chaque question qui y est traitée, sans qu'aucun ministre puisse alléguer les convenances diplomatiques pour garder le secret quant au passé.

Or, pour dire toute notre pensée sur ce sujet, nous ne voyons pas ce qui peut amener les membres du parlement à attendre le dépôt d'un Livre Jaune ou la discussion du budget pour demander communication des antécédents, non seulement français, mais encore étrangers. Nous ne demandons pas du ministre que les Livres Jaunes dépassent les négociations présentes, et nous nous féliciterions qu'ils remplissent ce modeste programme; par contre nous désirons que le parlement n'ait pas l'air de se désintéresser des affaires extérieures, mais qu'il cesse d'abandonner les intérêts nationaux à l'entière discrétion du ministre, ou encore à la prépotence des gouvernements étrangers. C'est au moment où les questions s'agitent, où les évènements suivent leur marche, et ce moment est toujours connu grâce au télégraphe et aux journaux, c'est dans le cours des négociations ou des préoccupations auxquelles elles donnent lieu, c'est alors qu'il conviendrait au parlement de demander communication des antécédents et information sur l'état présent. Aucun ministre ne saurait lui refuser ces antécédents, où, comme nous l'avons dit plus haut, il n'y a point de secret à garder, ni de convenances internationales à respecter; un ministre se croirait-il obligé de refuser toute réponse aux demandes concernant les choses actuelles, les demandes de cette nature auraient le grand avantage de lui montrer la vigilance du parlement, l'amèneraient à faire spontanément ces recherches rétrospectives qui parfois préviendraient de sa part une erreur ou une faute, et ces investi

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