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dans le Livre Bleu, «Le comte Granville à Lord Lyons, et en traduction aussi littérale que possible.

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Mylord,

«Foreign-Office, 4 mai 1880.

«Le gouvernement de S. M. considère comme un objet d'intérêt européen qu'il soit mis fin au retard qui s'est produit dans l'exécution de certaines des stipulations du Traité de Berlin, et que cela peut être le mieux effectué par les efforts unis des puissances.

«Le gouvernement de S. M. est désireux de solliciter la coopération du gouvernement français et des autres puissances pour atteindre ce résultat, et j'ai en conséquence à prier V. E. de proposer à M. de Freycinet que l'ambassadeur de France à Constantinople soit chargé d'adresser, de concert avec les représentants des autres puissances, une note identique et simultanée à la Porte, requérant le gouvernement turc d'accomplir immédiatement les obligations qui lui incombent en vertu du Traité par rapport à la Grèce, au Monténégro et à l'Arménie.

«La Porte a depuis quelque temps devant elle une proposition faite par le marquis de Salisbury et approuvée par les puissances, tendant à l'envoi d'une commission internationale dans les provinces limitrophes pour déterminer la rectification de la frontière grecque. La Porte a signalé les difficultés qu'une pareille commission pourrait rencontrer, mais elle n'a pas donné de réponse définitive. Il paraît au gouvernement de S. M. qu'elle devrait être mise en demeure maintenant de le faire sans délai.

L'état des choses sur la frontière monténégrine exige une attention plus pressante encore. Les autorités turques n'ont pas exécuté l'arrangemeut convenu avec le Monténégro, et qui avait reçu l'adhésion des représentants des puissances par le Protocole du 18 avril; elles ont permis que les positions des frontières fussent occupées par les Albanais, et une collision pourrait avoir lieu à tout moment entre ces derniers et les troupes monténégrines. La Porte devrait être requise de faire connaître nettement ses intentions quant à la frontière monténégrine et mettre immédiatement en exécution pratique l'arrangement qu'elle a conclu.

«Par l'article 61 du Traité de Berlin, la Sublime Porte s'est

engagée à introduire, sans plus de délai, les améliorations et les réformes réclamées par les besoins locaux dans les provinces habitées par les Arméniens; à garantir leur sécurité contre les Circassiens et les Kurdes, et à faire connaître périodiquement les mesures qu'elle aura prises à cet effet aux puissances qui en surveilleront l'exécution.

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« D'après tout ce que sait le gouvernement de S. M., rien n'a été fait par la Porte pour faire connaître les mesures qu'elle peut avoir prises en vertu de cet article, et aucune mesure n'a été adoptée pour la surveillance à exercer par les puissances. Les rapports que le gouvernement de S. M. a reçus, montrent que l'état de l'Arménie est déplorable, et il ne peut croire qu'il soit permis que cet article reste plus longtemps une lettre morte. Il croit que ce n'est que par l'exercice de la pression unie que la Porte peut être induite à accomplir son devoir sous ce rapport, et il estime que la loyale exécution de cet article devrait être immédiatement demandée, et la Porte appelée à faire connaître explicitement quelles sont les mesures qu'elle a prises pour se conformer à cette stipulation du Traité.

« Vous donnerez lecture de cette dépêche à M. de Freycinet et lui en laisserez copie, en le priant de vous informer, aussitôt que les convenances le lui permettront, s'il est disposé à donner des instructions dans le même sens à l'ambassadeur de France à Constantinople.

« Je suis, etc.

Signé « GRANVILLE. »

:

Le 6 mai, au surlendemain de l'arrivée du rapport de M. Layard et de la date de la dépêche-circulaire qu'on vient de lire, le comte Granville informe l'ambassadeur à Constantinople qu'une permission de s'absenter de son poste lui est accordée, et que la Reine a daigné nommer M. Goschen son ambassadeur spécial. M. Layard est invité à porter ce choix. à la connaissance de la S. Porte; Lord Granville exprime « l'espoir du gouvernement de la Reine que la nomination de M. Goschen comme ambassadeur temporaire à Constantinople sera agréable au Sultan. »

Les négociations auxquelles la dépêche-circulaire du 4 mai donne lieu, aboutissent à donner à la proposition anglaise sa forme qu'elle a gardée depuis, et que (nous l'apprendrons peutêtre un jour d'une manière officielle) lui a fait donner le ca

binet français, à savoir: conférence à Berlin pour la question grecque avec notification à la Porte, et note identique et simultanée des ambassadeurs de Constantinople, sur les autres points en suspens. Cette forme se trouve consignée dans les instructions détaillées que Lord Granville donne à M. Goschen en même temps qu'il lui fait parvenir ses pleins-pouvoirs et ses lettres de créance, par une dépêche datée du 18 mai et dont nous extrayons les passages principaux.

Motifs de cette ambassade spéciale. « Le gouvernement de la Reine a pensé qu'il était désirable qu'un ambassadeur spécial fût nommé en cette occasion, au lieu de laisser, comme cela se fait d'ordinaire, la gestion de l'ambassade à un chargé d'affaires, afin de marquer le sentiment qu'a le gouvernement de la Reine de la gravité de la situation, et de convaincre le Sultan, par des communications personnelles avec S. M. par l'intermédiaire d'un représentant occupant une position parlementaire et politique aussi élevée, que le temps est arrivé où le gouvernement anglais est déterminé à insister, de concert avec les autres puissances, sur l'exécution des obligations que la Porte a contractées, par rapport à la Grèce et au Monténégro, ainsi que sur celle des promesses relatives à une administration réformée, que la Porte a si souvent solennellement données et tant de fois violées. >>

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Affaire de Grèce. « Le gouvernement de la Reine a suggéré maintenant aux puissances qu'une Conférence devrait se réunir à Berlin ou à Paris, afin de délibérer et de décider à la majorité quelle est la ligne qu'il conviendrait d'adopter pour la rectification des frontières, et que cette Conférence se réunirait pour s'occuper activement de sa mission avant la fin de juin.

