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sans talents, de peu d'esprit et court de savoir, que le hasard de Saint-Cyr, établi dans son diosèce, avait porté où il était, noyé dans ses fonctions et sans autre appui, ni autre connaissance. Dans cette idée, il ne douta pas de lui faire bientôt perdre terre par la nouvelle spiritualité de madame Guyon, déjà si goûtée de madame de Maintenon. Il n'ignorait pas qu'elle n'était pas insensible aux nouveautés de toute espèce, et il se flatta de culbuter par là Mer de Chartres, dont madame de Maintenon sentirait et mépriserait l'ignorance pour ne plus rien voir que par lui 1. >>>

L'issue du combat trompa tout à fait l'attente de Fénelon. Ce fut lui qui fut culbuté. Le rustre triompha du gentilhomme. L'archevêque s'était mépris; son rival n'était rien moins que ce qu'il s'était figuré. C'était un homme de science, de théologie profonde, à qui ne manquaient ni l'esprit, ni la douceur, ni même les grâces. Mais c'était un talent qu'il tenait enfoui pour les autres. « Il ne s'en servait que pour de vrais besoins. Son désintéressement, sa piété, sa rare probité, les retranchaient presque tous; et madame de Maintenon, au point où il était avec elle, suppléait à tout ». N'oublions pas toutefois le mot que nous avons déjà rapporté; c'était un étrange rival, pour un archevêque plus coquet que toutes les femmes ! >> Sorti tout meurtri de cette lutte, il fut longtemps à panser ses plaies dans l'exil et dans le silence. Quand il osa reparaître au jour, ce fut encore pour essuyer de nouveaux déboires. Il lui fallut, afin de ne pas compromettre le succès de ses vues ambitieuses, faire tous ses efforts et dresser des batteries pour se concilier « un La Chétardie, curé de Saint-Sulpice, directeur imbécile et même gouverneur de madame de Maintenon 2 >>>.

1. Mémoires du duc de Saint-Simon, t. Ier, p. 191.

2. Ibid., t. V, p. 66.

Godet des Marais ne se contenta pas de diriger Saint-Cyr et madame de Maintenon. Il eut un instant la haute main sur le clergé et partagea avec le Père de La Chaise la distribution des bénéfices. Ses choix, s'il faut en croire Saint-Simon, ne furent pas toujours excellents. C'est lui qu'il accusait d'avoir perdu l'épiscopat. Voici une circonstance où la sainteté de Godet lui permit de flatter madame de Maintenon. Il découvrit à SaintSulpice un abbé d'Aubigny, de bonne et ancienne noblesse d'Anjou. Ce nom le frappa, il vit le moyen d'enter sa royale pénitente sur cette antique souche. Elle y consentit avec empressement. Ce fut affaire faite : « Le rustre noble fut présenté à Saint-Cyr, à sa prétendue cousine. » Les armes, le nom, tout parut convenir et s'accorder au mieux; les livrées furent bientôt les mêmes. Godet prit avec lui le bon séminariste, il en fit son grand vicaire; puis, l'évêque de Noyon. Il faut voir avec quelles touches Saint-Simon a fait son portrait. C'était suivant lui : « Un gros et grand pied-plat, lourd, bête et ignorant, esprit de travers, mais très homme de bien, saint prêtre pour desservir, non pas une cure, mais une chapelle; surtout sulpicien excellent en toutes les minuties et les inutiles puérilités qui y font la loi, et qu'il mit, toute sa vie, à côté ou même au-dessus des plus éminentes vertus. Ce garçon n'en savait pas davantage, et n'était pas capable de rien apprendre de mieux ; d'ailleurs pauvre, crasseux et huileux à merveille. » Le même historien nous apprend quel fut son épiscopat: « Sa piété et sa bonté le firent estimer, et ses travers et ses bêtises détester, quoique parés par son frère (Teligny) qui ne le quittait point et qui était son tuteur 1. »

Si la faveur, si le privilège de la naissance conduisaient à l'épiscopat, il y avait une autre voie pour y atteindre: c'étaient les grades conquis en Sorbonne. La mitre s'achelait, en ce

