LE COMMERCE EXTÉRIEUR DES ÉTATS-UNIS EN 1880 SOURCE. Reports from H M.'s secretaries of Embassy and Legation, part. III and IV (1880). Deux faits saillants ont signalé les relations commerciales de la grande république américaine avec l'ancien continent : d'une part, l'exportation sur la plus vaste échelle du blé, de la viande et d'autres denrées alimentaires; d'autre part, et dans un sens inverse, l'importation du fer et de l'acier, soit brut, soit. ouvré. Mais, à côté de ce double événement d'ordre économique, viennent se placer, comme autant de prémisses ou de corollaires, des faits moins retentissants peut-être, au point de vue des intérêts industriels ou mercantiles de la vieille Europe, mais, au fond, tout aussi importants, plus graves même, en ce sens qu'ils indiquent toute une révolution dans le travail national des Anglo-Américains, et qu'ils manifestent, presque à la façon d'un cartel en règle, leur ferme résolution de se passer du concours de nos arts, et de rendre, au contraire, tributaires de leurs produits les peuples qui les ont précédés dans la voie de la civilisation. Dans cette étude d'ensemble, nous ne pouvons présenter que les lignes principales du commerce général des États-Unis ; toutefois, si le sujet intéresse nos lecteurs, et nul autre ne mérite une plus sérieuse attention de la part de l'homme d'État, du publiciste, du financier, du manufacturier, de l'agriculteur, de l'armateur, nous nous réservons de traiter dans des articles distincts les questions spéciales qu'il nous est tout au plus loisible d'effleurer, pour aujourd'hui. D'ailleurs, nous ne parlerons pas en notre nom : nos renseignements seront puisés dans les deux derniers fascicules des Commercial Reports, et nous laisserons autant que possible la parole à l'auteur des rapports analysés, ou aux documents qu'il cite lui-même. Déjà, à la date du 9 février 1880, M. Drummond, consul anglais à Washington, écrivait à Sir E. Thornton: « Ce grand changement (dans les perspectives financières, commerciales et agricoles des États-Unis) s'est rapidement. accompli, et à aucune époque de l'histoire américaine, on ne vit pareille activité dans les échanges, favorisée par de magnifiques résultats en agriculture, et présentement elle est à son apogée. Des récoltes splendides ont naturellement secondé les progrès des manufactures... >> En différentes régions du pays, il était nécessaire de reconstruire ou de créer des lignes de chemins de fer, des ponts métalliques, et les émigrants, dans leur marche vers les États du Nord-Ouest, ne demandaient qu'à employer leurs bras. De là, un besoin urgent de fer et d'acier, et les hauts fourneaux de l'Union, ne pouvant répondre à toutes les commandes, nécessité d'installer des forges et des fonderies sur les divers points du territoire, et de mettre à contribution les produits anglais et même allemands. La valeur du fer en gueuses augmenta ainsi de plus de 100 pour cent. Les salaires élevèrent aussi leur niveau. L'industrie métallurgique, qui s'est d'abord propagée dans l'Ouest, tend actuellement à se naturaliser dans les Etats du Sud. Grâce aux récoltes des années 1878 et 1879, les États-Unis ont pu exporter, en 1878, environ 134,319,966 bushels (1) de blé ou autres céréales, et en 1879, près de 177,908,55 bushels. En 1879, la valeur des divers produits agricoles, y compris le coton, ce dernier en diminution de 196,814 balles sur l'année précédente, s'élevait au chiffre de 1,904,480,659 dollars. De nouveaux courants commerciaux se sont dessinés à l'intérieur même des États-Unis, par suite du développement des voies ferrées et de l'établissement d'industries manufacturières dans les États du Centre, de l'Ouest et du Nord-Ouest. Les villes de Saint-Louis, Louisville, Cincinnati, sont devenues des entrepôts d'une importance égale à ceux de Mobile, NewOrléans et Galveston, et surpassent ces villes