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LE PORTEFEUILLE

DIPLOMATIQUE, CONSULAIRE ET FINANCIER

Paraissant chaque samedi.

SOMMAIRE:

Bulletin. Position actuelle de la question d'Orient (Suite).

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BULLETIN

Qu'est-ce au juste qu'une ambassade d'un État auprès d'un autre État? En commençant notre Bulletin par cette question, nous n'avons pas l'intention de puiser dans Wicquefort, Martens, Calvo et autres, des définitions savantes et des théories consacrées par la force autant que par l'usage. Notre tendance étant de vulgariser cette catégorie de connaissances, nous comparons un ambassadeur à un représentant de com

merce.

Chacun sait ce qu'est un représentant de commerce. X.... producteur, manufacturier, banquier ou commissionnaire, choisit Z... pour le représenter sur telle ou telle place. Z.... acceptant cette charge, assume la responsabilité des intérêts de X... sur cette place; aussitôt arrivé, il fait connaissance avec le ou les correspondants de son mandant, il leur présente sa lettre d'introduction, et aussitôt accueilli, il entre en fonction. Son mandat consiste à continuer les relations déjà établies sur cette place par son mandant, et à en créer de nouvelles, à contribuer au succès de sa maison et à lui éviter des opérations aventureuses, à observer les changements qui se produisent autour de lui, à tout rapporter fidèlement et à se conformer fidèlement aux instructions qui lui arrivent et complètent ou modifient son mandat général, soit temporairement, soit définitivement. Le même X... entretient autant de Z... qu'il a de places avec lesquelles il a des relations d'affaires, et plus il a de représentants aptes à parler en son nom auprès de la clientèle et à le renseigner sur celle-ci, plus il approche du succès de ses affaires, et plus il est certain de n'en pas faire qui soient véreuses.

Or un ambassadeur résident n'est pas autre chose, n'a pas d'autre mandat qu'un représentant de commerce, et un ambassadeur extraordinaire est à comparer, par les limites plus restreintes de ses fonctions, à un voyageur de commerce. Nous voulons espérer qu'aucun ambassadeur ne se sentira offensé de cette comparaison; elle est si exacte, si complète, que dans les cas où l'on aurait à constater une différence entre l'ambassadeur politique et le représentant commercial, constaterait en même temps que c'est le premier qui a altéré son rôle naturel et converti son mandat en sinécure.

PORTEFEUILLE, T. I.

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on

Poursuivant notre comparaison, nous trouverions étrange une loi interdisant à X... de déléguer ses représentants à toutes les places où il a des relations d'affaires, et plus étrange encore une coutume l'obligeant à les prendre sur leur mine ou leur nom, sans lui laisser la faculté de les choisir sur leur capacité et sur le degré de confiance qu'ils ont le don de lui inspirer.

Cette loi et cette coutume que chacun repousserait comme absurdes en matière d'intérêts commerciaux, ont cependant l'honneur de posséder des défenseurs dans le domaine des intérêts politiques. Ces défenseurs se sont révélés à la fois dans les deux États les plus civilisés de l'Europe, pendant le court espace qui nous sépare de notre dernier Bulletin, et la défaite qu'ils ont subie vient encore à l'appui de notre comparaison.

En France, il s'est rencontré un membre de la chambre des députés qui a déposé à la commission du budget un amendement tendant à la suppression de l'ambassade auprès du Pape; cet amendement s'appuie sur la considération suivante : une ambassade, qui pouvait avoir sa raison d'être tant que le Pape était souverain temporel, ne doit pas subsister auprès du Pape qui n'est plus que souverain spirituel.

La sous-commission chargée du budget des affaires étrangères a fait rapidement justice de cet amendement, au nom du Traité qui lie la France à ce souverain spirituel. Les ambassades qui ont précédé à Rome la formation de l'unité italienne n'avaient pas d'autre raison que les intérêts spirituels seuls représentés dans la Convention du 15 juillet 1801.

La France n'avait alors pas plus qu'elle n'a eu depuis 1830 une religion d'État; elle a maintenu son ambassadeur à Rome, parce qu'une ambassade n'est pas seulement la représentation des forces matérielles; la supprimer, ce serait rompre les relations, entrer en guerre contre les forces spirituelles.

C'est, on peut le dire, le but où tend l'auteur de l'amendement; la suppression de l'ambassade de France à Rome sera, d'après lui, la séparation de l'Église et de l'État, la suppression du budget des cultes. Cette thèse n'aboutira pas plus devant la chambre que devant la commission du budget. Elle a été excellemment réfutée par M. Gambetta en 1876. Le président actuel de la chambre, alors président de la commission du budget, déclarait à cette occasion que tout librepenseur qu'il est, il considérerait comme une détestable politique celle qui ne tiendrait pas un très grand compte, dans les

relations de la France avec l'extérieur, de la « clientèle catholique de la France dans le monde. » Qu'on nous permette de lui dire, sur la foi de nos observations personnelles, qu'en l'état actuel des questions religieuses dans différents États de l'Europe, il est d'un intérêt majeur pour la France de ne donner à personne l'occasion de renverser l'édifice du Concordat qui fait loi pour le Saint-Siège comme pour le peuple français sans distinction de culte un évènement de cette nature se produisant en France serait, à n'en pas douter, la consolidation de l'unité allemande. Faut-il un autre argument pour écarter de la République française le Kulturkampf inauguré en Prusse par le prince de Bismarck? D'ailleurs, le maintien de l'ambassade à Rome est une preuve du respect de la France pour le Traité qui la lie au Saint-Siège, et il force le Pape et ses conseillers à lui montrer le même respect et en toute circonstance.

En même temps que l'amendement signé par l'honorable M. Raspail succombait à la commission du budget sous le rapport rédigé par l'honorable M. Proust, il s'est manifesté en France comme en Angleterre une opposition qui tient du scandale à l'occasion de la nomination de M. Challemel-Lacour aux fonctions d'ambassadeur de la République près la Cour de Saint-James. Un plébéien, s'écriait-on, pour représenter la France dans l'aristocratie anglaise! Et appelant la calomnie au secours de cette indignation, on s'est apitoyé sur le sort de cet ambassadeur: quelle figure fera-t-il dans la société aristocratique de Londres?

Justice a été faite à Paris et surtout à Londres de ces critiques et de ces pitiés; M. Challemel- Lacour fera bonne figure, et, ce qui vaudra bien quelque chose, il fera les affaires de la France, sans parchemin ni particule.

Tout cela, nous le savons fort bien, c'est de l'opposition au ministère, ou à la République, mais ne représente pas une opinion précise sur la matière que cela concerne; cette opposition qui s'appelle en Angleterre obstructionism; c'est un bàton dans les roues de la machine parlementaire, ce n'est pas non plus une opinion que soutient la droite du sénat en s'élevant contre des négociations qui ne préjugent rien et dont la conclusion, quand elle aura lieu, relèvera encore de l'appréciation des deux chambres.

La conférence des ambassadeurs siège à Berlin, et tout porte à croire que l'entente s'établira sans longueurs ni perte

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