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gations qui seraient, souvent et plus qu'on ne pense généralement, salutaires aux intérêts nationaux.

Qu'on n'aille pas crier au paradoxe ni nous imputer des prétentions qui seraient exagérées de notre part; qu'on nous permette de ne pas interrompre cet article, et qu'on nous fasse crédit pour les exemples à citer des fautes qui ont été commises par notre diplomatie, parce qu'elle avait négligé de consulter les antécédents, des fautes qu'une demande émanée de l'une ou de l'autre chambre aurait contribué, sinon à prévenir, du moins à rendre évidente et à engager une responsabilité réelle à la charge de qui de droit.

Paulo minora canemus. Laissons pour aujourd'hui les sphères élevées de la diplomatie, restons terre à terre, dans le domaine des intérêts matériels, et montrons comment le silence de la chambre des députés et du sénat ont permis ces dernières années et à l'heure où nous écrivons ces lignes, que les droits des citoyens français aient été et soient lésés à l'étranger sans que le gouvernement ait veillé et veille à leur défense, à leur revendication. Ces preuves, c'est en Chypre, c'est en Bosnie qu'on les trouve.

En Chypre qu'on ne craigne aucune hardiesse de notre plume! nous ne faisons pas ici de politique, nous ne parlerons de la Convention du 4 juin que pour les effets inattendus et illégaux qu'elle a eus sur les droits des citoyens français voyageant ou résidant dans l'île, nous n'en parlerons qu'à dater de son lendemain.

Au lendemain, c'est une figure de rhétorique; disons mieux, peu après la signature de cette Convention, le cabinet anglais a consulté ses légistes sur le point de savoir jusqu'à quel point elle affecte les traités existant entre la Turquie et les puissances étrangères. Nous ne connaissons pas la date de la demande, mais nous avons sous les yeux le Mémorandum confidentiel qui en a été la réponse, il est daté du 2 juillet 1878, et il a été imprimé pour l'usage du ForeignOffice, le 3 février 1879 sous le n° 3835.

Ce mémorandum cite les Capitulations et le Traité de commerce de 1861 qui les confirment, avec les règlements ou conventions postérieurs donnant un précis clair et exact des droits des étrangers. On ne nous accusera pas de chauvinisme, puisque nous nous appuyons sur une consultation émanée des légistes du cabinet anglais.

Or, sait-on bien quel effet a produit ce Mémorandum, cette

consultation légale? Il a été promulgué des lois qui privent les résidents étrangers de tous les privilèges des capitulations; ils sont distraits de la juridiction consulaire et deviennent justiciables des tribunaux locaux; la loi anglaise leur est appliquée, et ils ont perdu le droit d'assistance du consul, sans laquelle aucune cause ne peut être jugée, selon les Traités; il a été promulgué une ordonnance interdisant à quiconque n'est pas Anglais ou Chypriote indigène, d'acquérir des immeubles; il a été promulgué une ordonnance donnant au gouvernement anglais le droit d'exiler sans jugement; nous ignorons si l'ordonnance intronisant la corvée frappe également les résidents français; mais nous savons que le cabinet français de l'époque n'était pas sans connaître tout ou à peu près tout ce que nous venons de raconter; il devait le savoir par son ambassadeur à Londres; il devait le savoir par son consul de Larnaca, il le savait sûrement par une dépêche de Lord Salisbury à Lord Lyons datée du 16 janvier 1879, dont un autre Mémorandum confidentiel du 4 février, no 3836, nous révèle l'existence. Le ministre d'alors avait probablement, certainement, des raisons valables et à lui connues pour laisser passer et laisser faire; mais il n'avait certainement pas le droit de stipuler ou consentir le moindre changement aux conditions des citoyens français et du commerce français à l'étranger, sans requérir au préalable l'assentiment des deux chambres, la constitution le lui interdit. Depuis lors, le ministère Gladstone a affranchi la propriété du monopole anglo-chypriote, nous rendant ainsi la jouissance du Protocole de 1867; quant au reste, nous ne sachions pas que les Français résidant dans l'ile aient été rendus à leur juridiction légale. Nous trompons-nous en avançant que c'est le droit, le devoir de chaque député, de chaque sénateur, de demander que communication soit faite au parlement de cette correspondance, d'interpeller, d'interroger et de donner au ministère la force qu'il tire de l'appui du parlement et de l'opinion publique, pour résister aux prétentions d'un allié usant et abusant des liens qui unissent si heureusement les deux gouvernements?