en population. La valeur en or des importations, en 1879 (30 juin), était de 445,777,775 dollars, contre 437,051,532 dollars en 1878, soit une augmentation de 8,726,243 dollars. La valeur en or des exportations indigènes pour la mème année se chiffrait par 698,340,790 dollars, contre 680,709,168 dollars en 1878, soit une augmentation de 17,634,522 dollars. La valeur des exportations d'origine étrangère s'élevait à la somme de 12,098,651 dollars, contre 14,156,498 dollars en 1878, soit une diminution de 2,057,847 dollars. (1) Le bushel vant 36 litres 35 centilitres. Ainsi, la valeur totale des importations a été, dans cette période (30 juin 1878-30 juin 1879), de 445,777,775 dollars et celle des exportations de 710,439,441 dollars, soit une différence en faveur de ces dernières de 264,661,666 dollars; en 1878 (30 juin), les exportations marquaient sur les importations un excédent de 277,814,234 dollars. En 1879, également, les Etats-Unis avaient importé en numéraire la somme de 20,296,000 dollars et exporté en espèces la somme de 24,997,441 dollars, soit une différence de 4,701,441 dollars en faveur de l'exportation, qui diminue visiblement, de ce chef, depuis l'année 1876. A cette date, l'excédent des sorties était de 40,569,000 dollars. « A partir de 1873, remarque M. Drummond en citant un document américain, chaque année aboutit à un excédent des exportations sur les importations de l'exercice précédent : en 1874, 59,100,000 dollars; en 1875, 64,300,000 dollars; en 1876, 185,900,000 dollars; en 1877, 162,600,000 dollars; enfin en 1878, le maximum est atteint par une différence de 303,300,000 dollars. Pour les cinq années qui s'arrêtent à la fin de 1878, la balance en faveur des exportations se traduit par un total de 775,200,000 dollars. Dans la période des cinq années antérieures à la fin de 1873, les importations, au contraire, l'emportaient de 265,500,000 dollars sur les exportations. >> En 1879, « les importations de marchandises se sont accrues de 82,000 dollars, et de leur côté les exportations ont gagné 28,000,000 dollars. Le mouvement général du commerce extérieur (numéraire compris), a pour résultat un excédent des exportations sur les importations, de 184,000,000 dollars, tandis que la même différence pour l'année 1878 s'élève à 303,300,000 dollars. L'exportation du blé et autres céréales accusait sur l'année 1878 une augmentation, en valeur, de 28,577,687 dollars, soit 15,72 0/0. Mais, par contre, les exportations de coton brut ou manufacturé se traduisirent par une diminution, en valeur, de 18,311,944 dollars sur 1878, soit 9,56 0/0. Il est à remarquer que le prix des marchandises indigènes expédiées à l'étranger éprouva un affaissement notable en regard de ceux qui s'étaient maintenus en 1878. Autre fait à noter: c'est que les exportations de substances ou denrées alimentaires occupent, en tant que valeur, le premier rang parmi tous les produits des États-Unis. Depuis 1821, exception faite de la période de 1861-1865 (guerre de la sécession), c'était le coton brut qui avait prédominé dans les échanges internationaux de l'Union. Ces échanges, à l'exportation, tendent de plus en plus à s'accroître avec la France, du moins quant au blé; avec la Turquie, dans une large proportion; avec la Russie, l'Espagne, les îles Hawaï, le Pérou, l'Inde. A l'importation, le commerce extérieur des États-Unis dénote un accroissement marqué avec la Grande-Bretagne, Cuba, la France, le Japon, l'Italie, et une diminution avec le Brésil, les colonies espagnoles, le Vénézuéla, les Antilles anglaises. Le gouvernement fédéral paraît peu disposé à faire abandon du régime ultra-protectionniste pour entrer dans la voie du libre-échange. On lui propose tout au plus de substituer les droits spécifiques au droit ad valorem, et quelques mesures anodines qui changeraient peu la face des choses. Les nouveaux règlements