Images de page
PDF
ePub

d'ailleurs assez plausible que le résultat officiel reste caché au public jusqu'à ce que l'accord soit établi, soit entre les cabinets et la Turquie, ce qui serait le meilleur, soit entre les cabinets contre la Turquie, sur la manière d'exécuter les résolutions si unanimes de la Conférence, que le projet français a rallié tous les suffrages, et que l'ambassadeur russe a pris l'initiative d'y ajouter encore Metzovo et Larisse, le Yeni-Chéhir des Turcs. Ce bloc enfariné ne dit rien qui vaille; nous craignons qu'il ne nous ménage une désagréable surprise, si une discussion ultérieure devenait nécessaire pour établir l'unanimité égale des mesures coërcitives à employer. Dans ce cas, ne cherchera-t-on pas à réclamer de la France l'honneur de recommencer l'expédition du maréchal Maison de 1828 pour appuyer son initiative de 1878 ? Dans les délibérations de cette nouvelle Conférence, ou dans les correspondances entre les cabinets, ne verra-t-on pas la diplomatie russe paraphraser les paroles prononcées par M. Waddington en 1878, rappeler aux puissances qu'il y a en Turquie d'Europe d'autres chrétiens que les Grecs, et demander, comme compensation pour les Bulgares, la réunion de la Roumélie orientale à la Principauté ?

POST-SCRIPTUM. Nous sommes informé que la Conférence a élaboré le projet de note identique par laquelle les cabinets communiqueront aux gouvernements de Constantinople et d'Athènes les décisions arrêtées en commun à Berlin, et qu'elle a eu soin de les présenter sous la seule forme d'arbitrage, évitant, dans les termes comme dans le style, tout ce qui pourrait rappeler l'idée de coërcition.

Nous ne tenons pas absolument à faire adopter par la diplomatie contemporaine les théories de langage et de politique préconisée par le chevalier d'Arvieux dans son mémoire à Louis XIV; mais nous sommes convaincu que, donnant à leur note identique la forme décidée par la Conférence, présentant au sultan Abdul-Hamid la perte de territoire comme la source d'avantages incommensurables sous d'autres rapports, les puissances iraient au-devant d'un échec, et placeraient Abdul-Hamid dans l'impossibilité d'adhérer à leur décision arbitrale. Abdul-Hamid est calife musulman, avant d'être souverain politique et civil. Les sentiments d'humanité que son cœur de souverain pourrait lui inspirer pour conserver la paix, ses devoirs de calife les lui interdisent d'une façon absolue.

L'impossibilité matérielle, et matériellement prouvée jus

qu'à l'évidence, de ne pouvoir défendre et conserver un territoire musulman, n'est pas suffisante pour autoriser le chef des Croyants à le céder, à l'abandonner aux Infidèles, avant qu'il en ait été expulsé par la force.

Tel est le principe religieux musulman. Or, si sa rigueur a pu s'adoucir, encore serait-il dangereux de supposer qu'elle soit adoucie au point d'avoir disparu de la conscience des Fidèles, et de permettre à Abdul-Hamid de restituer le dar-ulislam ou dar-ul-harb sans danger pour lui-même, sans s'exposer à n'être pas obéi, dans le cas où ses dispositions, si conciliatrices qu'elles soient, ne seraient pas appuyées mieux que par une invitation polie d'évacuer les territoires en question. Les puissances veulent-elles rendre la conciliation possible, il faut qu'elles mettent le sultan Abdul-Hamid à même de concilier, aux yeux de ses ulémas et de son peuple, ses pouvoirs de souverain avec ses devoirs de Calife; la note élaborée en conférence à Berlin ne remplissant pas cette condition. indispensable, c'est aux Cabinets d'aviser, soit par une note, plus péremptoire, s'il en est temps encore, soit par une note intime si l'on veut, mais suivant de près la première. On peut être certain que la deuxième serait livrée à la publicité des journaux écrits en langue turque par ordre du sultan lui-même ; cette publication préparerait le peuple musulman à subir les nécessités de la situation; et le résultat serait atteint sans rencontrer ni à Stamboul, ni autre part, d'obstacle sérieux pour la paix européenne.

L'EMPIRE OTTOMAN

Une polémique aussi vive que courtoise s'est engagée naguère entre le Journal des Debats et la République française à l'occasion des visites faites par M. Tissot au patriarche œcuménique et au patriarche grégorien. Cette démarche, accomplie par le représentant de la France dès la prise de possession de son poste, dénote une évolution de la politique française en Orient. Le Journal des Débats admet que la diplomatie française accorde sa protection à toutes les sectes chrétiennes, mais il verrait de mauvais œil qu'elle se disposât à les traiter toutes sur un pied de parfaite égalité, et à abandonner ce qu'il appelle « les droits et les devoirs spéciaux de la France envers les catholiques. » La République française applaudit sans réserve à cette « politique rationnelle », et voit s'augmenter ainsi l'influence de la France en Orient, où les catholiques sont en minorité. Le Journal des Débats craint que, par cette politique, l'influence de la France ne perde en intensité le centuple de ce qu'elle gagne en étendue.

Il eût été présomptueux à nous, nouveau venu dans la presse parisienne, d'intervenir dans la discussion entre nos deux honorables confrères; mais la polémique a cessé, d'autres sujets d'un intérêt plus immédiat occupant leurs esprits et remplissant leurs colonnes. Devant l'opinion publique, la question reste donc entière, aucun des deux combattants ne s'avouant vaincu par les arguments de l'autre; le doute subsiste sur les avantages ou les désavantages que la France est appelée à retirer de la nouvelle direction imprimée à sa politique religieuse en Orient.

