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Le gouvernement français a mis à exécution le décret du 29 mars relativement aux Jésuites, sans provoquer aucune manifestation en dehors de celles que les amis de la Société et une partie des ennemis de la République ont voulu organiser; mais cette Société n'a pas d'amis dans le peuple français, et une manifestation qui n'enthousiasme pas les classes populaires ne peut qu'avorter. On a pu le constater le 29 juin à Paris et en province. Étrange destinée que celle des Jésuites: ils ont devancé le progrès, ont enseigné la légalité de l'insurrection bien avant que la Révolution ait proclamé les Droits de l'Homme; ils se sont rendus odieux aux rois et aux papes, à l'époque où les peuples ignoraient qu'ils avaient des droits à revendiquer de leurs seigneurs et dominateurs. Aujourd'hui que les peuples ont meilleure notion de leurs droits et de leurs pouvoirs, après que la Révolution a affranchi le bourgeois, le paysan et le prolétaire en leur fournissant le bulletin de vote pour renverser les tyrans, la Société de Jésus remonte le cours des années, renie ses enseignements révolutionnaires, et prend la direction d'un mouvement qui est cher seulement à de rares monarques, et détesté de tous les hommes. Aussi a-t-elle perdu toute estime: elle ne peut plus rendre service à ceux qu'elle prétend servir; elle ne peut plus devenir redoutable aux peuples, parce que les peuples se détournent d'elle.

En Belgique, la rupture entre l'État et le Vatican est consommée; ce n'est pas la rupture de l'État et de l'Église qui est instituée par ce fait d'ordre diplomatique; mais l'une peut conduire à l'autre, et elle y conduirait sûrement, car toute cause produit ses effets, si, heureusement pour l'Église, l'État luimême ne veillait à sa conservation, en montrant qu'il est des devoirs dont un état comme la Belgique ne peut s'affranchir.

En Prusse, une Église a déclaré la guerre à l'autre; puis elle lui a offert la paix; cette paix n'était à la vérité qu'une trêve sans conditions fixes, sans délai déterminé. Les catholiques de la chambre n'ont pas voulu considérer cette proposition comme un armistice, moins encore comme une œuvre de paix; les libéraux y ont adhéré, parce qu'ils y ont trouvé l'occasion de donner une leçon de modération à l'autorité, et ainsi le PORTEFEUILLE, T. I. No 5.

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prince de Bismarck est poussé dans la direction de Canossa, où M. Windhorst l'attend.

La nouvelle loi ecclésiastique est votée, mais à une majorité qu'un journal appelle majorité fictive, parce qu'elle est composée des voix de miniștres et des voix de députés dont l'élection n'est pas validable; considérée sous un autre point de vue, la nouvelle loi est essentiellement différente du projet élaboré par M. de Bismarck; l'article 1er et l'article 4, les deux plus importantes dispositions du projet gouvernemental, ont été repoussés, et l'ensemble restant n'est voté pour avoir force de loi que durant six mois.

Au cours de la discussion à laquelle le projet du gouvernement a donné lieu dans la chambre des députés de Prusse, nous trouvons un passage que nous voulons signaler à l'honorable M. Raspail; il y trouvera, sous une autre forme, la remarque que nous avons discrètement insinuée pour justifier notre opposition à ce qui ressemblerait à un Kulturkampf dans notre beau pays de France.

« Ce projet, a dit M. de Puttkamer, était un premier pas vers la paix religieuse. Nous vous tendons la main, et vous ne l'acceptez pas. Votre Alpha et votre Oméga, c'est la paix conclue seulement après la suppression légale des lois de mai. Cette suppression, M. Micquel vient de vous dire que jamais vous ne l'obtiendrez. Toute la chambre prussienne, le centre excepté, est d'accord sur ce point. Jamais vous ne trouverez une chambre prussienne dans laquelle vous ne soyez en minorité, ni un gouvernement prussien qui puisse s'accommoder de vos vues. La conséquence de votre conduite, c'est donc que vous resterez à l'état de guerre permanente avec l'état prussien, et que vos espérances ne pourraient reposer que sur quelque grande catastrophe, dont Dieu nous préserve! et que votre patriotisme vous interdit de souhaiter. »

En Angleterre, l'incident Bradlaugh est déjà passé à l'état d'événement. La chambre des Communes a refusé de recevoir le député de Northampton sur une affirmation de fidélité, elle a en outre refusé de le recevoir sur l'énoncé de la formule dictée par la loi, sachant que le serment religieux n'est qu'une vaine formule pour lui; M. Bradlaugh, convaincu que les Communes violaient son droit en dépassant le leur, a protesté, mais sans résultat favorable.