du port de New-York sont tellement avantageux aux importateurs ou aux passagers, que ce port a prélevé comme taxes sur la navigation, en 1879, une somme de 171,857 dollars au lieu de 63,000 dollars en 1877. Les ports de Boston et de New-York occupent le premier rang au point de vue du mouvement commercial à l'importation; tous les autres ports de mer, Philadelphie et San-Francisco exceptés, sont en décroissance. Philadelphie donne un accroissement de 5,043,750 dollars et San-Francisco a obtenu une plus-value de 2,544,566 dollars. Baltimore, Charleston et Galveston, Boston, Philadelphie et Baltimore ont considérablement gagné, à l'exportation, en 1879, par rapport à 1878. Le tonnage, pour la grande navigation, a décru de 137,843 tonnes, mais le cabotage a augmenté de 101,000 tonnes. La pêche de la morue a diminué de 7,662 tonneaux. Les navires construits en 1879 jaugeaient en tout 193,000 tonnes, tandis que, dans l'année précédente, les chantiers maritimes avaient mis à flot l'équivalent de 235,500 tonnes. Les Américains, dit M. Drummond, s'étudient à s'ouvrir des débouchés sur les marchés extérieurs, comme aussi à s'assurer le monopole des transports maritimes avec les États de l'Amérique du Sud. Un constructeur de navires, de Chester, a tenté, sans y réussir, d'obtenir une subvention du Congrès pour créer une ligne de navigation au Brésil. D'autres propositions du même genre ont été présentées sous forme de bill; afin d'encourager et de protéger les entreprises des armateurs américains, que des privilèges de toute nature placeraient dans des conditions exceptionnelles vis-à-vis des marines étrangères. Les Américains du Nord ont créé, en attendant l'octroi des subsides officiels, une exposition permanente de leurs produits. au Brésil, qui leur accorde une admission libre de tous droits. Un représentant du Massachussets a déclaré la guerre aux filés venant d'outre-mer. Un questionnaire en 22 articles, adressé à tous les consuls américains, doit le renseigner, lui et ses collègues de la législature, sur tout ce qui se rattache à la fabrication, à l'exportation, aux prix, à la vente de cette classe de marchandises. Le Yankee va plus loin: il veut aller jusqu'en Perse et en Arabie, non pour obtenir droit de visite dans les harems, en supposant qu'il soit Mormon, mais en vue de placer des tissus de soie et de coton imitant ceux qui sortent des métiers rudimentaires des artisans arabes ou persans. Tout se réduit à une exacte contrefaçon, à l'exemple des fabricants anglais, des cotonnades et autres tissus en faveur auprès des Orientaux. Il s'agit surtout de bien figurer le drapeau persan et son lion, qui servent de passeport à ces marchandises, voyageant de Malte à Zanzibar et au Turkestan. Il est encore essentiel de ne pas se tromper sur les couleurs et les nuances. Qu'on ne l'oublie pas cette ambition commerciale trouve sa justification dans le génie aventureux aussi bien que dans le caractère résolu de la race anglo-saxonne. Si, d'une part, l'Américain met les territoires des vallées supérieures du Missouri et du Mississipi en communication rapide et sûre avec le golfe du Mexique, s'il trace des canaux nouveaux à l'embouchure du Mississipi et de la baie Chesapeake à la Delaware, s'il ouvre et exploite des mines de fer et établit des forges, s'il invente un métier à tisser d'un système tout nouveau, s'il applique le pétrole à la fabrication du fer et de l'acier, s'il étend la superficie de ses exploitations agricoles, s'il transforme ses vastes territoires, prairies ou forêts, en greniers d'abondance, c'est qu'il porte en lui une force vive, une activité exubérante, et qu'il prétend traiter, d'égal à égal, avec l'Europe. Dans les États du Sud, où le travail des nègres est en décroissance, les planteurs de race blanche, usant d'énergie, perfectionnent leurs instruments et leurs procédés de culture. |