En l'état où le Journal des Débats et la République française ont d'abord porté puis laissé la question, il doit nous être permis d'exposer notre manière de voir; on nous le permettra d'autant plus volontiers, quand on saura que notre intention n'est pas de rouvrir la polémique, mais d'exposer devant l'opinion publique les pièces du litige, tant sous le rapport des faits qu'au point de vue du droit, et de remplir ainsi le programme si excellemment tracé par la République française, quand elle dit dans son numéro du 21 juin : « Il faut s'entendre une fois

[ocr errors]

pour toutes sur cette importante question, et ne pas sciemment ou inconsciemment confondre une chose avec une autre. »

I

QUESTION DE DROIT.

Nous pensons qu'une opinion exprimée, il y a longtemps déjà, par un homme dont l'autorité à se prononcer en pareille matière ne saurait être contestée, peut être reproduite aujourd'hui avec d'autant plus de poids qu'elle est complètement indépendante des circonstances actuelles.

En 1785, à son retour de Constantinople, M. le comte de Saint-Priest, ambassadeur depuis 1760 auprès de la S. Porte, remit au roi Louis XVI, selon l'excellent usage de l'ancienne diplomatie, des Mémoires où se trouvaient réunis les divers travaux de sa mission, et notamment un rapport sur la protection de la religion chrétienne au Levant, déposé aux archives du département des affaires étrangères.

Voici comment M. le comte de Saint-Priest, éclairé par une pratique de dix-sept années, caractérise, dès les premières lignes de son rapport, le protectorat des rois de France sur les catholiques du Levant :

«On a décoré le zèle de nos rois de l'expression de pro«tection de la religion catholique du Levant; mais elle est << illusoire, et sert à égarer ceux qui n'approfondissent pas la «< chose. Jamais les sultans n'ont seulement eu l'idée que les << monarques français se crussent autorisés à s'immiscer de la <«< religion des sujets de la Porte. « Il n'y a point de prince, << dit fort sagement un de mes prédécesseurs, M. le marquis « de Bonnac, dans un Mémoire sur cette matière, quelque étroite <«< union qu'il ait avec un autre souverain, qui lui permette de « se mêler de la religion de ses sujets. Les Turcs sont aussi « délicats que d'autres là-dessus. >>

«Il est aisé de comprendre que la France, n'ayant jamais << traité avec la Porte qu'à titre d'amitié, n'a pu lui imposer « des obligations odieuses de leur nature. Aussi, le premier

point de mes instructions me prescrivait d'éviter tout ce qui << pourrait causer de l'ombrage à la Porte, en donnant trop <«< d'extension aux Capitulations en matière de religion. »

((

Cette importante citation nous dispense de tout commentaires; nous ajouterons seulement que tous les faits s'accordent

avec la doctrine exposée par M. le comte de Saint-Priest, et qu'il n'existe, dans les capitulations de la France avec la Turquie, aucun article qui ait trait à la protection des sujets mêmes de la Porte.

non

Ainsi parle, il est temps d'avouer notre larcin, pas le Portefeuille diplomatique du 3 juillet 1880, mais le Moniteur universel de l'Empire français du 2 juin 1853. Nous pouvons dire après lui et comme lui: cette citation nous dispense de tout commentaire; les Mémoires du comte de SaintPriest et du marquis de Bonnac, tous deux ambassadeurs de France et négociateurs de Capitulations avec la Porte, et le langage du Moniteur officiel de 1853, nous dispensent d'entasser ici les textes anciens. Nous les reproduisons néanmoins à la suite de cet article, comme pièces justificatives, et pour l'édification plus complète du lecteur.

On le voit, ce serait une erreur d'attribuer à la France un droit de protection sur les catholiques sujets du sultan.

Est-on plus fondé à lui attribuer celle des catholiques originaires d'autres États et voyageant ou résidant dans ceux du

sultan?

Ce droit, la France le possédait à l'époque où, seule, elle avait conclu des Traités avec la Turquie. A cette époque, «<les « sujets du Roy, comme s'exprime M. de Brèves dans ses Mé«moires, ont commencé à négocier seurement en tous les " pays du Grand Seigneur, y ayant bien aujourd'hui quatre «< cents Vaisseaux de la coste de Provence et de Languedoc, « qui s'entretiennent de ce seul trafic; mais avec eux, et sous <«< la bannière de France, il est aussi permis aux Espagnols, aux Italiens, aux Allemans, aux Flamans, et aux autres chrestiens, de négocier; ce que nos Rois ont particulièrement « désiré du Grand Seigneur, afin que toute la chrestienté tirast " avantage de leur Alliance, et que tant de Peuples, s'enri«< chissant par le moyen de ce commerce, eussent occasion de « bénir leur règne. »

[ocr errors]

« On connoist par là, ajoute M. de Brèves, que cette ami"tié est à la gloire de Dieu, à l'avantage de la Chrestienté, " et à la protection de tant de pauvres âmes qui vont chercher « de la consolation dans les Saints Lieux, où les rayons de la ❝ miséricorde de Dieu s'unissant et s'assemblant, leur dérobent « le sentiment de leurs maux, car je ne voy pas qu'avec au« cun prétexte de conscience, l'on puisse trouver à redire à « une amitié fondée sur de si justes considérations, et que plu

« PrécédentContinuer »