En Bosnie, c'est le même spectacle et, tant que nous sommes à même de le savoir, la même insouciance des droits acquis aux citoyens et au commerce de la France. En vertu du Traité de Berlin, l'Autriche-Hongrie occupe et administre la Bosnie et l'Herzégovine; ce n'est pas une annexion par droit de conquête ni par droit conventionnel; sous le rapport politique,

l'article 25 du Traité n'a rien modifié dans la position des deux provinces; l'Autriche-Hongrie a reçu, pour employer les paroles dont s'est servi le Prince de Bismarck, président du Congrès, le mandat de suppléer ce qui manque à l'administration ottomane, pour y accomplir le grand devoir de maintenir l'ordre et assurer le sort et l'avenir des populations; mais ce mandat exclut la souveraineté. Celle-ci est restée ottomane, les deux provinces continuent à être provinces de l'empire, et le Traité de commerce existant entre la France et la Turquie y a gardé toute sa valeur, absolument comme, lors de sa conclusion, il a été stipulé qu'il fait loi en Roumanie et en Serbie, où l'administration turque avait conservé moins de droits et d'espérances qu'en Bosnie après le Traité de 1878. Cependant le journal officiel autrichien (Wiener-Zeitung) du 23 décembre 1879, publie une loi datée du 20 décembre 1879, qui introduit la Bosnie et l'Herzégovine dans l'union douanière de la monarchie austro-hongroise. Il en résulte que les produits étrangers paient une surtaxe équivalant à une interdiction, parce que les produits de la monarchie n'ont à acquitter aucun droit.

Ici, comme pour Chypre, nous croyons avoir montré combien nous avons raison de croire que, sans commettre d'indiscrétion compromettante, sans pousser le gouvernement dans la voie des aventures internationales, les membres du parlement possèdent, avant et sans les Livres Jaunes, des occasions utiles de demander des communications au ministre des affaires étrangères; quelque forme qu'on adopte, la curiosité en cette matière n'est pas indiscrète, et le gouvernement, comme la nation, y trouve avantage.

Mais nous n'attendons pas de résultat aussi utiles des interrogations qui ont eu lieu à la séance du 18 juin; leurs auteurs ne demandaient pas de réponse, ils ne voulaient faire qu'oeuvre de parti. Ce néanmoins, il a été prouvé jusqu'à quel point il est désirable que les communications diplomatiques soient plus fréquentes, et que ceux qui les reçoivent les lisent attentivement avant de porter à la tribune le blâme ou l'éloge, comme l'a fait l'honorable M. Legrand en félicitant le cabinet de la solution donnée à l'affaire Arab-Tabia, qui est encore pendante, et en blâmant la conduite des affaires égyptiennes par l'honorable M. Waddington sur tous les points, sauf celui où elle est restée aussi blàmable qu'inintelligible. Nous nous réservons de nous expliquer en détail sur ces questions, et nous arrivons à la réponse de l'honorable M. de Freycinet.

Le ministre des affaires étrangères commence par déclarer qu'il ne négligera rien pour donner satisfaction au vœu de la Commission budgétaire, répété en cette séance par M. Delafosse, pour rendre les communications de Livres Jaunes plus fréquentes, et pour améliorer la distribution des documents qui y prennent place.

