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été reconnu en cette qualité par les autres États du monde. Il n'en est rien et cette opinion confond ce qui n'est qu'un indice ou qu'une preuve d'existence avec une condition de la vie elle-même; elle aboutit à soumettre les droits d'une nation au bon plaisir de ses voisins. Certes la reconnaissance a un effet relatif ou subjectif, parcequ'un État une fois reconnu demeure un État pour tous les États qui lui ont octroyé la reconnaissance et pour tous leurs sujets. C'est là une doctrine maintes fois affirmée dans la jurisprudence anglaise 1. Mais en refusant de reconnaître l'existence d'un État indépendant, on ne nuit pas à son existence; s'il existe de facto, on peut toujours refuser d'entretenir avec lui des relations diplomatiques ou commerciales, mais ce sera tout de même un État.

Wheaton exprime cette opinion lorsqu'il dit que la souveraineté d'un État commence à l'origine même de la société dont il est formé, ou quand il se sépare de la société dont il faisait précédemment partie 2. Mais ce n'est pas la doctrine de Calvo, ni celle d'Oppenheim. Calvo dit :

« Mais si l'État exerce la souveraineté intérieure à partir du moment de sa constitution, il n'en est pas de même à l'égard de sa souveraineté extérieure; celle-ci doit être sanctionnée par les autres États, et jusque-là l'État nouveau ne fait pas partie de la grande société légale des nations. Chaque État reste sans doute libre de reconnaître ou de ne pas reconnaître l'État nouveau qui vient à se former; mais il est, dans tous les cas, obligé de subir les conséquences de la détermination à laquelle il s'arrête 3. >>>

Oppenheim commence d'un ton assuré, mais ses conclusions sont plus douteuses. Voici en quels termes il s'exprime :

« Si l'on considère les faits actuels de la vie internationale, on verra que cette opinion n'est pas juste. Il est établi par la jurisprudence internationale que nul État nouveau ne peut demander sa reconnaissance aux autres États comme de droit, et qu'il n'est du devoir d'aucun autre État de lui accorder cette reconnaissance. Il est admis qu'un nouvel État, qui n'est pas encore reconnu, ne peut s'arroger les droits qu'un membre de la famille des nations peut maintenir contre les autres membres....

<< Nul doute que la condition d'État ne soit indépendante de la reconnaissance. La jurisprudence internationale ne dit pas qu'un État n'existe pas jusqu'à ce qu'il soit reconnu, mais il n'en fait aucun cas jusqu'à ce qu'il soit reconnu. C'est par la reconnaissance

1. Mighell versus Sultan of Johore, 1894, 1 Q. B. 449; the Tanara, 1919, P., p, 95. Aksionationoye (Company for mechanical woodworking A. M. Luther) versus Sagor James et Cie, 1921, 3Vc. B. 522; voir aussi The Annette, The Dora, 1919, P., p. 105.

2. Wheaton's international Law, par. 6, p. 32.

3. Calvo, Le droit international, liv. II, sect. LXXIX.

exclusivement qu'un État devient une personne internationale et l'objet du droit international 1. >>

En somme, on ne peut qu'approuver l'expression si juste qu'emploie Holtzendorff: « La reconnaissance d'un État nouvellement constitué ne lui est pas nécessaire pour son existence ou pour son avenir, mais bien pour régulariser sa participation dans la communauté des États 2. »

Pour en finir avec la question de la naissance d'un État, il suffit d'ajouter qu'on ne doit pas confondre la reconnaissance d'un État nouveau et la reconnaissance d'un nouveau gouvernement que chaque pays a le droit de se donner.

Mais comme dit Béranger : « Ce n'est pas tout de naître ». Une fois qu'il est né, l'État commence à vivre et c'est de son droit à la vie, avec toutes ses ramifications et toutes ses dépendances que nous nous occuperons maintenant.

Si l'on compare le droit de vivre au tronc d'un arbre, on peut dire en effet qu'il donne naissance à toute une ramification de droits subordonnés; la première branche dans cette ramification sera le droit de souveraineté. Chaque État, par définition même, possède un territoire et des citoyens; sur ce territoire et sur ces citoyens, l'État est souverain, et les citoyens sont ses sujets.

