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DE LA GRÈCE

La rectification des frontières turco-helléniques fait partie des stipulations de Berlin dont le cabinet anglais veut activer l'exécution; et le gouvernement français, continuant son initiative d'il y a deux ans, a demandé et obtenu que cette question soit examinée la première entre toutes, avant celle du Monténégro et même avant celle de la Réforme.

Les négociations prochaines seront donc la suite des négociations passées, c'est une raison pour nous de retracer ici les phases successives par lesquelles a passé déjà cette question. Nous nous servirons d'abord des Livres Jaunes français; ceuxci ne donnant de documents qu'à partir du mois de février 1878, nous retrouverons ceux de 1877 dans les Livres Bleus anglais dont nous ferons, vu l'importance de la question, une analyse à part.

Il doit nous être permis de regretter que le gouvernement français n'ait pas jugé convenable de joindre à ses Livres Jaunes les correspondances antérieures au Congrès et les protocoles du Congrès relatifs à l'admission des représentants du Roi de Grèce à titre de légitimes défenseurs des intérêts des provinces grecques de l'Empire voisin. Du reste, nous trouvons, dans la coordination des documents publiés, un esprit de méthode dont nous avons à cœur de féliciter l'agent chargé de préparer ce travail et qui en rend l'étude très facile.

M. Waddington, premier plénipotentiaire français, a soulevé la question de la rectification des frontières de la Grèce à la treizième séance plénière du Congrès. Il l'a soulevée conformément à la déclaration qu'il avait faite à la séance de la Chambre des Députés du 7 juin 1878, en réponse à l'interpellation de M. Léon Renault et avec l'approbation unanime de la Chambre. « La France ira donc au Congrès, avait-il dit, non pas indifférente, parce qu'elle ne saurait se montrer indifférente à aucun des grands intérêts de l'Europe, mais elle y ira avec l'autorité que donne l'absence de toute convoitise; elle Ꭹ ira avec un désir sincère de travailler au maintien de la paix, avec la ferme volonté de conserver sa neutralité et avec un sentiment profond du droit public de l'Europe. En y

allant, elle se souviendra aussi qu'il y a d'autres Chrétiens que les Bulgares dans la péninsule des Balkans.... (Très bien! très bien !) qu'il y a d'autres races qui méritent au moins au mème degré l'intérêt de l'Europe. » (Très bien ! très bien !)

Le souvenir de ces applaudissements unanimes de la chambre des députés ne devait pas lui être de peu d'encouragement pour prendre l'initiative dans une question où il savait déjà qu'il n'aurait pas l'appui sincère de ses collègues anglais; Lord Beaconsfield, en effet, avait fait aux Grecs des promesses, il avait accepté leurs adresses et leurs télégrammes de remercîments, et quand, à la séance du 19 juin, le Congrès délibérait sur l'admission d'un représentant du Roi de Grèce, les plénipotentiaires anglais s'étaient attachés à enlever à la proposition française sa véritable signification, et à remplacer les mots de «provinces limitrophes » par ceux de « provinces grecques ». Etendre le cercle des observations du représentant hellénique, c'était nier implicitement qu'il pût y avoir une question de frontières.

Cette question de frontières, M. Waddington l'a soulevée dans la séance du 5 juillet, non seulement avec courage, mais encore avec tact. Il se fait un scrupule de prononcer un mot qui puisse froisser les légitimes susceptibilités des plénipotentiaires ottomans; il évite toute considération rétrospective sur l'origine des maux qu'il s'agit de guérir, il refuse d'accueillir les aspirations excessives de l'ambition hellénique; invoquant le témoignage d'un prince qui s'est acquis par sa sagesse une grande renommée en Europe, il propose d'étendre les limites actuelles de la Grèce, et de lui adjoindre des populations qui seraient une force pour elle et qui ne sont qu'une cause de faiblesse pour la Turquie.

