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SITUATION ACTUELLE DE LA QUESTION

D'ORIENT

La politique en vacances nous offre un point favorable pour tracer le tableau de la situation actuelle de la question d'Orient; les doux mouvements que se donne la diplomatie sur les vagues du Bosphore font trop partie des agréments de sa villégiature à Thérapia et à Buyukdéré, et ne sont guère propres à déplacer notre point de mire.

La Commission européenne de Roumélie n'est pas en vacances; elle travaille, et en travaillant sur la matière qui lui est fournie avec toute la rapidité dont les bureaux de la S. Porte sont capables, elle jouit de vacances intermittentes, et elle aboutira à n'avoir rien fait quand les vacances auront cessé. Les provinces européennes dont le Traité de Berlin n'a pas autrement disposé, lui réclameront en vain les règlements organiques qui doivent faire leur sécurité et contribuer à leur prospérité. Ses travaux vont au pas de la S. Porte, et le grandvizir est dans son rôle, quand il répond mollement aux réclamations concernant les provinces d'Asie: « La Commission européenne travaille pour tout le monde; ses règlements une fois terminés seront immédiatement envoyés à Andrinople et à Kossova, à Konih, à Brousse et à Van. »

Mais tout fait croire que les vacances seront, cette année, moins longues que les autres; il conviendrait à la S. Porte qu'elles se prolongeassent jusqu'à la saison des pluies; de longues vacances chères au kief des Pachas font aujourd'hui · la seule partie positive de leur politique. Sur toute autre chose, ils disent non; mais ils le disent pour que le diplomate ennemi des complications puisse y sous entendre « oui », et afin que la saison des pluies survienne, empêchant la prise d'armes et les insurrections.

Erreur, hélas! grande erreur.

Le prince Nikita ne donnera pas le signal de la guerre; il a un brevet, l'art. 28 du Traité de Berlin; il a en outre un contrat, qui l'intéresse mais dont les signataires ont à opérer l'exécution. Ce brevet et ce contrat lui suffisent et le contentent, jusqu'à ce qu'il juge le moment venu de se procurer un brevet moins sujet à aléa.

Le roi Georges, pourquoi lèverait-il le bouclier? La fortune lui vient en dormant. Tandis qu'au prince Nicolas on n'offre qu'un simple échange, contrat contre brevet, le roi Georges, à la place de l'acompte dont M. Rhangabé a bien voulu se déclarer satisfait au Congrès, reçoit des mains des grandes puissances un envoi en possession d'une étendue de territoire presque égale à la moitié de son royaume. Le roi accepte ce cadeau royal; le refus de la Porte d'évacuer les lieux ne l'inquiète pas; il espère, au contraire, que cet acte négatif de la S. Porte amènera la réunion d'une nouvelle Conférence, et l' l'expérience lui a appris à compter sur la récompense que les aréopages octroient aux rois fainéants.

Le prince Milan n'est pas satisfait de ce qu'on lui a donné; mais ayant reçu ce qu'on lui a octroyé, il reste tranquille, plus heureux que son ami de Cettiniè, mais attendant comme lui une occasion de prendre ce que le Traité de Berlin lui a refusé.

Le prince Alexandre et le prince Aleko Vogoridi se tiennent tranquilles, l'un à Sofia, l'autre à Plovdiv, lisez Philippopoli ; ils se tiennent tranquilles, l'union de la Principauté et de la Roumélie orientale ne laissant qu'un seul tròne; en bons frères et voisins, ils gardent, l'un, la Bulgarie du Nord, et l'autre, la Bulgarie du Sud quoi de mieux?

Il n'y a qu'un mal, c'est qu'autour des princes tranquilles, calculateurs et patients spectateurs,se trouvent des populations, qui ne savent guère compter avec le patriotisme et le droit ; les habiletés diplomatiques leur échappent tout à fait ; autour de ces populations mauvaises calculatrices, se trouvent des provinces avides de secouer à leur tour le joug de l'arbitraire turc; autour et au milieu de ces provinces chrétiennes, les Albanais, les BachiBouzouks, des rédifs en congé ou en mission, des soudards de toute espèce et de toute origine; au-dessus de tout ce monde avide d'une occasion, des Pachas nés Grecs, impatients de châtier les Grecs ambitieux; au loin, bien loin, une Anatolie qui meurt de faim! plus loin encore, une insurrection couvant en Syrie et se signalant chaque matin par des placards où sont tracées méthodiquement les promesses du sultan avant la guerre, la conduite de la S. Porte après la guerre, et au-dessus de tout cela un sultan sans cœur avec un conseil insensible à tout reproche. Voilà la situation actuelle de la question

d'Orient.