De la souveraineté de l'État sur son territoire, il n'y a pas grand'chose à dire. L'expression de territoire comprend évidemment les lacs qui se trouvent dans les limites du pays. L'État exerce aussi sa juridiction sur les eaux fluviales: mais ici, on doit tenir compte des droits que peuvent posséder d'autres États qui se trouvent en amont et en aval du fleuve.

Les États maritimes exercent également leur souveraineté sur les enclaves de la mer, comme sont par exemple les rades de Rio de Janeiro ou de Sydney, sur les baies et les golfes, s'ils ne sont pas d'une trop grande largeur, et sur la mer littorale au moins jusqu'à une certaine distance des côtes; toutefois, on doit respecter les droits de navigation et de pêche appartenant aux citoyens d'autres États.

Il est inutile d'insister plus longuement sur ce point: par contre, en ce qui concerne la zone aérienne, il est nécessaire de donner quelques précisions.

Au commencement de la navigation aérienne, certains auteurs se sont égarés en faisant une fausse application d'un principe séduisant : ils ont dit : « l'air est libre, » et ils ont déduit de cette proposition assez simple le droit pour chaque aviateur de conduire

1. L. Oppenheim, International Law, 2nd. ed., London, 1912. 2. Holtzendorff, Das europaische Volkerrecht, sect. XVIII.

3. Voir au contraire les conclusions très prudentes de l'International Law association, dans ses Conférences, Paris, 1912, Madrid, 1913.

son avion partout où il le trouverait bon. Mais il faut distinguer entre l'air, l'élément composé des gaz oxygène, nitrogène, etc., et l'espace aérien, « the air-space » comme on dit en anglais, qui se trouve au-dessus du territoire de chaque État. Si un État n'avait pas le droit de souveraineté sur cet espace, s'il restait libre aux incursions d'étrangers, peut-être mus par des intentions hostiles, sa sécurité se trouverait gravement menacée. Ses forts, ses garnisons, ses dépôts seraient exposés à un espionnage continuel; en outre, même en temps de paix on pourrait, par dessein ou par maladresse, lancer d'un avion des choses nuisibles, dangereuses pour la santé publique, ou susceptibles de provoquer des épizooties, ou des maladies sur les végétaux. On pourrait, de cette façon, éviter le paiement des droits de douane; de plus, des collisions nombreuses entre avions seraient à craindre, qui non seulement entraîneraient la mort des aviateurs, mais causeraient des dommages aux personnes et aux biens des habitants de l'État survolé.

L'État exerce sa souveraineté sur toutes les personnes qui se trouvent sur son territoire. Ces personnes sont d'une part ses sujets, qui sont nés tels ou qui le sont devenus par naturalisation, et d'autre part des étrangers qu'on peut diviser en deux classes: ceux qui ont leur demeure ordinaire (commorantes) sur le territoire national et ceux qui s'y trouvent pour un court séjour (passagers). Ces étrangers (subditi temporanei) doivent se soumettre à ses lois et peuvent les invoquer pour leur sécurité personnelle et celle de leurs biens.

Sur ses sujets nés et, sauf quelques légères modifications, sur ses naturalisés, l'État étend sa protection et aussi son imperium quand ils se trouvent en pays étranger. Il peut leur ordonner de revenir afin de remplir des devoirs militaires ou civils, les subordonner à ses lois relatives au statut de la famille et aux successions, soumettre leurs biens aux impôts; etc. En revanche, l'État reconnaît que les étrangers qui sont sur son territoire sont subordonnés aux lois de leur propre patrie en tant que ces lois ne sont pas en conflit avec les siennes, que leur propre patrie a le droit de les protéger, de demander qu'ils soient traités avec justice et qu'ils jouissent de la protection des lois du pays.

Enfin il y a des choses qui prolongent la souveraineté d'un État hors de son territoire : ce sont les vaisseaux qui portent son pavillon. Mais c'est là une question très spéciale du droit international qui ne saurait faire l'objet d'un examen détaillé dans cette étude.

II

A

VANT d'entamer la discussion sur les droits fondamentaux des États autres que le droit de souveraineté, il convient de faire une observation d'une importance générale. Elle vise une précaution que doit prendre toute personne qui prétend traiter du droit international.

