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prévue, au lieu de traîner la discussion une année durant sur les indications d'un diplomate étranger. Nous savons que le conseil lui en a été donné par un simple mortel; mais conseiller un acte d'initiative à la S. Porte, c'est prêcher dans le désert. Une autre différence par où la conduite des pachas se distingue de l'ordinaire, c'est que cette fois ils ont à l'avance organisé la résistance; ils ont agi avant d'y être forcés, ils ont parlé avant d'avoir été interrogés.

Leurs préparatifs de résistance au nom du patriotisme albanais, leur langage hautain avant la lettre, tout cela disparaît comme un fétu de paille, s'il est vrai que MM. Tissot et Goschen ne se sont pas bornés à apposer leurs noms à la note collective; mais que, dans une audience que leur a accordée le sultan Abdul-Hamid, ils lui ont montré les dangers auxquels il s'exposerait personnellement par un refus d'exécuter les décisions unanimes des grandes puissances relativement aux frontières de la Grèce. Or, nous sommes disposés à croire vraie cette information, dont le contenu nous prouve que les ambassadeurs, MM. Tissot et Goschen, ont une parfaite connaissance de la situation d'esprit des hommes de Turquie.

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Sur cette affaire, où la réponse d'Abeddin Pacha à la note du 11 juin appelle notre attention, et qui, concernant la réforme, nous paraît plus intéressante et plus importante que toutes les questions de frontières, nous avons tant à dire que l'espace et le temps nous manqueraient également. Nous décidons donc de reproduire aujourd'hui le texte de cette réponse d'Abeddin Pacha; ni lui, ni nos lecteurs ne perdront à attendre le prochain numéro pour en recevoir le commentaire basé sur les documents officiels :

Voici le texte de la réponse de la Porte à la Note identique des puissances, du 11 juin 1880 :

◄ Constantinople, le 5 juillet 1880,

« Monsieur l'ambassadeur,

« J'ai l'honneur de répondre à la partie de la note du 11 juin de Votre Excellence, qui a trait aux stipulations de l'article 61 du Traité de Berlin, stipulations énoncées dans le dernier paragraphe du même article.

« En dépit des préoccupations et des difficultés de tout genre résultant de la guerre, le gouvernement impérial ottoman a toujours eu présente à la pensée l'exécution de ces clauses, et a envoyé dans toutes les parties du Kurdistan et dans d'autres vilayets plusieurs fonctionnaires compétents dont la mission consistait à rechercher les moyens les plus efficaces pour assurer la sécurité tant des Arméniens que des autres sujets de S. M. I. le sultan, et indiquer enfin le mode d'application des mêmes moyens en exécutant eux-mêmes quelques mesures rentrant dans leurs attributions. Outre ces commissions, on n'ignore pas non plus que, dans un court espace de temps, le gouvernement ottoman a décrété la séparation des tribunaux (nizamié) du pouvoir exécutif, conformément à ce qui se pratique en Europe; qu'il s'efforce encore de leur donner une bonne organisation et de faire partout les expériences nécessaires tendant à établir un nouveau mode de perception des impôts et de la dime; que, pour assurer le repos et la tranquillité des populations, il a enfin commencé à instituer la gendarmerie et la police dans certaines localités, en chargeant plusieurs officiers spéciaux indigènes et étrangers de présenter des projets de loi sur ces deux institutions et en prenant en considération tout ce qui contribuerait à leur succès.

«Il résulte de ces enquêtes que, parmi les réformes les plus appropriées au caractère et aux besoins des populations, celles qui sont reconnues à l'heure qu'il est pour les plus urgentes et efficaces, consistent en l'organisation et à la répartition des communes (nahiés), ainsi qu'en la création de cours d'assises. Je crois donc opportun, d'entrer dans quelques détails relativement à ces deux points qui sont destinés à garantir d'une manière sûre et certaine l'ordre et la sécurité publique. Chaque district (caza) sera divisé en communes qui comprendront, à leur tour, des groupes de villages rapprochés les uns des autres.

« Les Conseils communaux seront élus par les habitants, et le gouvernement nommera l'un des conseillers administrateurs de la commune. Investis de certaines attributions se rattachant au pouvoir exécutif, ces administrateurs relèveront des souspréfets (caïmakams) et cumuleront également les fonctions municipales. Ils doivent appartenir au culte de la majorité des habitants qui les auront élus et auront, dans ce cas, pour adjoints les personnes professant le culte de la minorité. Ils seront assistés dans l'exercice de leurs fonctions par un Conseil

mixte composé de quatre à six membres issus du suffrage de la population. Les susdits administrateurs et Conseils des communes seront nommés, pour la première fois seulement, par les Conseils administratifs des sous-préfectures, lesquels Conseils auront à les choisir parmi les habitants des localités respectives.

((

Chaque administrateur aura sous ses ordres une gendarmerie dont le nombre pourra être augmenté en proportion des besoins réels de la localité. Cette force armée sera chargée d'assurer l'ordre et la sécurité de la commune, de mettre en état d'arrestation les malfaiteurs et les vagabonds et de protéger les habitants contre toute violence et vexation. Chaque brigade de gendarmes pourra requérir l'aide et la coopération de celles des autres communes, pour agir ensemble et réussir dans la poursuite des brigands.

<< Outre les agents mentionnés ci-dessus, il sera organisé dans chaque province, en vertu d'un règlement spécial, un corps de gendarmerie provinciale dont les officiers et soldats seront choisis parmi toutes les classes des sujets de l'empire, et qui sera placé sous les ordres du gouverneur général (vali) pour être mis à la disposition des préfets (caïmakams). Il aura pour commandant des officiers expérimentés et donnera aide et assistance, chaque fois qu'il en sera requis, aux gendarmes se trouvant dans les communes. Il ne saurait entrer dans le cadre de la présente note d'énumérer tous les avantages que comporte l'organisation qui précède. Il me suffit de constater ici qu'elle sera également un moyen efficace pour augmenter le nombre des écoles communales, amener le progrès de l'agriculture et améliorer les voies de communication par les soins des administrateurs et des Conseils des communes.