La proposition a été votée, elle est insérée au Protocole, inliquant à la Turquie la mesure des intentions de l'Europe, à la Grèce les limites qu'elle ne doit point dépasser, et invitant la S. Porte à s'entendre avec la Grèce pour une rectification de frontières en Thessalie et en Épire, en suivant la vallée de Salamyrias (ancien Peneus) sur le versant de la mer Égée, et celle de Kalamas du côté de la mer Ionienne. Outre le Protocole, la proposition de médiation éventuelle des puissances, faite par M. Waddington, est devenue l'article 24 du Traité ; mais rien ne s'est décidé sans laisser à Lord Beaconsfield l'occasion de manifester sa mauvaise humeur. La proposition française concernant la Grèce était incontestablement moins dom

mageable à la Turquie et mieux motivée en général que la proposition dont les plénipotentiaires anglais se sont donné le plaisir de prendre l'initiative touchant la Bosnie et l'Herzégovine; et cependant, entendez comment Lord Beaconsfield tance vertement l'ambition, l'impatience et les erreurs de la Grèce.

Il ne fait pas opposition à la motion française, mais il en écarte toute éventualité de mesures coërcitives, et considère la ligne indiquée comme discutable. Pour le reste, il retire toute objection en présence du vote unanime des autres Puissances. La S. Porte saura à quoi s'en tenir.

C'est le résumé du procès-verbal du Congrès qu'on vient de lire, il est bien placé en tête du Livre Jaune, car il fournit la clef des négociations ultérieures et le motif de la question pendante.

Procédons par périodes:

1re PÉRIODE. DU 17 JUILLET, INITIATIVE PRISE PAR LA GRÈCE, AU 25 NOVEMBRE, PROMESSE D'INITIATIVE DE LA S. PORTE.

Le cabinet d'Athènes ne perd pas son temps, et dès le 17 juillet, il adresse à Photiadès Bey, ministre du Sultan à Athènes, une note le priant de provoquer la nomination de deux commissaires de la S. Porte qui, de concert avec les commissaires hellènes, procéderaient aux travaux de démarcation; le cabinet français appuie cette démarche par son chargé d'affaires à Constantinople. La S. Porte garde le silence jusqu'au 13 août, et alors elle répond à la Grèce et à la France par une dépêche à ses agents, dénonçant les injustices du Congrès, et invitant les puissances à se déjuger. L'heure de la médiation prévue par le Traité « pour faciliter les négociations » paraissait arrivée, non seulement aux yeux de M. Condouriotis, mais encore à ceux de M. Waddington. Celuici consulte, le 21 octobre, les autres cabinets et reçoit l'adhésion de tous, excepté du cabinet anglais qui, avant de répondre au cabinet français, voulait connaître l'avis du ministère ottoman, et cacher son refus de médiation sous une adhésion accomplie de la S. Porte. Voici le texte de cette dépêche de Lord Salisbury à Lord Lyons, ambassadeur à Paris :

« Foreign-Office, le 21 novembre 1878.

«My Lord, Votre Excellence a déjà reçu de moi une copie de la circulaire communiquée par le Gouvernement français aux

quatre Puissances qui se sont réservé le droit de médiation, d'après l'article xxiv du Traité de Berlin.

