Images de page
PDF
ePub

matique à Péra a acquis dans cette manifestation officielle de la politique du cabinet actuel de la S. Porte, une nouvelle leçon sur la valeur à attribuer aux changements ministériels en Turquie. Il est permis de douter que Saïd Pacha et Sawas Pacha eussent donné à la note identique concernant le Monténégro une réponse plus cyniquement insolente que celle qui a été délibéré dans le cabinet Derviche Pacha et Abeddin Pacha. Voici, dans son texte, la note que celui-ci adressa aux ambassadeurs, en réponse à leur observation concernant la délimitation du Monténégro :

Constantinople, le 24 juin 1880.

« Monsieur l'ambassadeur,

<< J'ai l'honneur de répondre à la partie de la note de V. E., en date du 11 juin, qui se rapporte aux affaires du Monténégro.

«Dans sa note du 18 avril dernier, mon prédécesseur, Sawas Pacha, a donné à V. E. des explications sur des faits qui se rattachent à cette question.

« Ces explications ont eu pour but, et doivent avoir pour effet, de démontrer aux puissances signataires du Traité de Berlin que, si les troupes monténégrines n'ont point pris possession des positions abandonnées par les troupes ottomanes, ce fait ne saurait être imputé à nos autorités.

«En effet, si le commandant de Podgoritza avait élevé, en recevant l'avis, une objection sur l'insuffisance du délai qui lui était laissé pour se rendre sur les lieux avec ses troupes, les autorités ottomanes auraient pu retarder la retraite de nos troupes et rétablir facilement le délai de vingt-quatre heures.

« Le gouvernement impérial, tout en se réservant le droit de se considérer comme dégagé de toute obligation, croit néanmoins devoir déférer au désir exprimé par les puissances, et n'hésite point à leur offrir d'exécuter de nouveau les mesures arrêtées dans le mémorandum, sous la condition que le temps nécessaire sera accordé aux autorités ottomanes.

« Nous sommes convaincus que les puissances tiennent également à cœur d'éviter les suites fâcheuses qu'entraînerait l'emploi des moyens violents contre les Albanais qui, dans leur ignorance des douloureuses exigences de la politique, essaient de s'opposer à la cession de leur pays. Outre le désir légitime d'éviter une effusion de sang, la Sublime Porte se préoccupe à bon droit des conséquences d'une lutte à entreprendre contre

ces masses armées qui sont encore sous l'empire d'une grande exaltation, conséquences qui se traduiraient par la perturbation de l'ordre et de la tranquillité publique, tandis qu'elle est persuadée qu'elle arrivera, avec l'aide du temps, à faire réoccuper par ses troupes les positions évacuées, afin de se conformer aux termes du mémorandum.

<< Pendant le même délai, le gouvernement impérial prendra des mesures efficaces pour atteindre ce but sans effusion de sang, et il va sans dire que, pour faciliter l'accomplissement de cette tâche, le délai dont il s'agit ne devra pas être rapproché.

«<Au surplus, la S. Porte, si les puissances le jugeaient nécessaire, ne refuserait pas de payer au gouvernement monténégrin les impôts perçus par les autorités impériales sur le territoire qu'il n'aura pu provisoirement posséder.

« La Porte est en même temps prête à prendre en considération tout autre mode de solution qui lui serait suggéré par les puissances et qui réunirait les conditions voulues pour amener le résultat désiré, en écartant les complications actuelles, sans que du sang soit versé et en prévenant le désordre qui résulterait d'une violente résistance.

« Veuillez agréer, monsieur l'ambassadeur, l'assurance de ma haute considération.

[blocks in formation]

UNE CIRCULAIRE DITE APOCRYPHE

Honni soit qui mal y pense! La circulaire attribuée à Abeddin Pacha encourageant les Albanais n'a jamais existé; les correspondances des agences télégraphiques, les amateurs de nouvelles à sensation l'ont inventée; Abeddin Pacha le dit. qui voudrait soutenir le contraire, même après avoir lu la note circulaire qui précède, qui est officielle et n'est pas contestée, et qui rappelle ligne par ligne la circulaire dite apocryphe?

Rendons à Abeddin Pacha le service de reconnaître qu'il n'a pas écrit de circulaire, mais une lettre particulière, qu'on a eu le tort de faire circuler. L'original est en un des dialectes parlés parmi les Albanais, il en a été fait traduction en d'autres dialectes albanais; il en a été fait traduction en turc, en grec, en italien, et souvent des traductions faites sur des traductions. Si, dans cette pérégrination, la lettre intime est devenue circulaire, est-ce la faute d'Abeddin Pacha? Certes non!

En conclusion, le ministre de la Porte n'a pas écrit la circulaire dont ont parlé les agences télégraphiques; il n'a écrit qu'une lettre dont un correspondant envoie au journal le Parlement la traduction française, et dont nous recevons nousmême une traduction turque. Le correspondant du Parlement et celui du Portefeuille ne se connaissent nullement, mais la traduction envoyée par l'un ressemble au texte envoyé par l'autre, tout autant qu'Abeddin Pacha, ministre des Affaires étrangères, rappelle Abeddin Bey, commissaire ottoman aux conférences de Prévéza.

