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CHRONIQUE POLITIQUE

9 juillet 1880.

Le bulletin qu'on lit en tête de ce numéro annonce la publication d'une série d'articles concernant les concordats entre le Saint-Siège et divers États des deux mondes. Il m'a été donné de jeter un coup d'œil sur la table sommaire de cette étude, relative à une branche qui a jusqu'à présent pris bien peu de place dans les journaux in-folio. Si elle en a pris dans les Revues, je l'ignore, mais je trouve indiqués une foule d'ouvrages qui, à en juger par leurs titres, doivent avoir eu peu ou prou de lecteurs. C'est trop savant, me suis-je permis de faire observer à mon directeur, qui m'a répondu et m'a confondu, rien qu'en changeant le temps du verbe : c'était trop savant, dit-il, ce ne le sera plus, quand le Portefeuille l'aura, pour ses lecteurs, dépouillé de son aridité.

Mon indiscrétion, ou plutôt l'observation que ma curiosité m'a suggérée, me vaut la tâche de converser moi-même avec mes lecteurs sur le sujet qui, il y a un quart d'heure à peine, m'effrayait par son aridité. Le mot Kulturkampf, ce mot barbare, dur à la vue, dur à l'oreille, dur au palais, je dois le traduire, l'expliquer, le commenter, je dois faire en sorte que l'auteur des articles qui en traitera n'aura pas à l'écrire en son entier, que les initiales des deux parties dont il est composé puissent suffire à l'intelligence du lecteur, dans le cas même où les compositeurs de l'imprimerie, serviles imitateurs de la copie, mettront deux K à la place où devra être le mot.

Pourquoi aussi mettre K. K., quand on a L. M. qui dit la même chose? C'est vrai, Kulturkampf et Lois de mai sont synonymes; mais pas partout ni pour tous les mois de mai. En Allemagne même, la loi de mai 1880 n'est pas Kulturkampf au même titre ni surtout dans le même sens que les lois de mai 1873, 1874 et 1875. Car enfin, si le Kulturkampf de 1873 à 1875 est le combat de la culture pour ou contre, peu importe en ce moment celui de 1880 est le combat contre le combat, puisque la loi de mai 1880 est destinée à effacer les traces de celles des mois de mai antérieurs.

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Ne voilà-t-il pas que je suis à mon tour empêtré dans une

série interminable de phrases qui s'enchaînent, et ce d'une manière subjective, mais qui ne disent toujours pas ce qu'est le Kulturkampf, cependant je voudrais le dire, ce serait une préparation à la lecture sérieuse de la semaine prochaine; ce n'est pas que j'ignore le fond de la chose, mais. il m'est difficile de découvrir le motif pourquoi le chancelier de l'empire d'Allemagne a baptisé ses lois de mai du nom de Kulturkampf, et embarrassé d'y trouver un équivalent en langue française.

Essayons cependant; il est possible qu'en relisant, recopiant, résumant les lois de mai, j'y trouverai des éléments de culture et des insignes de combat

Les mesures législatives qui ont ouvert et continué l'ère du Kulturkampf en Prusse, et que la loi nouvellement votée est venue reviser en partie, sont les lois des 11 et 12 mai 1873, des 4 et 20 mai 1874, du 22 avril et 31 mai 1875.

La première de ces lois dispose qu'un emploi ne peut être conféré, dans une des Églises chrétiennes, qu'à un Allemand, ayant passé l'examen de sortie d'un gymnase allemand, ayant fait ensuite trois ans d'études théologiques dans une Université d'État allemande, et finalement ayant passé un examen scientifique, dit examen d'État, réglementé par le ministre des cultes. Dans les établissements ci-dessus mentionnés, ne pouvaient être employés comme professeurs ou moniteurs, que des Allemands ayant reçu dans une Université allemande le brevet attestant leur capacité d'enseigner cette spécialité.

Voilà la loi du 11 mai 1873, l'aînée des lois de combat. Elle lutte pour la science allemande, pour la bourse allemande : futurs prêtres allemands, ne croyez pas qu'il suffise d'être Allemand et savant, la loi vous refuse à jamais toute capacité et toute faculté de passer l'examen d'État si vous n'avez pas commencé et achevé vos études auprès d'un professeur allemand, qui, comme vous, restera exclu de la faculté d'enseigner, s'il a étudié autre part qu'à une Université allemande. J'ai donc bien dit, cette loi s'en va en guerre en l'honneur de la bourse allemande.

Si la loi du 11 mai 1873 avait surtout en vue l'enseignement, la loi votée le lendemain avait pour objet spécial de régler la discipline en matière ecclésiastique. Elle dispose des cas dans lesquels appel peut être interjeté à l'Etat d'une peine prononcée par les autorités ecclésiastiques. Elle ordonnait en outre que les serviteurs de l'Église qui contreviendraient aux

lois d'État et aux ordonnances de l'autorité, d'une manière si grave que leur maintien dans leur emploi serait inconciliable avec l'ordre public, pouvaient, sur la demande de l'État, être révoqués de leur emploi par un jugement. La révocation entraînait l'incapacité légale pour l'exercice de l'emploi, la perte du traitement y attaché et la vacance de la place.

Voilà du combat bien organisé, le prêtre combattant son supérieur hiérarchique, les tribunaux combattant l'un et l'autre; d'un bout à l'autre c'est du combat, c'est la guerre à outrance, la culture seule fait défaut. Pardon! le jeu de la guerre fait partie de toute bonne éducation dans l'école de M. de Bismarck.

