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Jésuites, par ce fait que des magistrats, leurs amis, ont subitement quitté leur siège : leur retraite dans les circonstances actuelles nous apprend qu'ils se sentent mal armés par le Code, et qu'ils donnent leur démission pour n'avoir pas à conclure au nom de la loi écrite contre leur conscience intime.

Ce qui est arrivé était aisé à prévoir dans un pays où le culte des traditions est une passion aussi répandue que l'amour des lois. Le bill par lequel M. Gladstone a obtenu de la chambre des communes le droit pour ses membres de choisir entre la formule légale et une affirmation d'honneur, se trouve déjà, dans la personne de M. Bradlaugh, porté devant les tribunaux. Le député de Northampton siège en vertu de son droit et par la force du récent vote de la chambre; mais de l'avis de son accusateur, M. Clarkes, il paiera cher chacun de ses votes; la loi en vigueur ne condamne pas à moins de 12.500 francs. chaque vote émis par un député avant la prestation du serment. M. Clarkes ne conteste pas au parlement le droit de faire des lois ou de modifier les lois existantes, mais il exige de lui le respect des lois qui ne sont ni modifiées ni abolies par une autre loi dans les formes prévues par le statut. Le bill voté par la chambre des communes ne résout donc qu'imparfaitement la difficulté qui a pris naissance dans l'élection de M. Bradlaugh et qui s'est développée dans ses premières entrées à la chambre. Sub judice lis est. Néanmoins, c'est un grand pas de fait dans la voie de la liberté de conscience. M. Gladstone a sondé le terrain, il l'a trouvé solide avec la majorité du parlement; si la sentence à intervenir l'y force, il proposera une loi suivant le vœu de M. Clarkes; mais la chambre des lords pourrait, à son tour, maintenir la question en suspens, avant de laisser le progrès s'accomplir.

La chambre des seigneurs de Prusse a voté en bloc la loi ecclésiastique, telle qu'elle lui est arrivée, défaite et contrefaite, de la chambre des députés. On avait cru que les articles sacrifiés seraient présentés sous forme d'amendement; mais il paraît que le gouvernement lui-même a voulu éviter toute nouvelle discussion, craignant qu'un nouveau vote sur l'ensemble ne lui enlève même les modifications déjà consenties par la chambre dans les lois de mai.

Telle qu'elle est, la nouvelle loi n'exercera pas une grande influence sur les rapports entre l'Église catholique et l'État en

Prusse, à moins qu'elle ne rouvre la porte à de nouvelles négociations avec le Vatican, ce qui paraîtrait impossible après les désastreuses révélations qui se sont récemment fait jour en Belgique.

La conséquence qui paraît certaine de la loi, et surtout des discussions qui en ont précédé le vote, c'est un groupement nouveau des partis parlementaires en Prusse.

La fraction nationale libérale, lisons-nous dans le Nord, aura de la peine à survivre à la scission qui s'est opérée dans son sein à l'occasion de ce débat. La décomposition de ce parti n'a cessé de faire des progrès depuis deux ans. Elle a commencé lors de la discussion des questions douanières, et depuis cette époque, les liens qui unissaient les diverses nuances de ce groupe sont toujours allés en s'affaiblissant. Une portion de plus en plus notable de la fraction s'est émancipée de la direction de M. de Bennigsen, et au dernier vote, la moitié environ des nationaux libéraux ont refusé de suivre le député hanovrien et de se prononcer en faveur du compromis qu'il avait conclu avec les conservateurs.

En même temps que les nationaux libéraux voient ainsi leur concours dédaigné par les autres groupes du parlement, les masses électorales s'éloignent d'eux chaque jour davantage. Aux nombreux échecs qu'ils ont subis dans ces derniers mois, vient de s'en ajouter un nouveau, qui est très caractéristique. Leur candidat a été battu à Lubeck, où, depuis de longues années, il passait presque sans lutte. C'est au point qu'aux élections antérieures, les progressistes avaient complètement renoncé à poser une candidature qu'ils désespéraient de faire réussir; les socialistes n'avaient réuni qu'un nombre de suffrages restreint. Cette fois le candidat progressiste l'a emporté à une grande majorité; les nationaux libéraux ont perdu depuis deux ans près de quatre mille voix. La National Zeitung ne se dissimule pas la gravité de cet insuccès, dans une ville qui paraissait acquise à jamais aux nationaux libéraux. Dans de telles conditions, n'ayant plus aucune autorité au parlement et perdant sans cesse du terrain dans le pays, le parti de M. de Bennigsen ne saurait plus conserver longtemps une existence distincte; il ne tardera pas à se dissoudre, et les deux principaux groupes dont il se compose se fondront l'un dans la fraction conservatrice libérale, l'autre, dans le parti progressiste. Si cette évolution s'opère, l'idéal parlementaire du prince de Bismarck,

d'avoir une majorité gouvernementale composée de conservateurs et de nationaux libéraux, sera impossible à réaliser.

