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PRÉFACE

L'histoire de la littérature d'un siècle peut être l'histoire de ses mœurs. C'est à ce point de vue que j'ai entrepris les études que je publie dans ce volume. Il serait difficile de renouveler la critique des œuvres littéraires du xvIIe siècle, il serait superflu de la recommencer suivant les anciens principes. Il m'a semblé qu'on pouvait demander autre chose aux productions de ce grand siècle que les satisfactions du goût. Les mœurs sociales de cette époque, moins connues que les chefs-d'œuvre qui l'ont illustrée, offrent un curieux sujet d'étude. J'ai essayé de les peindre dans des esquisses, plutôt que d'en composer un tableau d'ensemble. J'ai pris de toutes parts les traits qui m'ont paru les plus saillants et qui répondaient le mieux à mes vues. J'ai puisé largement dans les écrivains du siècle de Louis XIV, je les cite à toutes les lignes. Je dois

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VIII

également beaucoup aux critiques, aux historiens de notre temps qui se sont occupés du xvIIe siècle. C'est à eux sans doute que je suis redevable du bon accueil que ces travaux ont déjà reçu d'un public restreint et spécial, car la plupart de ces études ont été d'abord des conférences faites à la Sorbonne, à la salle de la rue Scribe, au boulevard des Capucines. Plusieurs ont paru, recueillies par la sténographie, dans la Revue des Cours littéraires. Je ne puis que souhaiter à cette épreuve nouvelle et plus périlleuse un succès égal à celui de la première, sans oser me le promettre.

Ch. GIDEL.

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A la distance où nous sommes, le xvII° siècle nous fait illusion. Nous nous laissons facilement prendre au charme de la gloire dont cette brillante époque nous apparaît environnée. L'éclat des lettres, celui des armes, le faste des bâtiments, la beauté des femmes, le luxe des vêtements, la magnificence des fêtes, tout nous semble fait pour enchanter la postérité, et nous ne résistons pas à la séduction. Un air de grandeur et de majesté répandu partout en impose. Voltaire en fut tout ébloui. Son Histoire de Louis XIV n'est qu'un panégyrique du monarque et de sa cour. Et pourtant combien de vices, combien de désordres, combien d'intrigues criminelles se cachaient sous ces dehors graves ou enjoués ! Les contemporains ne s'y

sont pas trompés. Ils en ont parlé avec une hardiesse qui nous étonne. Quand nous n'aurions que le témoignage de La Bruyère, c'en serait assez pour amortir le feu de notre enthousiasme et nous faire songer. Que dire des révélations si redoutables de Saint-Simon, ce gentilhomme qui, en léguant, du fond de la tombe, aux âges suivants les indiscrétions d'un esprit éclairé et d'une vertu chagrine, a jeté sur son temps une lumière qui ne laisse plus rien de secret? Il se couvrait du rempart de la mort, c'était de la prudence; il voulait laisser éteindre les noms qu'il avait flétris, c'était obéir au sentiment respectable des égards que l'on doit aux vivants. Molière n'y mettait pas tant de circonspection et de timidité. Il s'attaquait en face à des ennemis dangereux et rancuniers. Sans doute, il ne nommait personne, mais chacun se reconnaissait sans peine dans ses portraits; il avait pour lui la protection du maître, mais il n'en était pas si bien couvert qu'on ne pût l'atteindre à plus d'un endroit. En jouant les marquis sur la scène, il montrait autant de courage que de pénétration d'esprit. Ce sont des traits épars d'une peinture singulièrement vive que nous voulons réunir ici. Nous y ajouterons autant que possible un commentaire emprunté aux documents historiques du siècle.

A peine arrivé dans Paris, inconnu, sans protecteur, sans autre appui que son talent, Molière engage la lutte avec la portion de la société la plus chatouilleuse et la plus irritable. Il s'attaque aux gens du bel air. Les marquis, leurs manières ridicules, leur maintien affecté, leur langage prétentieux, leur présomption, leur suffisance, leurs modes exagérées font le principal objet de la satire qui remplit et égaie la comédie des Précieuses. Bossuet semble compter pour rien cette réformation « des mines affectées et des canons trop larges »; il pourrait avoir raison de la mépriser, s'il parlait d'un prédicateur chargé par sa vocation de corriger les âmes, et de faire, suivant le langage de Bossuet lui-même, les fruits d'une pénitence solide.

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