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Et fe vanta de fon ouvrage.
Les Mufes eurent du dépit;
Elles formèrent votre esprit,
Et s'en vantèrent davantage.
Vous êtes depuis ce beau jour,
Pour le refte de votre vie
Le fujet de la jaloufie

Et des Mufes et de l'Amour.
Comment terminer cette affaire ?
Qui vous voit croit que les appas,
Sans efprit, fuffiraient pour plaire:
Qui vous entend ne pense pas
Que la beauté foit néceffaire.

J'avais bien raifon, Madame, de dire que Berlin eft devenu Athènes : votre Alteffe royale contribue bien à la métamorphofe. C'est le temps des jours glorieux et des beaux jours. C'eft grand dommage que je n'aye pas à mon fervice ces trois cents mille hommes que je voulais pour vous enlever; mais j'aurai plus de trois cents mille rivaux fi je montre votre lettre. N'ayant donc point de troupes pour devenir votre fultan, je crois que je n'ai d'autre parti à prendre que de venir être votre esclave: ce fera la feconde place du monde.

Je me flatte que fa Majefté la reine-mère ne s'offenfera pas de ma déclaration; elle y entre pour beaucoup je voudrais vivre à fes pieds. comme aux vôtres. J'avoue que je fuis trop amoureux de la vertu, du véritable efprit, des beaux: arts, de tout ce qui règne à votre cour, pour ne lui pas confacrer le refte de ma vie. Le roi fait à quel point j'ai toujours défiré de finir ma vie

auprès de lui. Je lutte actuellement contre, na destinée pour venir enfin être toujours le témoin de ce que j'admire de trop loin.

Croyez-moi, Madame, on ne trompe point les princeffes qu'on veut enlever; mon unique objet eft très-fincèrement d'être votre courtisan.

LETTRE LXXX.

A M. LE MARQUIS D'ARGENSON.
A Cirey, ce 15 avril 1744.

ANITAS vanitatum, et metaphyfica vanitas. C'eft ce que j'ai toujours penfé, Monfieur; et toute métaphyfique reffemble affez à la coxigrue de Rabelais, bombinant dans le vide. Je n'ai parlé de ces fublimes billevefées que pour faire favoir les opinions de Newton; et il me paraît qu'on peut tirer quelque fruit de ce petit paffage :

Que favait donc fur l'ame et fur les idées celui qui avait foumis l'infini au calcul, et qui avait découvert la nature de la lumière et la gravitation? Il favait douter.

Phyfiquement parlant, Monfieur, je vous fuis bien obligé de vos bontés, et fur-tout de celle que vous avez de vouloir bien réparer, par mon petit contrat, avec un prince et avec un faint, les pertes que j'ai faites avec tant de profanes. J'ai l'honneur de courir ma cinquantième année. Etes-vous dans la cinquantième ?

J'y fuis, et je n'en vaux pas mieux;
C'eft un affez f.... quantième,
Tâchez un jour d'en compter deux

En vous remerciant mille fois, Monfieur, et en vous demandant le fecret. J'ai donné à Doyen le féal, argent comptant, et billets qui valent argent comptant; mais on paye le plus tard qu'on peut; et un feffe-matthieu de fermier de M. le duc de Richelieu, nommé Duclos, qui devait felon toutes les lois divines et humaines me compter quatre mille livres le lendemain de Pâques, recule tant qu'il peut, tout contraignable qu'il eft. Voulez-vous permettre que ce Doyen faffe toujours mon contrat à bon compte? Sinon il n'y a qu'à le réduire à ce que Doyen a dans fes mains. Je mangerai le refte à mon retour trèsvolontiers faites comme il vous plaira avec votre vieux ferviteur.

Je m'occupe à préfent à faire un divertiffement pour un dauphin et une dauphine que je ne divertirai point. Mais je veux faire quelque shofe de joli, de gai, de tendre, de digne du duc de Richelieu, l'ordonnateur de la fête.

Cirey eft charmant, c'est un bijou: venez-y, Monfieur, tâchez d'avoir affaire à Joinville. Madame du Châtelet vous aime de tout fon cœur, vous défire autant que moi, et vous recevra comme elle recevrait Volf et Leibnitz. Vous valez mieux que tous ces gens-là. Portezvous bien. Permettez que je préfente mes refpects à M. l'avocat du roi très-chrétien. Je vous aime et vous refpecte de tout mon cœur.

Votre ancien et le plus ancien ferviteur, etc.

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LETTRE LXXXI.

AM. LE PRESIDENT HENAULT.

A Cirey, premier feptembre 1744.

Déeffe de la fanté,

Fille de la fobriété

Et mère des plaifirs du fage,
Qui fur le matin de notre âge
Fais briller ta vive clarté,
Et répands la férénité

Sur le foir d'un jour plein d'orage:
O Déeffe, exauce mes vœux!
Que ton étoile favorable

Conduife ce mortel aimable:

Il eft fi digne d'être heureux!
Sur Hénault tous les autres dieux
Verfent la fource inépuisable

De leurs dons les plus précieux.
Toi qui feule tiendrais lieu d'eux,
Serais-tu feule inexorable?
Ramène à fes amis charmans,
Ramène à fes belles demeures
Ce bel efprit de tous les temps:
Cet homme de toutes les heures.
Orne pour lui, pour lui fufpends
La courfe rapide du temps.
Il en fait un fi bel ufage!
Les devoirs et les agrémens
En font chez lui l'heureux partage

Les femmes l'ont pris fort fouvent
Pour un ignorant agréable,

Les gens en us pour un favant,
Et le dieu joufflu de la table
Pour un conñaiffeur très-gourmand.
Qu'il vive autant que fon ouvrage,
Qu'il vive autant que tous les rois
Dont il nous décrit les exploits,
Et la faibleffe et le courage,
Les mœurs, les paffions, les lois,
Sans erreur et fans verbiage.
Qu'un bon eftomac foit le prix
De fon cœur, de fon caractère,
De fes chanfons, de fes écrits.
Il a tout, il a l'art de plaire,
L'art de nous donner du plaifir,
L'art fi peu connu de jouir;
Mais il n'a rien, s'il ne digère.

Grand Dieu! je ne m'étonne pas
Qu'un ennuyeux, un Desfontaine
Entouré dans fon galetas

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De fes livres rongés des rats,
Nous endormant, dorme fans peine,
Et que le bouc foit gros et gras.

Jamais Eglé, jamais Silvie,

Jamais Life à fouper ne prie

Un pédant à citations.

Sans goût, fans grâce, et fans génie,

Sa perfonne en tous lieux honnie.

Eft réduite à fes noirs gitons.

Hélas! les indigeftions

Sont pour la bonne compagnie.

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