Il nous arrive d'Allemagne un document fort curieux; nous le livrons tel quel à l'appréciation de nos lecteurs; nous nous abstenons d'ajouter lemoindre mot de commentaire à cette circulaire que le ministre des affaires étrangères adresse aux gouvernements confédérés pour leur faire connaître une décision, oui, une décision prise au Reichstag sur la proposition de M. de Bismarck fils. Cela dit, laissons la parole à M. le prince de Hohenlohe :

« Cette décision a été prise, parce que la faculté accordée à tout le monde de faire des lettres de change dépasse les besoins du commerce et favorise l'usure. Il est incontestable d'ailleurs que le droit d'émettre des lettres de change n'est d'aucune utilité aux classes qui ne s'occupent ni de banque ni de commerce. Il s'agit donc avant tout de déterminer les limites dans lesquelles le droit d'émettre des lettres de change est à considérer comme un véritable besoin de l'économie nationale. Il est hors de doute que certaines catégories de personnes peuvent parfaitement s'abstenir de faire des lettres de change. Tels sont les militaires, les étudiants, les savants, les ecclésiastiques, les instituteurs et autres fonctionnaires, tandis que les négociants, les fabricants, les propriétaires de mines, les sociétés industrielles, les caisses de secours, etc., ne sauraient être privés du droit en question, qui, pour bien des personnes, semble sans objet, notamment pour les propriétaires de biens-fonds et les industriels qui, aux termes du code de commerce, ne sont pas négociants. Il s'agit donc de savoir si le crédit par lettres de change doit être accordé aux grands et aux petits propriétaires de biens-fonds, à ceux qui sont engagés dans des entreprises industrielles, à ceux qui se bornent aux affaires agricoles, à ceux des villes et à ceux de la campagne, et jusqu'à quel point les industriels, notamment les artisans, devront en être privés. Jusqu'ici les renseignements ont manqué pour répondre à ces questions. Dans l'intérêt des catégories citées plus haut et dans l'intérêt général, le chancelier se croit obligé de s'entourer de tout ce qui peut le renseigner à ce sujet. Il a donc chargé le ministère des affaires étrangères d'engager les gouvernements confédérés à s'occuper de cette question, pour savoir s'il convient de laisser aux propriétaires de biens-fonds, aux industriels, notamment aux artisans, la faculté de faire des lettres de

change, ou s'il y a lieu de la restreindre et de préciser, dans ce dernier cas, les limites à assigner à chacun. Il s'agit aussi de savoir si, pour les catégories susdites, il faudra faire une différence entre les traites et les billets chirographaires, et s'il faut laisser subsister ces derniers concurremment avec les premières. >>

La Belgique et la Suisse sont, plus encore que l'Allemagne, tourmentées par les questions toujours ardentes que soulève la discussion des rapports entre l'Eglise et l'Etat.

Dans le premier de ces deux pays, les relations avec le Saint-Siège sont interrompues, mais non rompues. Le gouvernement a publié des documents officiels pour justifier sa résolution devant le peuple; quant au Vatican, les uns annoncent qu'il répondra à cette publication par une autre d'où tous les torts rejailliraient sur M. Frère-Orban; d'autres envoient la nouvelle que Léon XIII aurait délégué à Bruxelles un agent spécial qui serait chargé de rétablir la concorde.

En Suisse, à Genève, le berceau du calvinisme, le grand Conseil avait voté la séparation de l'Église et de l'État, et la suppression totale du budget des cultes. Quand le peuple était appelé à se prononcer sur cette loi, elle a été appuyée par le parti ultramontain et repoussée par les autres; une grande majorité protestante a voté non.

Dans son prochain numéro, le Portefeuille commencera une série d'articles sur ces questions, si intéressantes pour toutes les sociétés politiques et civiles, et malheureusement si peu connues pour être bien appréciées. Le Portefeuille publiera l'analyse des principales dispositions des concordats en vigueur entre le Saint-Siège et divers gouvernements d'Europe et d'Amérique.

LA POSITION ACTUELLE DE LA QUESTION

D'ORIENT

Il importe de ne pas perdre de vue que la Conférence de Berlin a eu à examiner et à décider une seule des questions pour la solution desquelles lord Granville a réclamé le concours des grandes puissances; il importe de ne pas oublier que sa dépêche-circulaire du 4 mai (1) et ses instructions à M.Goschen, en date du 18 mai mentionnent, outre la Grèce, le Monténégro et l'Arménie comme devant urgemment recevoir la satisfaction à laquelle ils ont droit de par le Traité du 13 juillet 1878; il importe de se rappeler que les volontés ainsi manifestées du cabinet anglais sont devenues, par la note identique du 11 juin, les volontés non moins manifestes des autres cabinets. Si l'on se plaît à admettre la solidarité ainsi établie entre les puissances signataires du Traité de Berlin, et cette solidarité nous semble incontestable, -on peut se dispenser de toute méditation sur les mesures qu'elles prendraient ou qu'elles auraient à prendre dans le cas, trop vraisemblable, où la Turquie refuserait d'accepter et d'exécuter les décisions de la Conférence de Berlin.

Quoi qu'elles fissent serait un acte prématuré, car d'autres questions s'imposent à leur attention et exigent une décision suivie d'exécution. Telle est aujourd'hui la position de la question d'Orient, non seulement devant l'Europe, mais aussi devant le sultan, ses conseillers et ses peuples, que l'accord entre la Turquie et les puissances sur un point ne serait d'aucun secours sur les autres points, et que toute mesure à prendre par les puissances sur une question, resterait une demi-mesure quels qu'en fussent d'ailleurs les effets. On a parlé de démonstrations navales, on a parlé de débarquement de troupes, on a parlé d'exécution par la force. Sans doute on les peut vaincre, mais Janina prise, Seigneurs, où courons-nous? L'Arménie déjà nous tend les bras. Les mêmes démonstrations et l'exécution par la force pourront-elles se répéter quand il s'agira d'assurer la sécurité des localités habitées par les Arméniens? L'entente des puissances qui, c'est possible, existe aujourd'hui (1) Voir n° 4, page 156.

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