Pour établir une règle sur la matière, il faut ou passer un

bill ou l'imposer par des élections successives. Le bill a des effets immédiats; M. Gladstone, premier ministre, l'a donc proposé; d'après lui, la chambre, maîtresse de son règlement, déciderait, comme règle, d'accueillir sur un pied de parfaite. égalité l'affirmation et le serment.

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Or les Communes comptent des membres qui sont attachés à la formule religieuse du serment, plus qu'ils ne seraient disposés à accueillir l'affirmation de loyauté; leur sentiment religieux les empêchera de voter la proposition du premier ministre. D'autres sont adversaires du député qui serait pelé à en profiter le premier, et qui a fait étalage de son scepticisme en matière de religion révélée. Il y a encore l'opposition guidée par M. Northcote, qui, par esprit de parti, ne se montre pas favorable à la proposition Gladstone; il n'est donc pas sûr qu'elle soit adoptée par la chambre. On sait d'ailleurs que si ce bill est voté, chaque Anglais n'en a pas moins le droit d'assigner en justice criminelle celui qui en profiterait contrairement à la loi, et qui siégerait sans avoir prononcé la formule prescrite. Dans la libérale Angleterre, le libéralisme finira par l'emporter; mais combien de meetings et d'élections Bradlaugh, ne faudra-t-il pas pour lui procurer la victoire?

En Autriche, le changement de ministres, considéré depuis quelque temps comme inévitable, vient de s'accomplir; mais ce n'est pas un changement de ministère; le comte Taafe reste à sa tête, et si l'on peut ajouter une qualification à celle de ministère d'affaires, on doit y voir un nouveau pas dans la direction du parti autonomiste. Ce n'est pas que la fraction constitutionnelle se trouve maintenant exclue complètement du cabinet; le baron Streit, qui devient ministre de la justice, appartient à ce groupe; mais il en représente les idées d'une façon beaucoup moins accentuée que son prédécesseur, M. de Stremayer. Deux autres des nouveaux ministres, le comte Weltersheim et le baron Cremer, n'ont pas eu l'occasion jusqu'ici de faire connaître leurs opinions politiques, en sorte qu'on ne peut les ranger dans aucun parti. En revanche, M. Dunajewski, qui prend le portefeuille des finances en remplacement du baron Kriegsau, est un des principaux chefs de la fraction polonaise et un des membres les plus actifs de la droite. Celle-ci se trouve donc incontestablement renforcée dans les conseils du gouvernement, tandis que l'influence des consti

tutionnels y est, sinon absolument annihilée, du moins notablement diminuée.

La crise constitutionnelle en Suède, dont notre dernier bulletin contient les origines et les motifs, n'a ni avancé n reculé elle n'est donc pas près de son dénouement, mais personne ne craint ni ne prévoit une crise violente.

En Italie, la réforme électorale prime toute autre affaire dans le sentiment public. Sera-t-elle discutée avant les vacances? Cela ne paraît guère probable, bien que la chambre ait décidé, il y a trois semaines, qu'elle ne se séparerait pas sans l'avoir votée. Un membre de l'extrême gauche, M. Cavallotti, celui-là même sur l'invitation duquel fut prise cette résolution, s'était plaint à la tribune, dans une des dernières séances, de la lenteur des travaux de la commission qui est saisie du projet de loi; le président, M. Mancini, a répondu que la commission apportait le plus grand zèle à l'accomplissement de sa tâche, mais que celle-ci était des plus compliquées, et il n'a donné aucune indication permettant de prévoir, même approximativement, l'époque à laquelle pourra être déposé le rapport. Quant au gouvernement, il s'est borné à déclarer, par l'organe du ministre de l'intérieur, M. Depretis, qu'il est prêt, au premier appel, à fournir à la commission tous les renseignements que celle-ci pourra lui demander. Or, comme l'a dit M. Cavallotti, «il fait chaud aujourd'hui et il fera plus chaud encore demain »; ce qui veut dire qu'il ne sera plus longtemps possible de retenir à Rome le plus grand nombre des députés. Aux termes du règlement, il suffit de la présence de 200 députés pour que la chambre puisse délibérer et voter; mais une loi aussi grave que la loi électorale ne peut guère être expédiée dans de pareilles conditions. Si le rapport n'est pas déposé dans un bref délai, ce qui paraît peu probable, l'ajournement à la session d'automne sera inévitable.

En Grèce, on est dans la joie, et il y a lieu en effet, pour elle, d'être joyeuse des nouvelles qu'elle reçoit de Berlin. La Conférence peut être considérée comme close; si elle travaille encore à quelques questions de détail, ou à la rédaction de ses conclusions et de son rapport, c'est une question de jours où le résultat sera proclamé, et où chacun saura quelle est la nouvelle frontière créée par les diplomates réunis à Berlin. Il est

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