Répondant de plus près aux questions précises de M. Delafosse, M. le Ministre explique que l'affaire Hartmann formera l'objet d'une prochaine communication; quant à l'incident Cialdini qui a eu lieu antérieurement à la publication des fascicules qui datent de son administration, M. de Freycinet n'est pas bien clair dans sa réponse. Veut-il soutenir qu'il ne lui incombe pas de publier les documents antérieurs à son administration? Nous regretterions que telle fût sa pensée, car nous persistons à croire que les Livres Jaunes sont destinés à renseigner le parlement, et par lui la nation, sur les intérêts de la France à l'étranger, et non pas seulement pour contenir des dossiers faisant la gloire du ministre en exercice. Telle ne peut être la pensée de l'honorable M. de Freycinet; car, dans ses dernières communications, il ne s'est pas fait faute de livrer des pièces datant du ministère précédent.

L'honorable M. Delafosse avait, entre autres, demandé au gouvernement quelle conduite il entend tenir pour imposer, si besoin en est, à la Turquie, les décisions de la Conférence de Berlin.

M. le ministre des affaires étrangères lui répond que c'est là «< un ordre de faits sur lesquels il ne veut pas anticiper ».

Qu'il nous soit permis, à nous aussi, de ne pas anticiper sur l'étude de l'énigme que nous réserve le lendemain de la Conférence de Berlin. Dans l'étude que nous y consacrerons, la déclaration par laquelle l'honorable M. de Freycinet a terminé sa réponse, trouvera naturellement sa place. Aujourd'hui nous n'avons voulu traiter de la séance de la chambre du 18 juin que dans ses rapports avec la théorie et la pratique des Livres Jaunes.

LE PREMIER LIVRE BLEU DU CABINET

GLADSTONE

Le cabinet Gladstone n'a pas attendu l'issue de la Conférence ni la réponse de la Porte à la note du 11 juin pour rendre compte au parlement de sa part d'action ou d'initiative dans ce double acte de la diplomatie européenne concernant les affaires de Turquie. L'historique de la note et de la formation de la Conférence forme l'objet d'un recueil de correspondances entre Lord Grandville et M. Goschen depuis le 4 mai jusqu'au 1er juin.

Ce recueil renferme également un rapport de M. Layard daté du 27 mai. Nous ne nous arrêtons pas aujourd'hui à cette pièce propre à justifier l'opinion que l'ex-ambassadeur a donnée de lui du premier au dernier jour de sa mission. Quelque dégoût que doive inspirer la lettre qu'un fonctionnaire adresse à un nouveau ministre dont il ne sait point encore le nom, pour parler mal de l'ex-ministre dont il avait été plus que l'instrument zélé et passionné, quelque mépris qu'on doive éprouver pour un personnage essayant de se cramponner à son poste par de tels moyens, il nous est interdit de passer outre sans au moins signaler la chose, car nous serons bien forcé de nous y arrêter, quand viendra le moment de raconter, d'après ce même Livre Bleu, comment ce rapport, qui n'a pas réussi à maintenir son auteur en place, a presque réussi à surprendre la bonne foi de son destinataire.

Nous détachons aujourd'hui du Livre Bleu les correspondances qui ont trait à la Conférence des ambassadeurs de Berlin et à la note des ambassadeurs de Constantinople.

Sous la date du 4 mai, Lord Granville adresse aux ambassadeurs de la Reine à Paris, Berlin, Vienne, Rome et Pétersbourg, une dépêche les invitant à en donner lecture et copie aux divers cabinets, et en outre à leur demander s'ils sont disposés à s'associer aux démarches y indiquées. Tant de solennité s'explique parfaitement par la nature de la démarche à faire et dont le texte de la dépêche-circulaire peut seule donner une idée complète. Nous renonçons donc à l'analyse, qui ne saurait être qu'une paraphrase, et nous transcrivons cette dépêche, telle qu'elle se trouve

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