1. Mémoires du duc de Saint-Simon, t. VI, p. 313.

cas, par des épreuves longues et difficiles. Il fallait, pour y parvenir, de la patience, du temps et beaucoup de savoir théologique. En sortant de ces pénibles combats, on n'arrivait pas toujours aux grandes dignités, mais on s'ouvrait la porte à des emplois honorables encore et surtout lucratifs. Les chaires de l'Université, celles de la Sorbonne, les cures de Paris, les places de grand vicaire étaient les récompenses les plus communes des années passées sur les bancs de l'école. « Un jeune homme tondu, écrit Voltaire, passe trois années à se mettre dans la cervelle ces sublimes connaissances; après quoi, il reçoit le bonnet de docteur. S'il est homme de condition, ou fils d'un homme riche, ou intrigant et heureux, il devient évêque, archevêque, cardinal, pape. S'il est pauvre et sans crédit, il devient le théologien d'un de ces gens-là; c'est lui qui argumente pour eux, qui relit saint Thomas et Scot pour eux, qui fait des mandements pour eux, qui, dans un concile, décide pour eux ».

Cette gent doctrinale, bruyante et disputeuse, a toujours eu dans l'Église un rôle retentissant. Elle y fit longtemps à elle seule la loi aux intelligences. Tout le savoir, toutes les études étaient en ses mains. Quoique au XVIIe siècle les destinées de la théologie commençassent à décliner devant le libre essor de la pensée laïque, la Sorbonne avait encore le verbe haut, et les actes de ses champions intéressaient toujours la nation et Paris

surtout.

Soit que la Faculté de théologie s'élevât contre Descartes et sa philosophie « subtile, engageante et nouvelle », soit qu'elle imaginât de condamner, au nom de l'usage, la circulation du sang, ou que, soutenue par le Parlement, elle dégradât (1609) Paumier de Caen, grand chimiste et célèbre médecin de Paris qui s'obstinait à prescrire, malgré elle, l'usage de l'antimoine aux malades, soit qu'elle en permit l'usage, l'an 1666, un demi-siècle après l'avoir défendu, soit qu'enfin (1629) ses

remontrances inspirassent au Parlement un arrêt portant qu'on ne pouvait clioquer les principes de la philosophie d'Aristote sans choquer ceux de la théologie scolastique reçue dans l'Église il était impossible qu'on restât insensible à ses disputes.

Sans parler de ces grands débats, le train ordinaire et journalier de ses exercices fixait l'attention de la société la plus polie et la mieux instruite. C'étaient autant de spectacles, ou même de cérémonies et de devoirs qui attiraient, des beaux quartiers dans le pays latin, les chanoines, les docteurs, les magistrats et même les courtisans. La tentative qu'on soutenait pour être bachelier, les trois actes publics du cours de licence, pendant les deux années que l'on courait ce grade, les quatre thèses voulues pour le doctorat, la Sorbonnique, la Mineure ordinaire, la Majeure ordinaire, les Vespéries, épreuves subies d'année en année pendant quatre ans, étaient autant de passes d'armes brillantes où le récipiendaire et les docteurs de la Faculté faisaient assaut d'éloquence et de subtilité.

Pour peu que le candidat eût du talent, une famille illustre, des amis et des protecteurs, il se faisait un grand concours à ces jeux scolaires. Arrivait-il qu'un prince, embrassant, par hasard, la voie des examens, se soumît à ces formalités, la Sorbonne prenait ces jours-là un air de pompe et de magnificence royales. Olivier d'Ormesson nous a conservé dans son Journal le souvenir d'un semblable appareil. En 1646, le prince de Conti passe sa tentative, et voici le cérémonial: le prince était sur un fauteuil élevé de trois pieds à l'opposite de la chaire du Président, sous un dais de velours rouge, dans une chaire à bras avec une table; il avait la soutane de tabis violet, le rochet et le camail, comme un évêque. Il fit merveilles, dit le narrateur, avec grande vivacité d'esprit. L'assemblée était belle et se composait en majeure partie d'évêques. Toute cette décoration extérieure sentait son prince; mais ce qui le fai

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