« Le Gouvernement de la Reine a différé jusqu'à présent de répondre à la proposition faite dans cette dépêche par M. Waddington, parce qu'il avait des raisons de douter que les circonstances actuelles fussent réellement telles que l'article auquel j'ai fait allusion devînt nécessairement applicable. M. Waddington admet que la Porte a définitivement refusé d'entrer en négociations avec la Grèce, relativement à la rectification des frontières conseillée pendant le Congrès. Les informations qui sont parvenues au Gouvernement de la Reine ne l'ont pas amené à la même conclusion. La Porte assurément, avait fait observer dans sa circulaire du mois d'août qu'aucune mesure suffisante n'avait été prise pour l'empêcher à l'avenir d'être inquiétée par la Grèce, ce qui en apparence était le seul avantage qu'il fût possible à la Turquie de recueillir de la rectification des frontières proposée. Mais il était prématuré d'admettre que son désir anxieux d'être satisfaite sur ce point impliquait le refus définitif d'examiner les suggestions des six Puissances. Si les informations qui parviennent au Gouvernement de la Reine sont exactes, les Ministres ottomans n'ont jamais perdu de vue cette question, et il y a des raisons de croire qu'ils prendront eux-mêmes l'initiative pour entrer en négociations avec la Grèce à ce sujet. S'il en était ainsi, M. Waddington reconnaîtrait probablement, comme le Gouvernement de la Reine, que le moment n'est pas encore venu de faciliter les négociations en offrant la médiation des Puissances. Quand il sera venu, le Gouvernement français peut être assuré que l'Angleterre joindra cordialement son concours à celui des autres Puissances qui ont participé à la résolution du 13° Protocole, afin de remplir les obligations qu'elle a assumées en y donnant son adhésion.

<< Dans l'intérêt même du résultat que les Puissances s'accordent à désirer, il faut peut-être se féliciter de ce que la nécessité d'agir conformément à l'article XXIV ne se soit pas encore présentée. Le succès de cette mesure, quand on la prendra, dépendra pour une large part du choix d'un moment opportun pour une intervention. L'emploi de mesures coërcitives a été explicitement exclu dans la discussion qui, pendant le Congrès, a suivi la proposition de la résolution de M. Waddington et du comte Corti. Les Puissances se sont reposées uniquement sur elles-mêmes du soin de persuader au Sultan qu'il consulterait

les intérêts réels de son Empire en mettant à exécution leurs avis. Si elles étaient jamais obligées d'offrir formellement leur médiation, elles s'adresseraient évidemment au Sultan avec une plus grande autorité, du moment où elles pourraient représenter l'observation entière du Traité de Berlin par toutes les Puissances, sur tous les points, comme un fait accompli, et signaler les bienfaits que son Empire aura, comme conséquence, retirés de l'exécution des mesures qu'il prescrivait.

«Comme il est actuellement probable que les négociations n'auront pas besoin d'être facilitées par la médiation prévue à cet effet dans le Traité, il est peut-être prématuré de discuter la forme précise que cette médiation devrait revêtir. Probablement, M. Waddington lui-même désirerait exposer ses vues avec plus de détails s'il les présentait aux Puissances dans la forme d'un plan d'action définitif; toutefois, la courte indication qu'il donne de la manière dont il procéderait rend désirable que je vous adresse une ou deux observations sur ce point.

« Dans l'opinion du Gouvernement de la Reine, le mot «¡médiation» implique qu'il ne serait pas suffisant d'adresser une demande à une seule des Puissances qui doivent participer à la médiation. Cette critique n'est pas seulement une question de forme. Il est de l'essence même d'une médiation qu'elle soit impartiale. Les deux adversaires doivent faire des concessions avant qu'il soit possible d'amener l'entente amicale que les six Puissances ont en vue, et, en conséquence, un médiateur qui remplit son rôle avec impartialité a des demandes à adresser à tous deux. Si la Turquie doit concéder un territoire, la Grèce de son côté doit renoncer à des réclamations. Le seul motif que la Turquie peut avoir pour abandonner un territoire qu'elle occupe actuellement, c'est de voir se terminer les agitations qui troublent ses populations et, en menaçant ses frontières, constituent une diminution permanente de ses ressources défensives. Le caractère de réciprocité de l'arrangement proposé a été pleinement admis dans la discussion, pendant la treizième réunion du Congrès, à laquelle se réfère l'article xxiv, dans le but d'expliquer la nature de la médiation stipulée, et nulle part elle n'est mieux exposée que dans le discours du premier Plénipotentiaire de France.

« Le règlement de ces difficultés permanentes est en effet, « pour la Turquie, une condition de sécurité et de prospérité «< intérieure, car aussi longtemps que dureront ces troubles, le

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