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Il nous reste, pour terminer, à dire un mot sur la pêche des éponges cette pêche se fait sur une vaste échelle dans les eaux du littoral de la Tripolitaine et à Bengasi..

Les parages dans lesquels les éponges abondent se trouvent sur le littoral de Bengasi, Curcura et Tubruche; sur celui de la Tripolitaine, Zuaga, Zuara et la limite occidentale de la régence. Les éponges les plus fines et les plus belles sont celles qu'on pêche à Curcura et à Tubruche; les moyennes, celles de Zuaga et Zuara; les grosses communes, celles de Tripoli. Les éponges de Curcura, sans être aussi fines que celles des côtes de Syrie, rivalisent cependant avec elles par la souplesse de la matière.

La pêche des éponges, dans les eaux de Bengasi, est presque exclusivement entre les mains des Grecs. Dans la Tripolitaine, elle est faite concurremment par les Arabes et les Grecs. Le nombre des navires qui viennent annuellement à Tripoli pour la pêche des éponges est de 8 à 10 schooners, desservis par 8 à 10 barques chacun. La flottille qui fait la campagne de Bengasi se compose de 15 à 20 navires avec un nombre de barques en proportion. La pêche commence en avril et finit, pour Bengasi, en août; pour la Tripolitaine, seulement en octobre.

Les Grecs pêchent de deux manières au scaphandre et au trident; les Arabes plongent. Le nombre des pêcheurs est de deux sur les barques à tridents, et de huit à dix sur celles à scaphandre. Le produit annuel de la pêche de la flottille de Tripoli est de 12,000 ocques; celui des plongeurs de Bengasi, du double.

La pêche des éponges est libre sur toute la côte de la Tripolitaine. Seulement, le gouvernement ottoman perçoit 4 livres (1) pour chaque barque pêchant à tridents, et 32 livres pour celles qui pêchent au scaphandre. Le produit de la pêche est expédié en Grèce, où il est préparé pour les différents usages auxquels l'éponge est destinée en Europe.

Aux environs de Tripoli, sur les bords de la mer, après les tempêtes, les vagues rejettent souvent des éponges qui sont recueillies par les indigènes. Ces éponges, bien qu'ayant une moindre valeur, se vendent très bien sur les marchés de l'Europe et spécialement en France. Toutefois, celles qui sont de dimensions restreintes sont peu recherchées.

(1) Une Livre turque = fr. 22,50. La livre est divisée en 100 piastres; une piastre compte 40 paras.

Il serait bien nécessaire, vu l'accroissement de la consommation des éponges en Europe, que les différents modes d'exercer cette pêche sur les côtes de la Tripolitaine fussent sévèrement réglementés. Pour assurer l'avenir de cette exploitation, il serait utile d'empêcher la dévastation d'un produit qui donne au pays et à la marine une si grande vitalité. Mieux entendue, cette pêche deviendrait bien autrement productive, sans qu'on eût à craindre d'en voir tarir la source.

Si l'on veut maintenant savoir dans quelle proportion chaque pavillon prend part à la navigation maritime avec l'étranger ou sur le littoral, on trouve les résultats suivants :

Le pavillon anglais prime les autres par la supériorité de son tonnage. Deux causes concourent à lui donner cette supériorité: 1° le voisinage de Malte; 2° l'immense quantité d'alfa que le commerce tripolitain expédie à Londres.

Immédiatement après, mais comme supériorité de tonnage encore, vient le pavillon italien. La faveur dont jouit ce pavillon lui est acquise par le bateau italien qui relie actuellement, par une ligne régulière Tunis, Malte et Tripoli.

Le pavillon ottoman l'emporte sur les deux précédents par le nombre, mais il leur est inférieur quant au tonnage. Ceci s'explique par la raison bien simple que la plupart des navires ottomans qui fréquentent ces eaux sont des barques de 60 à 80 tonneaux au plus, exclusivement employées au petit cabotage.

Le pavillon français n'a pris part au mouvement annuel de 1878 que par 2 bateaux de 1,144 tonnes. Ce pavillon est cependant appelé à jouer un grand rôle dans ces parages, par la détermination qu'a prise la Compagnie transatlantique de relier Tripoli par un service régulier avec Tunis et probablement avec Malte.

La part des autres pavillons dans le mouvement maritime de Tripoli est presque nulle. Les pavillons qui méritent pourtant d'être signalés sont le grec et le hiérosolomitain. Le premier entre dans la catégorie des navires qui entretiennent les relations de Tripoli avec le Levant, le second dans celui du cabotage avec la Tunisie.

Nous ne pouvons pas clore cette première partie de notre travail, destiné exclusivement à l'étude de la situation maritime, sans dire un mot sur les différents droits dont la navigation est grevée dans la Tripolitaine.

Tous les navires entrant dans une rade quelconque de la

PORTEFEUILLE, T. I.

No 4.

12

Tripolitaine sont soumis à un droit de tonnage. Les relâches ne donnent pas ouverture au droit.

Tout navire de

1 à 500 tonnes paie 20 paras par tonne. 501 1,000

1,001 et au-dessus

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Ces droits sont égaux pour toutes les nationalités. Le pavillon ottoman lui-même ne jouit d'aucun privilège sur les autres. Les droits sont perçus par l'office de santé et se paient à l'arrivée ou avant le départ du navire.

