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III

ROME

B

IEN que la conception romaine des relations internationales.

fût quelque peu différente de celle des Grecs, Rome hérita

à beaucoup d'égards des idées et des principes dégagés par les civilisations précédentes. La conception romaine était plus primitive, plus simple, plus élémentaire. Et la raison de cette différence, c'est que Rome était entourée de voisins de beaucoup inférieurs par la civilisation et la culture, généralement hostiles et accoutumés à considérer les Romains uniquement comme des conquérants et des oppresseurs. Ce n'est pas pour rien que les Romains appelaient ces tribus et ces peuples « hostes. » En conséquence les relations de Rome avec le monde extérieur étaient la plupart du temps empreintes d'hostilité. La guerre était presque constante. Il manquait un élément très important pour le droit international l'égalité entre les États ou les gouvernements contractants. C'est pourquoi la plupart des alliances romaines furent conclues sur la base d'un Foedus inaequalis.

En outre, apparut une autre conséquence intéressante; les Romains essayèrent de justifier leurs actes constants d'agression en faisant la distinction entre les guerres justes et injustes. A une époque postérieure, au moyen âge, la distinction joua un rôle de la plus haute importance. Les guerres justes étaient celles commencées par Rome et poursuivies conformément à ses propres formules religieuses et à ses propres idées morales; il en résultait que les motifs d'une guerre pouvaient être jugés et critiqués, alors qu'auparavant ils étaient acceptés comme de simples faits.

Le système romain de principes internationaux sur lequel ces relations étaient basées était incorporé dans le célèbre Jus Fetiale interprété et appliqué par le collège des Fétiaux (Collegium Fetialum) Il existait des cérémonies minutieusement réglées pour la déclaration de guerre; cependant, à une époque postérieure, ces cérémonies tombèrent peu à peu en désuétude et disparurent. La guerre fut seulement l'«< ultima ratio, » le dernier moyen, employé seulement si tous les autres échouaient ou n'étaient pas praticables. En outre, il existait de nombreuses cérémonies lors de l'envoi en mis

sion des ambassadeurs. Le travail de l'envoyé à l'étranger, sa réception à Rome, ses droits et privilèges, le principe de l'exterritorialité, etc... tout était réglé par la loi Fetiale et sanctionné par des rites religieux. On attachait beaucoup d'attention aux termes employés pour conclure des traités avec les autres États ou les autres peuples. On devait user des formules sacramentelles spéciales, souvent très complexes et très embrouillées. A l'occasion Rome tirait parti de la complexité de son droit international: elle se procurait un avantage bien mesquin en invoquant une rupture supposée de formules pour se débarrasser d'un accord gênant. On considérait d'ailleurs comme tout à fait juste de se moquer des barbares de cette façon. Les romains croyaient fermement que les Dieux jouaient un rôle personnel dans la conduite des relations internationales et protégeaient Rome des barbares. La cérémonie la plus intéressante et la plus impressionnante était certainement celle de la réception des ambassadeurs étrangers, qui se faisait sur une plateforme, le « Greco-stasis, » construite spécialement dans ce but, où les envoyés étrangers devaient attendre l'arrivée du Sénat.

Beaucoup d'internationalistes du XIXe siècle croyaient que tout le système de droit international des romains était incorporé dans un système spécial, connu sous le nom de Jus Gentium. Mais les recherches historiques ont démontré que ce dernier n'était que le droit civil romain appliqué à des circonstances spéciales, concernant les étrangers et le monde extérieur à Rome. Au fur et à mesure de la croissance de Rome se développèrent les relations commerciales avec le dehors qui amènent à Rome une foule d'étrangers; ils venaient faire du commerce et se divertir en nombre toujours grossissant. Ainsi les Romains eurent à s'occuper d'un élément nombreux et hétérogène d'étrangers à qui ils s'efforcèrent d'appliquer leurs institutions de droit civil. Un fonctionnaire spécial fut créé, le Prætor peregrinus, pour administrer ce nouveau droit, ainsi nommé par opposition au Prætor urbanus qui administrait le droit civil au citoyen romain. Petit à petit, le Prætor peregrinus, rencontrant toutes sortes de difficultés dans des cas particuliers, commença à introduire des additions, de nouvelles interprétations, de nouvelles idées dans le droit civil romain; cela devint une espèce de jurisprudence comparée; suivit une adjonction graduelle d'idées philosophiques qui furent plus tard expliquées et interprétées par les professeurs de droit et les philosophes. Tel était par exemple l'école des stoïciens, qui donna naissance à la théorie du Jus naturæ, le droit de la raison, par lequel ils essayaient d'expliquer l'application du droit romain à des systèmes étrangers de droit.

Les principes fondamentaux sur lesquels le nouveau système était construit étaient les anciens principes du droit civil romain, mais les nouvelles influences et les changements apportés venaient

d'autres nations. C'est sous ces influences que le nouveau Jus Gentium se cristallisait et se développait. Pendant plusieurs siècles durant, le droit romain resta le squelette essentiel, la principale fondation sur laquelle et autour de laquelle les nouvelles institutions se formaient, et tout naturellement l'influence était réciproque.