A notre tableau, il manque certainement quelques couleurs

d'un ton sombre; ainsi, la misère et le brigandage n'y figurent pas omission pardonnable, tant c'est l'état normal. Par contre, il vient de s'y répandre un peu de ton clair, mais si peu que nous l'observons seulement pour en constater l'insuffisance. Midhat Pacha est rappelé de Damas : c'est quelque chose, mais ce n'est pas assez. Midhat a l'habitude de laisser derrière lui une traînée de boue; qu'on se rappelle le vilayet de Nich, et celui de Rustchuk! il n'y avait jamais fait tant de mal qu'à partir du jour où il n'y était plus. Qu'on se rappelle son passage à Bagdad et l'insurrection des Moutéfiks suivant de près son départ. Qu'on se rappelle sa chute du Vézirat, les promenades des softas en armes et les affiches incendiaires, qu'on se rappelle Midhat enfin, Midhat tel qu'il est, et qu'on cesse de croire l'ordre public assuré en Syrie par le fait que Midhat Pacha en est sorti! Smyrne, « la ville des Giaours, »> comme l'appellent les Turcs, va le recevoir comme Vali, c'est plus qu'il n'en faut pour jeter une nouvelle couche de noir sur notre tableau de la situation des choses en Turquie.

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Mieux encore que le chapitre précédent, et par des documents publics plus accessibles à la critique, l'histoire du protestantisme en Turquie (1) nous servira à retracer en quelques pages la succession des faits de propagande, de rivalités de sectes, de difficultés mulsumanes, de convoitises et d'appréhensions, ainsi qu'à mettre en évidence la confusion entre l'idée de religion et celle de nationalité aboutissant à un droit en opposition avec le droit.

A la date où commence ce récit, le protestantisme n'avait naturellement aucune existence dans l'empire ottoman; lors de la conquête, il ne s'était pu trouver en Palestine ni dans les autres provinces des protestants capables de recevoir soit. les bénéfices de l'Aman, soit la situation de rajahs; il ne s'était pas présenté, depuis lors, des colonies protestantes réclamant la protection du G. S. et demandant à être ses rayahs; les pèlerins, voyageurs ou commerçants, appartenant à ce culte, jouissaient des libertés que les Traités accordaient à tous les Zimmis; mais le protestantisme, comme tel, ne pouvait prétendre à la possession d'anciennes églises qu'il n'avait jamais possédées, ni à la construction de nouvelles, contrairement à la loi musulmane. Le besoin, d'ailleurs, ne s'en était pas fait sentir pour les rares voyageurs, qui trouvaient à leurs consulats tous les éléments que l'exercice de leur culte leur faisait désirer; parmi les indigènes, il n'y avait pas de protestants qui auraient pu demander les faveurs du sultan contre la rigueur de la loi musulmane.

La situation légale du protestantisme était donc bien inférieure à celle du catholicisme, quand, en 1837, la Société pour propager le christianisme parmi les Juifs tenta auprès de Lord Palmerston une démarche à l'effet d'obtenir de la S. Porte le droit de construire à Jérusalem une chapelle protestante et des logements convenables pour les missionnaires. Lord Ponsonby,

(1) SOURCES. Correspondence respecting the condition of Protestants in Turkey 1841-1851, - Correspondence relating to executions in Turkey for a postacy from Islamism (1844).

ambassadeur, n'ayant pu obtenir l'assentiment du gouvernement turc, Lord Palmerston conseilla aux pétitionnaires de s'adresser à Mehmet-Ali, alors maitre de la Syrie, et d'obtenir, par cette voie détournée, les facilités désirables, sans se heurter à la religion musulmane. Leur démarche eut plein succès à Alexandrie, pas assez cependant pour les dispenser d'une nouvelle démarche auprès de Lord Palmerston, en 1841. Dans l'intervalle, la Société n'avait pas perdu son temps ni ses efforts; empêchée par les lois musulmanes d'accomplir son projet, elle était parvenue à se faire reconnaître. par l'archevêque de Canterbury et d'obtenir, sous sa sanction, comme ministre officiant à Jérusalem, le révérend J. Nicolayson. En 1841 donc, au commencement de février, la Société pour propager le Christianisme parmi les Juifs revint à la charge auprès de Lord Palmerston, exprimant l'espoir que le sultan, rentré en possession de la Syrie et de la Palestine par le secours des puissances alliées, ne refuserait pas de donner son assentiment formel à la construction d'une chapelle protestante dans Jérusalem, et sa permission d'enregistrer au nom du révérend Nicolayson le terrain qu'il avait acheté.

Quelques jours après, Lord Palmerston transmit cette pétition à Lord Ponsonby, ambassadeur à Constantinople, lui laissant le soin de faire telles démarches qui lui paraîtraient les plus propres à obtenir un bon résultat dans cette matière, « à laquelle le gouvernement de Sa Majesté attache un profond intérêt, et dont il est extrêmement désireux de voir le succès. >>

Du 8 février au 15 juillet 1841, l'affaire dormait dans les cartons du foreign-office et dans ceux de l'ambassade de Constantinople. A cette dernière date, un envoyé extraordinaire du roi de Prusse, le chevalier Bunsen, vint l'en tirer, en offrant au gouvernement anglais «< une union intime des deux puissances, ayant un but tout pacifique, et un objet lié intimement aux intérêts les plus chers et les plus sacrés des deux nations et de l'humanité en entier. »

Ce serait exagéré de notre part que de faire de la note de M. le chevalier Bunsen à Lord Palmerston un extrait plus ample et propre à montrer le but plus qu'exagéré visé par la politique religieuse de la Prusse dans sa communauté d'efforts avec le gouvernement anglais. Il suffit bien assez que cette proposition rappelat la question à Lord Palmerston, qui, le 26 juillet 1841, porta la note de M. de Bunsen à la connais

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