Les navires sous pavillon européen sont soumis, en outre, aux droits dits d'expédition. Ces droits sont exclusivement perçus par les consulats et d'après leurs tarifs respectifs.

Les navires chargent ou déchargent leurs marchandises au moyen d'allèges conduites par une barque à avirons. Ces allèges, connues sous le nom de mahones, sont d'une portée de 20 à 30 tonnes. Elles se louent à raison de:

30 piastres pour le propriétaire,

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En tout 70 piastres turques, soit 14 francs environ.

Le pilote lamaneur perçoit 30 fr. pour guider le navire à l'entrée et à la sortie du port, soit 15 francs par voyage. A l'exception de ces droits, la marine n'est grevée d'aucune autre imposition.

(A suivre.)

LA CARRIÈRE DE MIDHAT PACHA.

(Suite et fin. Voir No 3, p. 125.)

VIII

Sir Henry Elliot annonçant à Lord Derby la nomination de Midhat Pacha au grand-vizirat, s'exprime comme suit: « Il a toujours parlé pour l'égalité des musulmans et des chrétiens, il demande un contrôle constitutionnel au-dessus du pouvoir du grand-vizir aussi bien que du sultan; il est ennemi de la centralisation, et désire accorder aux habitants des provinces beaucoup de contrôle sur les affaires locales. Il m'a naguère parlé fermement contre l'octroi d'institutions spéciales aux provinces slaves; mais c'est un homme accessible au raisonnement, et il pourra probablement être amené à en voir la nécessité dans les circonstances présentes. >>

Mais la constitution promulguée le 23 décembre le révèle sous une forme tout autre. Ainsi, quant au contrôle du pouvoir central, la constitution déclare le sultan inviolable, irresponsable; cette disposition est d'autant plus juste qu'elle est en harmonie avec le Chéri et avec la pratique habituelle du régime parlementaire, où les ministres assument toute la responsabilité. Pour celle-ci, la constitution selon Midhat Pacha crée une innovation considérable, propre à frapper l'esprit de la Conférence aussi bien que celui du public tandis que la loi religieuse, le Hatti-Chérif de Gulkhanè et le Code pénal ottoman sont unanimes pour n'exempter personne, «<si haut placé soit-il, » de la responsabilité légale de ses actes, l'article 27 de la constitution crée une situation plus qu'exceptionnelle au Grand-Vizir et au Cheïkh-ul-Islam: «le Sultan investit de ces charges les personnages que sa haute confiance croit devoir y appeler. » Investiture et confiance souveraines. concourent ensemble pour exclure toute responsabilité parlementaire à la charge de ces deux dignitaires.

Les ministres proprement dits, nommés, d'après le même article 27 alinéa 2, par Iradé impérial, sont déclarés responsables des faits ou actes de leur gestion (art. 30). Cet article peut satisfaire les amis des formules; mais arrivons aux faits et voyons ce que les articles 31, 35 et 38 font de cette responsa

la

bilité ministérielle. Quant à la responsabilité collective, l'art. 35 établit les conditions qui en règlent l'exercice : 1o rejet par chambre d'un projet de loi, et 2° insistance du ministère. D'où l'on peut conclure logiquement qu'il suffira au ministère d'être battu et content pour défier constitutionnellement la responsabilité inscrite en l'art. 30.

Ce que l'art. 35 fait pour la responsabilité collective, les articles 38 et 31 le font pour la responsabilité individuelle. Pour autoriser une simple interpellation ou demande à faire à un ministre, l'article 38 exige au préalable la majorité des voix; et cette majorité étant acquise, le ministre mis en cause a le droit d'ajourner sa réponse sine die (ibid. alinéa 2) et sous sa propre prétendue responsabilité. Quant au ministre des finances, la constitution lui octroie la complaisante prérogative d'ajourner de quatre années ses budgets rectificatifs (art. 104). Qu'on l'interpelle après ce laps de temps!

Les formalités sont encore plus protectrices pour les pachas quand il s'agit de mettre un ministre en accusation, sur la plainte d'un ou plusieurs membres de la chambre des députés : relisons l'article 31, nous y verrons: 1° que la plainte doit être relative à des faits dont la chambre a le droit de connaître; 2° que, sur l'ordre du président, elle doit être suivie d'une enquête confiée au bureau ad hoc qui fera son rapport à la majorité des voix; 3° que le rapport du bureau doit, pour sortir à effet, être voté dans la chambre à une majorité des deux tiers des voix; 4° que le vote ainsi acquis, doit être soumis au Grand-Vizir et par lui au Sultan; et enfin 5o que si, après ces cauteleuses formalités, il reste une trace de la plainte, le ministre prévenu est jugé par ses pairs de la haute cour de justice.

La responsabilité ministérielle étant ainsi réduite par les dispositions constitutionnelles, serait-il bien exagéré de renouveler le sobriquet de « surnuméraire » appliqué par le LevantHerald aux membres des medjliss provinciaux, et de l'adapter aux membres des deux chambres créées par la constitution? On n'hésitera pas quand, à la connaissance qu'on a de la composition de ce parlement, on joint celle de la faiblesse de ses prérogatives. L'initiative de la proposition d'une loi ou de la modification d'une loi existante appartient au ministère. Le sénat et la chambre des députés peuvent aussi demander une nouvelle loi ou la modification d'une loi existante, mais seulement sur des matières comprises dans leurs attributions. Per

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