Voici donc la fausse circulaire, la lettre particulière:

de

« Le gouvernement de S. M. I. m'a relevé de mes fonctions de gouverneur de Salonique, que j'occupais depuis peu temps, grâce à la haute sollicitude de notre auguste maître le sultan, à l'égard de notre nation albanaise, plutôt que pour mon modeste mérite.

« Vous avez déjà été informé télégraphiquement de mon départ de cette dernière ville et de ma nomination à Constatinople comme ministre des affaires étrangères, poste que je n'espérais jamais atteindre. Mais j'avais toujours souhaité de le voir occupé, sinon par un Albanais, du moins par un ami sincère de

l'Albanie, appréciant à sa juste valeur la situation politique et géographique de ce pays, et pouvant exposer avec conviction à l'Europe la cause de ses convulsions périodiques.

«Mais, par une faveur exceptionnelle de la divine Providence, mes vœux ont été exaucés bien au delà de mes espérances. En m'appelant à gérer ce poste, si important dans les moments actuels, critiques et décisifs à la fois pour notre cause, que le Très-Haut m'accorde l'intelligence nécessaire pour accomplir ma tâche en respectant nos aspirations nationales. Je suis certain que votre confiance m'est acquise à la suite des preuves nombreuses que j'ai déjà données de mon attachement à la patrie. De même que mes frères et toute ma famille toujours dévouée à notre cause sainte, j'ai fait serment de consacrer ma vie entière en travaillant pour le bonheur et la félicité de l'Albanie. Vous connaissez les sentiments qui m'animent; de mon côté, j'ai foi en votre dévouement, que je sais être à la hauteur des circonstances. Je vous adjure donc d'écouter mes conseils. Ils sont aussi ceux du gouvernement paternel de S. M. le Sultan, et ont pour but de vous prémunir contre les intrigues de l'étranger et contre les provocations de vos adversaires, qui cherchent à compromettre la cause de l'Albanie aux yeux de l'Europe comme à ceux du gouvernement ottoman.

« Vous savez déjà qu'une conférence se réunit à Berlin pour résoudre définitivement la question hellénique. Grâce aux sages mesures prises par le gouvernement impérial, le concours des puissances qui ont intérêt à conserver intacte la vieille Albanie ne nous fera pas défaut. J'ai quelques raisons pour croire que les résolutions de Berlin ne seront pas préjudiciables aux droits des Albanais. Mais, tout en étant rassuré sur l'arrangement final de la question hellénique, si menaçante pour notre pays, je dois en même temps vous conseiller de ne pas rester inactifs vis-à-vis des négociations de Berlin.

«Lorsqu'un dernier mot va être prononcé sur la partie la plus essentielle de la nation albanaise, vous devez songer à la défense de vos droits sacrés. Et s'il vous manque le temps nécessaire pour préparer et envoyer à Berlin une délégation spéciale, il faut au moins que vous vous assembliez en conseil général pour rédiger des pétitions qui exposeront vos vœux et vos droits légitimes et pour en transmettre télégraphiquement le texte à Berlin. Vous devez aussi seconder ceux qui voudraient aller plaider votre cause devant ce haut tribunal européen. De mon côté, j'ai déjà réuni les notables Albanais

de Stamboul qui ont préparé la pétition dont je vous envoie copie ci-jointe, pour votre information.

« Les convoitises que les Monténégrins nourrissent contre les territoires albanais ont heureusement été abandonnées à l'entente ultérieure des puissances. Je suis persuadé qu'aussi, de ce côté, la question sera décidée à notre avantage. Vous serez longuement édifié à ce sujet par une communication ultérieure. Le plus grand désir de S. M. I. le Sultan, notre bien-aimé souverain, en m'appelant aux fonctions de ministre du Hardjie, était de vous donner une marque nouvelle de l'éclatant et immense intérêt qu'il porte à notre pays et à notre sainte cause, que les liens vitaux attachent à celle de l'empire dont elle est inséparable.

(<

« L'existence de la Turquie en Europe est intimement liée à l'existence de l'Albanie. Aussi, tous les efforts du gouvernement tendront à rendre l'Albanie grande et forte, marchant de front avec les puissances intéressées au maintien de l'empire ottoman en Europe. La Porte vous mettra à l'abri des convoitises de vos voisins pour que vous formiez à votre tour, dans l'avenir, une barrière infranchissable contre l'ambition d'un ennemi puissant qui cherche à s'agrandir à nos dépens.

«L'Albanie doit rester grande et forte, parce que le rôle qui lui est réservé sera grand. - Marchez unis et fermes, d'accord avec vos compatriotes chrétiens ils sont, eux aussi, les enfants de la patrie et ont souvent combattu à vos côtés pour la même cause. Telle est la logique de la situation et la volonté suprême de notre magnanime souverain. Le moindre désaccord parmi vous, le moindre écart, ou la moindre indifférence aux volontés du sultan, sera un crime impardonnable, et compromettra l'Albanie en favorisant les espérances de ses ennemis. «Je prie constamment la divine Providence de vous accorder faveurs et prospérité. Priez-la, de votre côté, de m'accorder la force et la prudence nécessaires pour assurer le succès de la cause nationale et des intérêts de l'empire ottoman.

[blocks in formation]
« PrécédentContinuer »