«En continuant à retenir les districts de frontière en question, la Porte n'obtient, ainsi que le marquis de Salisbury l'a fait remarquer, aucun avantage réel, et, comme le gouvernement turc a déjà consenti en principe à une ligne de frontières qui donnerait une extension considérable à la Grèce, en Thessalie et en Epire, le gouvernement de la Reine espère que la Porte reconnaîtra la nécessité d'accepter, sans plus longue temporisation, la médiation des puissances, en vertu de l'art. 24 du Traité de Berlin, dans la forme proposée.

« Le gouvernement de la Reine désire qu'il soit clairement. entendu qu'en même temps qu'il insiste auprès de la Porte sur l'accomplissement de cette rectification de frontières, tant dans

l'intérêt de la Turquie que dans celui de la Grèce, il ne désire pas qu'il y ait une annexion forcée à ce dernier pays d'une population mahométane qui y serait opposée, et qui serait en tel nombre qu'elle serait une source de danger et de troubles. D'autre part, il estime que la ligne de frontières devrait être tracée de manière à soustraire les habitants chrétiens parlant le grec, en tant qu'ils sont réunis dans un district suffisamment défini, à un gouvernement qui ne satisfait pas leurs sympathies traditionnelles et leurs aspirations nationales. » Affaire du Monténégro. Les instructions remises à M. Goschen répètent les termes de la dépêche-circulaire du 4 mai, et ajoutent, pour expliquer l'urgence d'une solution, les considérations suivantes :

La question de la frontière monténégrine est d'une nature plus pressante encore, car, à moins qu'elle ne soit promptement réglée, il peut y avoir à tout moment une collision entre les troupes monténégrines et les Albanais qui se sont assemblés pour s'opposer à la cession de territoire convenue dans le Protocole du 18 avril, et il n'est pas invraisemblable que l'esprit de résistance à l'autorité, que les autorités turques ont laissé se développer par rapport à cette affaire, puisse se répandre dans tout le nord de l'Albanie, et que cette province, se trouvant depuis quelque temps dans un état qui touche de près à l'anarchie, soit livrée bientôt à des désordres et à des troubles civils, que la Porte serait impuissante à réprimer, mais que les puissances ne sauraient voir avec indiffé

rence. >>>

Affaire d'Arménie. - Sur ce point, les instructions de M. Goschen ne font que répéter les termes de la dépêche-circulaire; mais on peut dire que les instructions touchant la réforme de l'administration, concernent aussi bien l'Arménie que les autres provinces; voici cette partie des instructions:

« Le gouvernement de la Reine ne peut pas supposer que le Sultan, dans lequel toute l'autorité de l'empire s'est centralisée, soit ignorant de la nécessité urgente d'un changement dans le système qui a amené l'Empire ottoman à l'état désastreux où il se trouve actuellement.

<<< Des avertissements répétés ont été adressés à la Porte tant par le gouvernement de la Reine que par l'ambassade de S. M. à Constantinople. En mai 1876, Lord Derby informa Mussurus Pacha que les circonstances aussi bien que les sentiments de ce pays avaient subi un très grand changement depuis la

guerre de Crimée, et dans une dépêche adressée à Sir H. Elliot au mois de juin suivant, à l'avènement du Sultan Murad, Sa Seigneurie fit remarquer que les projets de réformes libérales et éclairées qui avaient été promulguées, n'avaient pas été mis en pratique dans les provinces; que des hommes auxquels on avait confié des postes élevés auraient dû être révoqués surle-champ; que l'extorsion et la corruption auraient dû être promptement punies, et les réformes dans l'administration de la justice et la concession de droits civils complets à toutes les communautés religieuses, vigoureusement poursuivies; à la Conférence de Constantinople, Lord Salisbury, en faisant appel à la Porte pour qu'elle ne rejetât pas les propositions finales des plénipotentiaires, déclara qu'il devait être entendu par la Porte que la Grande-Bretagne était résolue à ne pas sanctionner les abus de gouvernement et l'oppression, et que, si la Porte opposait l'obstination ou l'apathie aux efforts qui étaient faits alors pour placer l'empire ottoman sur une base plus sûre, la responsabilité des conséquences qui pourraient s'ensuivre retomberait uniquement sur le Sultan et ses conseillers.

« V. E. est au courant, par la correspondance dont il lui a été donné connaissance et par les documents communiqués au parlement, des diverses communications qui ont été adressées successivement à la Porte par mes prédécesseurs, ainsi que des rapports qui ont été reçus de l'ambassade et des consulats de S. M., exposant le misérable état de l'empire turc en Europe et en Asie, et les mesures qui sont nécessaires pour introduire une meilleure administration dans les provinces.

« La Porte a promis, en octobre 1878, en réponse aux représentations de Lord Salisbury, d'employer un certain nombre d'officiers étrangers au conseil central de la gendarmerie, et aussi de les employer dans ce corps lorsqu'il serait organisé, et d'introduire, avec l'assistance de fonctionnaires étrangers, un nouveau système de perception des taxes en remplacement de l'affermage des dîmes, d'abord dans une ou deux provinces, et graduellement dans tout l'Empire. Il avait également été convenu que les gouverneurs des provinces, les magistrats et les receveurs des contributions seraient irrévocables sauf pour mauvaise conduite, et seraient nommés pour un terme de cinq ans au moins.

«Peu de chose a été fait durant l'année suivante en exécution de ces promesses. La Porte a nommé certains inspec

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