La fameuse Pax Romana avec ses pouvoirs gigantesques de conquête intellectuelle fut la source d'influence la plus importante et la plus puissante dans ce domaine; les principes qui dominaient les rapports internationaux, les institutions de droit international, les idées sur les relations internationales, tout cela trouvait dans la Pax Romana son principal moyen d'expansion pour s'étendre sur l'ensemble du monde, tel qu'on le connaissait à cette époque. De plus, nous voyons dans ce système deux idées fondamentales qui dominent tout le reste. En premier lieu, l'idée de la sainteté des obligations internationales, impliquant que le contrat international liait le pouvoir de l'État de la même façon qu'un contrat privé conclu entre deux citoyens. En second lieu l'idée de la nécessité de l'existence des moyens de communication internationale, d'organes ou d'institutions spéciales chargés du soin des relations internationales. Le premier point implique la théorie du droit international, le second était la base de sa pratique.

A ce dernier point de vue, une œuvre considérable fut accomplie par les Romains, grâce à leur façon magistrale de traiter les questions juridiques et pratiques. Les immunités des ambassadeurs, par exemple, étaient mises en un clair système. Cicéron le définissait, avec son acuité coutumière, de la façon suivante : « L'immunité des ambassadeurs est protégée par les lois divines et humaines; leur personne est inviolable et sacrée non seulement entre alliés, mais aussi durant leur séjour au milieu des ennemis. » C'est là un tableau véritablement remarquable de ce qu'était l'institution à cette époque. Les Romains envoyaient leurs ambassadeurs, leurs nuntii, missi, legati à beaucoup de leurs voisins, soumis ou alliés, aux Francs, aux Gaulois, aux Burgondes, etc. Ces ambassadeurs portaient tout naturellement avec eux les idées romaines en matière des relations internationales et répandaient les influences intellectuelles de Rome en beaucoup de parties du monde. Les envoyés romains avaient rarement des instructions écrites: ces dernières leur étaient en général données oralement, mais leur nomination et leur départ pour les pays étrangers étaient toujours accompagnés par diverses cérémonies et sanctionnés par certaines formules religieuses. Leur immunité était assurée par un wergeld spécialement établi qui devait être payé en cas d'assassinat, de tort ou d'insulte. En outre, la nation barbare qui devait recevoir un ambassadeur romain était obligée de lui fournir le logement, de prendre soin

de ses vivres et de sa nourriture et de lui faire une réception solennelle à son arrivée. Réciproquement, Rome recevait les ambassadeurs d'autres nations avec des honneurs spéciaux; dans ce but, il existait à Rome un fonctionnaire spécial, le Magister officiorum, où maître des cérémonies qui avait à s'occuper des envoyés étrangers et à préparer la réception. Quelques-uns des peuples voisins, suivant cet exemple, établirent un office semblable pour la réception des ambassadeurs romains. Il y a une chose cependant que les Romains déclinèrent toujours de faire, c'est de permettre à leurs envoyés de se prosterner devant les potentats ou les rois barbares, comme c'était la coutume en beaucoup de pays. C'était peut-être le signe extérieur le plus remarquable du mépris de Rome pour les barbares, de sa supériorité éclatante sur ses voisins. Et pourtant, malgré cette supériorité du droit et de la culture, Rome subit distinctement l'influence de ces voisins, du fait de ses relations avec le monde extérieur. Le « Jus Gentium » romain s'imprégna ainsi d'importants éléments purement « humains » devint plus souple et acquit un champ d'action plus large que le rigide droit civil. Cela montre bien quel rôle important le droit et les institutions internationales peuvent jouer dans la vie de nations hautement civilisées. L'héritage laissé par Rome était naturellement d'une énorme valeur intellectuelle.

C

IV

LE MOYEN AGE

E fut dans une atmosphère toute imprégnée de culture romaine, mais avec un esprit pratique entièrement différent que les institutions du droit international se développèrent au moyen âge, de façon à former graduellement un nouveau système.

Les historiens divisent habituellement le moyen âge en deux périodes la première allant du ve au xe siècles, appelée quelquefois les « Ages sombres » (Dark ages) et la seconde allant du xie au xvie siècle.

Ce fut durant la première période que les nouveaux enseignements de l'Église catholique commencèrent à s'affirmer sous l'impulsion d'une puissante personnalité. Personne n'eut à cet égard une influence plus grande que le pape Grégoire VII, Hildebrand. Sa théorie, connue sous le nom de « Théorie des Deux Souverainetés >> comparait la vie humaine à l'existence physique du corps; de même que dans la vie humaine existaient deux éléments, l'âme et le corps, de même dans la vie d'un peuple il y avait l'élément spirituel qui devait être dirigé et dominé par l'Église, et les matières temporelles qui étaient du ressort de l'État. L'Église était personnifiée par le Pape, l'État par l'Empereur, deux autorités << parallèles » l'une à l'autre. Cette théorie est aussi appelée quelquefois la « théorie des deux glaives » chacun d'eux étant souverain dans son propre domaine.

Une telle égalité des deux pouvoirs ne pouvait d'ailleurs subsister longtemps. Il y avait dans la situation une tentation trop humaine pour chacun d'eux de prendre le dessus sur le voisin; un des deux devait fatalement devenir le pouvoir supérieur, l'autre devait succomber tôt ou tard.

C'était là un résultat naturel; après avoir établi leur influence parallèlement à celle de l'État, les chefs de l'Église aspiraient à exercer la suprématie sur l'État. La politique de l'Église, sous la conduite de personnalités marquantes, commença ainsi à s'affirmer.

La première conséquence fut la revendication par les Papes du droit de déposer les empereurs s'ils le jugeaient nécessaire pour l'intérêt de l'Église. Bientôt suivit une autre revendication, également importante, celle du droit de délier les sujets de leur serment d'allégeance à l'empereur au cas où ce dernier serait en opposition

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