Il ne faut pas confondre ce qui est du droit positif, de la jurisprudence assurée, avec les principes qui devraient en faire partie. Certes, on doit insister sur ces derniers, car c'est en y insistant qu'on réalise des progrès, mais il ne faut pas perdre de vue l'importance de la distinction entre ce qui existe et ce qui doit devenir de jure. Grotius, par exemple, donne de l'État la définition suivante, définition qui a été intentionnellement omise au chapitre précédent : « cœtus perfectus liberorum hominum, juris fruendi et communis utilitatis causa sociatus1. >>

C'est là une définition fort attrayante, mais par trop idéaliste. De combien d'États au temps de Grotius pouvait-on dire sans qualification qu'ils étaient composés d'hommes libres ? Même à l'heure qu'il est, l'esclavage subsiste dans certains États. Il n'y a pas si longtemps que dans une moitié des États-Unis se trouvaient encore des esclaves.

Lorsque s'est réunie à la Haye la commission chargée de rédiger le projet de la Cour permanente internationale, la distinction entre ce qui est de droit assuré et ce que l'on souhaite ériger en règle de droit s'est imposée forcément à la commission, à propos de la compétence de la Cour. Comme résultat l'article suivant fut rédigé (art. 38).

« La Cour applique :

«1. Les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les États en litige: « 2. La coutume internationale comme preuve d'une pratique générale acceptée comme étant le droit;

3. Les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées :

1. De Jure Belli et Pacis, liv. I, chap. 1, s. 14.

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« 4. Sous réserve de la disposition de l'article 59, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit. »

A ces propositions, l'assemblée de la Société des Nations a ajouté ce paragraphe :

« La présente disposition ne porte pas atteinte à la faculté pour la Cour, si les parties sont d'accord, de statuer ex æquo et bono. » Comme on voit, c'est seulement par convention et non pas en vertu du droit commun qu'on applique ce dernier principe.

Nous avons comparé plus haut le droit de vivre au tronc d'un arbre la seconde branche qui part de ce tronc, c'est le droit d'indépendance: Ce droit a du reste des limites; on ne doit jamais oublier cette maxime: sic utere tuo ut alienum non laedas; on peut se servir de son droit jusqu'aux bornes du droit d'autrui, mais pas au delà.

Évidemment à première vue, il peut sembler difficile que le droit d'indépendance puisse comporter des limites, mais c'est là une impression erronée, ainsi qu'il sera démontré plus loin. Du droit d'indépendance d'un État relève le droit de faire ou de changer sa constitution, d'établir ou de renverser une royauté ou une république, de se donner un roi, un président, un directeur ou une assemblée souveraine; de faire ses lois, d'établir ses tribunaux, son pouvoir exécutif, son armée, sa flotte, sa police, de régler son commerce, et ainsi de suite.

D'une façon générale, les autres États n'ont pas à se mêler de ce que fait leur voisin et ils n'ont pas le droit de s'y opposer. Mais si c'est là le principe, il ne va pas sans exceptions: il peut se faire en effet que ce qui se passe à l'intérieur d'un État soit susceptible de nuire aux autres États.

Cela se produira en premier lieu si un changement de constitution donne lieu à une guerre civile ou à des émeutes fréquentes et violentes dont les habitants du pays voisin ont à souffrir à raison de l'incursion de bandes armées qui prennent le territoire étranger comme point de départ pour une attaque ou qui y cherchent un asile dans leur fuite. Si, par suite du défaut de police, les voleurs et les assassins dépassent la frontière et s'attaquent à des citoyens paisibles, le droit d'indépendance se heurtera contre un autre droit que possède le pays voisin, celui de se protéger. On sait que ce sont des événements de cette nature qui ont lassé la patience des ÉtatsUnis vis-à-vis du Mexique et qui ont failli provoquer une guerre entre les deux nations. En outre si les soulèvements ont lieu dans un État maritime, il pourra se produire des déprédations de corsaires au grand dommage du commerce international; c'est ce qui est arrivé par exemple au Vénézuela en l'année 1885; et des poursuites furent même intentées contre des Anglais qui avaient enfreint le

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