« La même expérience faite dans un des districts de Salonique a produit dans un bref délai les meilleurs résultats, au grand contentement de la population locale. Une telle mesure aura donc pour effet principal d'asseoir sur des bases solides la sécurité publique et individuelle.

« Un autre moyen puissant pour garantir cette sécurité, c'est, comme nous l'avons dit, l'institution des Cours d'assises. « Ces tribunaux auront, à tour de rôle, à parcourir les districts où leur présence sera reconnue nécessaire et à y juger les crimes. Un tel mode de procéder offre de très grands avantages, attendu que l'instruction et le jugement sur les lieux se feront avec beaucoup plus de facilité que si la cause devait

être soumise aux Cours criminelles sédentaires dans les sandjaks; car il arrive toujours que les personnes dont le témoignage est reconnu indispensable, se refusent à comparaître devant ces dernières et même à se constituer comme témoins, à cause de la grande distance, des difficultés de communication, de la perte de temps et des dépenses considérables, toutes choses qui entravent forcément le cours de la justice.

« Le gouvernement ottoman a déjà admis aux fonctions publiques des personnes capables et honnêtes, sans distinction de culte. Désormais ce fait recevra une plus large application encore, et la Sublime Porte tiendra la main à ce qu'il se traduise bientôt par des actes.

« Une autre mesure tout aussi importante s'impose à la sollicitude du gouvernement impérial: c'est celle de veiller attentivement au progrès de l'instruction et des travaux publics, sources principales du bonheur d'un pays. En conséquence, abstraction faite des revenus des douanes, du sel et du tabac de chaque vilayet, ainsi que de ceux des fondations pieuses (evkaff) dont la gestion relève des Conseils des communes, un dixième sera retenu sur le reliquat des dépenses affectées au service administratif du vilayet, dépenses fournies par les autres revenus généraux du même vilayet, et devra, à partir de l'année prochaine, être mis à la disposition du vilayet pour le service de l'instruction et des travaux publics. Il va sans dire que cette allocation spéciale sera élevée au fur et à mesure que les revenus de l'État auront augmenté.

« Un règlement complet concernant les vilayets, règlement basé sur l'expérience et les enquêtes faites sur les lieux, est à l'étude. Il recevra bientôt une application générale dans toutes les provinces de la Turquie d'Asie. De même, les attributions des gouverneurs généraux seront plus étendues et leurs fonctions garanties.

«Tels sont, monsieur l'ambassadeur, les points principaux des règlements spéciaux qui vont être mis en vigueur. En portant ce qui précède à votre connaissance, il m'est pénible d'avoir à constater ici que chaque fois que des crimes de droit commun, dont la perpétration est naturelle dans tous les pays du monde, viennent à se commettre dans les localités habitées aussi par des Arméniens, des esprits passionnés semblent s'ètre donné pour mission d'inventer des crimes imaginaires et de les ajouter à ceux-là, en les représentant comme réels aux yeux de l'Europe et des consuls résidant sur les lieux.

«En terminant, je crois devoir affirmer d'une manière catégorique et précise à Votre Excellence que le recensement officiel des populations arméniennes de Van, de Diarbékir, de Bitlis, d'Erzeroum et de Sivas a donné le résultat suivant : le chiffre de ces dernières s'élève à 17 0/0, celui des autres communautés non musulmanes à 4 0/0, et celui des habitants musulmans à 79 0/0 de la population.

« Je crois superflu enfin de déclarer que la Sublime Porte donnera avis aux puissances signataires du Traité de Berlin des mesures prises par elle pour l'introduction successive des réformes dans les provinces du Kurdistan et d'Anatolie habitées aussi par les Arméniens.

Veuillez agréer, etc.

Signé « ABEDDIN. »

:

III. AFFAIRE D'ALLEMAGNE EN TURQUIE

Ny a-t-il pas eu, en France et en Angleterre, un excès de chauvinisme à la nouvelle de l'arrivée en Turquie d'un certain nombre et à l'arrivée prochaine d'un plus grand nombre d'Allemands, à qui le sultan aurait décidé de confier la réorganisation de ses services administratifs, judiciaires, militaires et autres? Que ces Allemands réussissent à établir un peu d'ordre dans les finances turques, à tirer l'empire ottoman de l'état de banqueroute, à restaurer son crédit par la réorganisation du service de la dette publique, quel est le porteur de fonds turcs qui s'en plaindra? Que ces Allemands infligent le démenti le plus franc à ceux qui croient la Turquie irrémédiablement incorrigible, si ce démenti est fondé sur des faits et non sur des promesses, qui serait jaloux de ce succès, le seul auquel aspirent la France et l'Angleterre ? Comment n'applaudiraient-elles pas à ce résultat par le seul motif qu'il serait dû à d'autres ouvriers que les leurs? Accès de chauvinisme, loin de nous et à l'œuvre, MM. Wettenfeld et consorts! Faites le bonheur des créanciers du sultan, protégez la cause de l'humanité outragée dans toutes les provinces et dans toutes les administrations turques, mais abstenez-vous de tout ce qui est. d'ordre politique.

Mais est-ce bien dans ce but que le sultan vous a appelés avec votre suite de fonctionnaires et d'employés de toute catégorie? Lord Granville ne l'a cru qu'à moitié, quand le soir du 20 janvier, il a essayé de dire du haut de la tribune qu'en

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