La loi du 4 mai 1874 aggravait encore ces dernières prescriptions, en ordonnant que tout ecclésiastique révoqué, qui remplissait un acte ressortissant de ses fonctions, pouvait être, par mesure de police, interné dans une localité déterminée du pays, et même dans certains cas déclaré déchu de sa nationalité et expulsé du territoire confédéré.

Tout ecclésiastique qui exerce une fonction de son ministère, par ordre d'un évêque révoqué ou non reconnu, était passible d'une amende et de la prison.

C'est la suite du combat commencé l'année précédente; même but, avec aggravation d'effet.

La loi du 22 avril 1875 a réglé le mode de réintégration des fonctionnaires ecclésiastiques qui feraient leur soumission. Enfin, la loi du 31 mai de la même année a soumis les ordres religieux et les congrégations à la surveillance de l'État.

Telles sont les lois que le Saint-Siège et l'épiscopat prussien se sont invariablement refusés à reconnaître, et dont la mise en vigueur a constitué le Kulturkampf. Encore une fois, c'est la guerre au Saint-Siège, c'est la guerre à l'Église catholique, menée par un pouvoir protestant. C'est le kampf, le combat ; et Dieu nous préserve d'un kampf de ce genre. M. de Bismarck m'apprend à le souhaiter, car il se repent lui-même de l'avoir engagé après avoir constaté que son bras et sa volonté de fer restent sans force pour dompter un adversaire qui ne résiste que par l'inertie; il voulait se retirer du combat; la loi présentée au Landtag par le gouvernement avait pour objet d'abroger partiellement ou de réviser ces dispositions rigoureuses. Mais il convient d'ajouter que les dispositions essentielles du projet gouvernemental se trouvaient contenues dans

ceux précisement des articles qui ont été rejetés par la majorité de la chambre. Ce sont les articles 1, 2, 4, 7 et 11 du projet.

L'article 1, qui conférait au gouvernement un pouvoir réellement discrétionnaire, autorisait le ministère à dispenser les ministres des cultes des conditions exigées par les lois existantes, ainsi qu'à permettre l'exercice des fonctions du culte à des étrangers. La même loi donnait au ministère le droit de régler sur des bases nouvelles les conditions d'instruction exigées des candidats aux fonctions ecclésiastiques et d'admettre les études faites dans des établissements étrangers.

L'article 2 restreignait au président supérieur de la province le droit d'appel à l'État des décisions prises par les autorités ecclésiastiques. L'article 4 permettait la réintégration des évêques précédemment révoqués. L'article 11 accordait au ministère le droit de régler à sa guise, par voie d'ordonnance royale, le mode de présidence des autorités ecclésiastiques d'une paroisse catholique.

Vains efforts, pour le combat il est né, par le combat il a grandi, dans le combat il vieillira. Ainsi lui ont répondu le Landtag et la chambre des Seigneurs.

Toutes ces dispositions, qui constituaient une abrogation virtuelle des lois du mai anciennes, ont été rejetées lors du vote sur les lois de mai contemporaines, et, somme toute, je penche à croire que si toutes ces lois qui ont vu le jour au printemps berlinois sont des lois de combat, la dernière, la plus récente est seule un Kulturkampf. M. de Bismarck, fatigué de lutter, aurait voulu faire la paix avec les évêques pour aller à Varzin planter ses choux, et les deux chambres ont voté pour le combat contre cette culture.

9 juillet 1880.

La liquidation n'a pas complètement répondu à l'attente des acheteurs. Les reports ont subi une tension qui pourrait avoir de fàcheuses conséquences pour le marché, si le même fait venait souvent à se reproduire.

Aussi la spéculation, qui ne raisonne qu'en vue du moment présent, a-t-elle pris peur et subi un désarroi qui s'est manifesté par des mouvements d'une brusquerie et d'une portée considérables sur nos rentes et les principales valeurs.

Il est à souhaiter que le marché reprenne du calme et arrive à envisager les choses plus froidement.

Il est vrai que la question des reports n'a pas eu seule cette déplorable influence sur les cours, et que les appréhensions politiques participent dans une large mesure aux causes initiales de ce mouvement.

Quel que soit d'ailleurs le point de vue où l'on se place, il ne faut pas oublier que le mois de juin est un mois exceptionnel, où l'argent se raréfie tout à coup et se met en réserve dans les caisses de nos Sociétés de crédit, pour le paiement des nombreux coupons à détacher au début de juillet; que ces sommes immenses, une fois les coupons payés, reviennent rapidement à la Bourse en quête d'un placement, et ne peuvent qu'aider puissamment à une reprise.

Quant aux questions politiques intérieures, leur influence n'est que passagère, et ne peut longtemps altérer la confiance de la spéculation, qui a, du reste, pour habitude constante de ne s'en préoccuper que fort peu.

La situation budgétaire de la France est si florissante, et les impôts ont de telles plus-values, que nos députés votent d'un seul coup pour 130 millions de dégrèvements, et que le ministre des finances est amené à faire une déclaration constatant que les ressources mises à sa disposition par le pays dispensent l'administration de recourir à l'émission autorisée de rente 3 0/0 amortissable, à celle des 400 millions de Bons du Trésor pour les grands travaux publics, et que les revenus dépassent de beaucoup les besoins.

Mais, nous dit-on, et les questions de la politique étrangère ?

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