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Mais d'où vient que j'écris de ces vilenies-là? c'est que je deviens groffier, mon cher ami, puis que vous m'abandonnez. Savez-vous bien qu'il y a plus de trois mois que je n'ai mis deux rimes l'une auprès de l'autre. J'avais compté que Linant foufflerait un peu mon feu poëtique qui s'éteint; mais le pauvre homme paffe fa vie à dormir, et qui pis eft, non fomniat in Parnaffo. Il ne cultive en lui d'autre talent que celui de la pareffe. Son corps et fon ame facrifient à l'indolence; c'eft-là fa vocation. Je ne compte plus fur des tragédies de fa façon; je ne lui demande à préfent que de favoir au moins un peu de latin. Hélas! à propos de la tragédie, je ne fais quel infame a fait imprimer ma pièce de la Mort de Céfar. Il eft dur de voir ainfi mutiler fes enfans; cela crie vengeance. L'éditeur a plus maffacré Céfar que Brutus et. Caffius n'ont jamais fait. Cependant ne doutez pas que le public malin ne me juge fur cette édition, et que les gens de lettres, grands calomniateurs de leur métier, ne difent que c'eft moi qui ai fait clandeftinement imprimer la pièce.

Le pays de la littérature me paraît actuelle. ment inondé de brochures; nous fommes dans l'automne du bon goût, et au temps de la chute des feuilles. Le Pour et contre (1) eft plus infipide que jamais, et les obfervations de l'abbé Desfontaines font des outrages qu'il fait régulièrement une fois par femaine à la raifon, à l'équité, à l'érudition et au goût. Il eft difficile de prendre un ton plus fuffifant, et d'entendre plus mal ce qu'il loue et ce qu'il condamne. Ce pauvre homme, qui veut fe donner pour entendre l'anglais, donne

(1) Journal de l'abbé Prévost.

T. 17. Lettres en vers, &c.

G

l'extrait d'un livre anglais fait en faveur de la religion, comme d'un livre d'athéifme. Il n'y a pas une de fes feuilles qui ne fourmille de fautes. Je me repens bien de l'avoir tiré de bicêtre, et de lui avoir fanvé la grève. Il vaut mieux après tout brûler un prêtre que d'ennuyer le public. Oportet aliquem mori pro populo Si je l'avais Jaiflé cuite, j'aurais épargné au public bien des fottifes.

J'attends depuis près d'un mois le quatrième livre de l'Enéide en vers français, de la façon de notre ami Formont ; on l'a mis dans un ballot de porcelaines que nous efpérons recevoir inceffam. ment. Son épitre far la décadence du goût me donne grande opinion de fa traduction. Je ne fais l'abbé du Rénel a fini celle qu'il a entreprife de 'Effai de Pope fur l'homme. Ce font des épîtres morales en vers, qui font la paraphrafe de mes petites remarques fur les Penfées de Pafcal. Il prouve en beaux vers que la nature de l'homme z toujours été et toujours de être ce qu'elle eft. Je fuls bien étonné qu'un prêtre normand ofe traduire de ces vérités.

J'ai lu les Fêtes indiennes et très-indiennes ; les Adieux de Mars tout propres à être reliés avec la Didon; à être loués par le mercure galant et par l'abbé Desfontaines, et à faire bailler les honnêtes gene. J'ai voulu lire Vert-vert, poëme digne d'un élève du père du Cerceau, et je n'ai pu en venir à bout. Heureufement je n'ai point reçu Abenfaïd.

Je me confole avec le Siècle de Louis XIV de toutes les fottifes du fiècle préfent. J'attends quel que chofe de vous comme un baume fur toutes ees bleffures. Je me flatte que vous avez reçu ma

lettre où je vous parlais de vos petits Daphnis et Chloé.

Adieu, mon très-cher ami.

Emilie me fait décacheter ma lettre pour vous dire qu'elle voudrait bien que Cirey fût auprès de Rouen. Mais comment oferais-je vous parler de la fublime et délicate Emilie, après la lettre groffière que je vous ai écrite? Son nom épure tout cela. Vous croyez bien qu'elle n'a point la cette Lettre.

LETTRE XXXVIIL

M. THIRIOT.

A Cirey, le 13 octobre 1735.

Vous êtes de ceux dont parle madame Desho

Hères,

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Gens dont le cœur d'exprime avec esprit.

Votre lettre. mon tendre ami,
Porte ce double caractère,
Auffi ce n'eft point à demí
Que votre miffive a fu plaire
A la nymphe fage et légère,
Dont le bon goût s'eft affermi
Si loin des routes du vulgaire.
Elle fait penfer et fentir,
Et philofopher et jouir;

Ce que peu de gens favent faire.
Ah! je vous verrai accourir
A fon aimable fanctuaire,
La voir, l'admirer, la chéri.

Vous m'avouriez que fa lumière
Sait éclairer fans éblouir;
Oui, vous vous laifferiez ravir
Par cette ame fi fingulière,
Qui fans effort fait réunir
Les arts, la raison, le plaifir,
Les travaux et le doux loifir,
Tout le Parnaffe et tout Cythère..
Je vous connais, et de ce pas
Vous franchiriez votre hémisphère,
Pour voir, pour aimer tant d'appas.
Mais je fais qu'on ne quitte pas
Pollion de la Poplinière.

Du moins fi vous ne pouvez venir, écrivez donc bien fouvent, et n'allez pas imaginer qu'il faille attendre ma réponse pour me récrire. Vous êtes à la fource de tout ce qu'on peut mander; et moi, quand je vous aurai dit que je fuis heureux loin du monde, occupé fans tumulte, philofophe pour moi tout feul, tendre pour vous et pour une ou deux perfonnes, j'aurai tout dit. C'eft à vous à m'inonder de nouvelles; vos lettres feront pour moi hiftoria noftri temporis.

Je fuis bien aife d'avoir deviné que la mufique de Rameau ne pouvait jamais tomber. L'abbé Desfontaines en a fait une critique qui ne peut être que d'un ignorant qui manque d'un fens, comme de bon fens. S'il n'a pas d'oreille, du moins devrait-il fe taire fur les chofes qui ne font pas de fa compétence. Il parle de mufique comme de poéfie.

Si je croyais qu'on pût repréfenter le Samfon,

je le travaillerais encore; mais il faut s'attendre que le poëme fera auffi extraordinaire dans fon genre que la mufique de notre ami l'eft dans le fien.

En attendant, je vous dirai un petit mot de la tragédie de Jules -Céfar. Demoulin doit vous envoyer la dernière fcène. Vous jugerez par-là combien le refte de l'ouvrage eft différent de l'imprimé. Je crois qu'il eft néceffaire de faire une édition correcte de l'ouvrage. Voici quel eft mon projet :

Faites faire cette édition; que le libraire donne un peu d'argent et quelques livres à votre choix ; l'argent fera pour vous, et les livres pour moi. Seulement je voudrais que le pauvre abbé de la Mare pût avoir de cette affaire une légère gratification que vous réglerez. Il est dans un trifte état. Je l'aide autant que je peux; mais je ne fuis pas en état de faire beaucoup.

Mille tendres complimens à l'imagination forte et naïve de notre petit Bernard: il y a mille ans que je ne lui ai écrit, Mais favez-vous bien que je n'ai pas de temps, et que je fuis auffi occupé qu'heureux?

Vive memor noftri.

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