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LETTRE CLXIII.

A MAD·A ME

LA MARQUISE DE FLORIAN,

Nièce de l'auteur.

A Ferney, 8 avril 1769.

Voici le temps où les Picards vont jouir d'une

douce tranquillité dans leurs terres. Je fouhaite un bon voyage à la dame et au feigneur d'Hornoy, beaucoup de fanté, de plaifirs et de comédies.

Vous favez que celle de l'élection du vicaire de Saint-Pierre eft prefque finie à Rome. Mais ce que vous ne favez pas, c'est que j'ai prefque autant de part que le Saint-Efprit à l'élection de Stopani (1). Le colonel du régiment des DeuxPonts et madame fa femme avaient abfolument voulu me voit. Madame Cramer les amena chez moi, il y a environ deux mois; elle força les barrières de ma folitude. Après dîner, pour nous amufer, nous jouâmes le pape aux trois dés; je tirai pour Stopani, et j'eus rafle.

Comme je jouais avec des hérétiques, il était bien jufte que je gagnaffe.

Quand, d'un faint zèle poffédés,
On nous vit jouer aux trois dés,
De Simon le bel héritage,

On rafla pour Cavalchini,

(1) Ce fut Ganganelli qui fut élu, et perfonne n'y fongeait.

Pour Corfini, pour Négroni :
Stopani m'échut en partage,
Et mon dé fe trouva béni.
Stopani du monde eft le maître,
Mais il n'en jouira pas long-temps;
Il a foixante et quatorze ans ;
C'eft mourir pape et non pas l'être.
J'aime les clefs du paradis;

Mais c'est peu de chofe à notre âge.
Un vieux pape eft à mon avis
Fort au-deffous d'un jeune page.

Dans la vieilleffe on tolère la vie, et dans la jeuneffe on en abufe. Ainfi tout eft vanité, à commencer par le pape, et à finir par moi.

J'ai eu douze accès de fièvre, je n'ai vu de médecin qu'une feule fois; j'ai envoyé chercher le faint viatique, et je fuis guéri. Je fais des papes et des miracles.

J'enverrai à Hornoy tout ce qui pourra amufer mes chers Picards. Madame Denis doit avoir recommandé une petite affaire à M. d'Hornoy que j'embraffe tendrement ainfi que fon oncle le turc.

LETTRE CLXIV.

A M. DE RUHLIERES.

26 avril 1769.

Je vous remercie, Monfieur, du plus grand

plaifir que j'aie eu depuis long-temps. J'aime les beaux vers à la folie: ceux que vous avez eu la bonté de m'envoyer font tels que ceux que l'on

fefait il y a cent ans, lorfque les Boileau, les Molière, les la Fontaine étaient au monde. J'ai ofé, dans ma dernière maladie, écrire une lettre à Nicolas Defpréaux; vous avez bien mieux fait, vous écrivez comme lui.

Le jeune bachelier qui répond à tout venant fur leffence de DIEU; les prêtres irlandais qui viennent vivre à Paris d'argumens et de meffes; le plus grand des torts eft d'avoir trop raison; la juftice qui fe cache dans le ciel tandis que la vérité s'enfonce dans fon puits, etc. etc. font des traits qui auraient embelli les meilleures épîtres de Nicolas.

Le portrait du fieur Daube (1) eft parfait. Vous demandez à votre lecteur :

S'il connaît par hafard le contradicteur Daube,
Qui daubait autrefois, et qu'aujourd'hui l'on daube:
Et que l'on daubera tant que vos vers heureux
Sans contradiction plairont à nos neveux.

Oui vraiment, je l'ai fort connu, et reconnu fous votre pinceau de Téniers.

Si vous vouliez, Monfieur, vous donner la peine, à vos heures de loifir, de relimer quelques endroits de ce très-joli difcours en vers, ce ferait un des chefs-d'œuvre de notre langue.

(1) Ancien intendant de SoTons, grand contradicteur. Voyez l'article Difpute, Dictionnaire philofophique.

LETTRE CLXV.

A M. DE MOULTOU, à Genèvei

Le 22 juillet 1769.

Mon cher philofophe, notre zurichois (1)

ira loin. Il marché à pas de géant dans la carrière de la raison et de la vertu. Il a mangé hardiment du fruit de l'arbre de la fcience, dont les fots no veulent pas qu'on fe nourriffe, et il n'en mourra pas. Un temps viendra où sa brochure fera le catéchifme des honnêtes gens. On dira à tout théologien:

Théologal infupportable,

Quels dogmes nous annonces-tu?

Moins de dogme et plus de vertu,
Voilà le culte véritable.

Je vous embraffe toujours en Zaleucus, en Confucius, en Platon, en Marc-Aurèle, et non en Augustin, en Jérôme, en Athanafe.

(1) M. de Meifter, auteur du livre intitulé, Devoci aine des principes religieux.

LETTE CLXVI.

A MADAME

LA DUCHESSE DE CHOISEUL.

A Ferney, 18 feptembre 1769.

MADAME,

Vous n'êtes plus madame Gargantua, et je ne

m'appelle plus Guillemet; je n'ai reçu votre joli etvrai foulier qu'après avoir pris la liberté de vous envoyer ma foie, j'ignore fi vous avez daigné agréer ce ridicule hommage, mais je fais bien que mes jours ne feront pas filés d'or et de foie, fi vous perfiftez à foupçonner que des chofes que j'abhorre foient de moi. Vous avez entendu quelquefois parler des tracafferies de cour, des petites calomnies qu'on y débite, des beaux tours qu'on y joue; foyez bien sûre que la république des lettres eft précisément dans ce goût. Arlequin difait: tutto l'mondo e fatto com' la noftra famiglia, et Arlequin avait raifon. Je ne vous fatiguerai pas des noirceurs qu'on m'a faites; mais fouvenezvous de cet écrit dans lequel on infulta, l'année paffée, le préfident Hénault, et une perfonne très-refpectable que je ne nomme point, la même dont vous me parlez dans votre dernière lettre, la même à laquelle vous êtes fi attachée, la même qui . . . . Le style de cet ouvrage était brillant et hardi; on me fit l'honneur de me l'imputer,

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