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minisme tend à prendre la place du roman. « Les profanes attendrissements, dit J. Michelet, les faiblesses de cœur, n'aidaient pas peu à préparer la sensibilité mystique 1».

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Tout à coup la scène change, un esprit de sombre tristesse gagne de plus en plus. Il est moins question de plaisir et d'amourettes; le roi pense sérieusement à son salut. Il s'occupe de celui de ses courtisans; il dit tout haut à son lever qu'il sait gré à ceux de ses officiers qui font leurs pâques; il désigne ceux qui manquent à ce devoir. C'est toute une révolution, non dans les mœurs, mais dans les visages. Ces hommes inquiets, légers, inconstants, qui changent de mille et mille figures, que le moraliste croit avoir attrapés au moment même où ils lui échappent; ces hommes, tantôt libertins ou dévots, se trouvent tout à coup fixés: la mode presse; c'est l'étoile de la dévotion qui règne maintenant. « C'est une chose délicate, observe La Bruyère, à un prince religieux de réformer la cour et de la rendre pieuse; instruit jusqu'où le courtisan veut lui plaire, et aux dépens de quoi il ferait sa fortune, il le ménage avec prudence, il tolère, il dissimule, de peur de le jeter dans l'hypocrisie ou le sacrilège : il attend plus de Dieu et du temps que de son zèle et de son industrie ». Satire ingénieuse et détournée de l'empressement de Louis XIV à gagner au ciel tant d'âmes égarées ! Le zèle et l'industrie du monarque mènent vite les choses. On avance à grands pas dans la voie de la perfection et de la résipiscence. Le grand roi ne doute point de la sincérité de tous ceux qui l'entourent. Il a foi dans ses ordres, dans son argent, dans ses dragons. Pellisson et Villars, Bâville et Du Chayla lui gagnent doucement les hérétiques; lui-même et madame de Maintenon conduisent à bonne fin une sorte de mission entreprise à Versailles. Le roi, personnellement, est entré dans une vie régulière. Madame de Main

1. Voir Michelet, Histoire de France, règne de Louis XIV, passim.

tenon, esprit judicieux, froid, médiocre et patient, a fait ce miracle. Cette femme, qui était la décence même, la réserve, la convenance, a changé le siècle. Avec elle, le prince a pris goût à une sage spiritualité. Il n'est pas devenu plus éclairé, il n'a pas pénétré plus avant dans le fond de la religion : il s'est attaché davantage aux pratiques. Peu à peu, le froid et la sécheresse de madame de Maintenon l'ont tout à fait envahi. Elle n'éprouva point d'ailleurs de résistance à ses désirs; l'éducation, les habitudes de Louis l'avaient préparé d'avance à cette douce conquête : « Le roi, dit Saint-Simon, n'a de sa vie manqué la messe qu'une seule fois à l'armée, un jour de grande marche, ni aucun jour maigre, à moins de vraie et très rare incommodité. Quelques jours avant le carême, il tenait un discours public à son lever, par lequel il témoignait qu'il trouverait fort mauvais qu'on donnât à manger gras à personne, sous quelque prétexte que ce fût, et ordonnait au grand prévôt d'y tenir la main, et de lui en rendre compte. Il ne voulait pas non plus que ceux qui mangeaient gras mangeassent ensemble, ni autre chose que bouilli et rôti fort court, et personne n'osait outrepasser ses défenses, car on s'en serait bientôt ressenti. Elles s'étendaient à Paris, où le lieutenant de police y veillait et lui en rendait compte. Il y avait douze ou quinze ans qu'il ne faisait plus de carême. D'abord quatre jours maigres, puis trois, et les quatre derniers de la semaine sainte. Alors, son très petit couvert était fort retranché les jours qu'il faisait gras; et le soir au grand couvert, tout était collation, et le dimanche tout était en poisson; cinq ou six plats gras tout au plus, tant pour lui que pour ceux qui, à sa table, mangeaient gras. Le vendredi saint, grand couvert matin et soir, en légumes, sans aucun poisson, ni à pas une de ses tables 1 ». Est-ce la vie d'un roi, est-ce la vie d'un anachorète ?

1. Mémoires du duc de Saint-Simm, t. VIII, p. 89.

En remplissant lui-même, avec cette rigueur, les prescriptions de l'Église, Louis ne pouvait en dispenser personne. C'étaient choses de grande conséquence à ses yeux, il ne pouvait pas souffrir qu'on les méprisât. Comme il manquait peu de sermons l'avent et le carême, il souhaitait qu'on l'imitât autour de lui. « A sa messe, tout le monde était obligé de se mettre à genoux au Sunctus et d'y demeurer jusqu'après la communion du prêtre; et, s'il entendait le moindre bruit ou voyait causer pendant la messe, il le trouvait fort mauvais ».

On lit dans les Mémoires de Dangeau, dès 1684: « 3 avril. Le roi, à son lever, parla fort de ses courtisans qui ne faisaient point leurs pâques, et dit qu'il estimait fort ceux qui es faisaient bien, et qu'il les exhortait tous à y songer bien sérieusement, et ajoutant même qu'il leur en saurait bon grẻ. » 21 mai. — Le roi fit, le matin, dans l'église, une réprimande au marquis de Gesvres, sur ce qu'il entendait la messe irréligieusement.

» 26 décembre. Le major déclara que le roi lui avait ordonné de l'avertir de tous les gens qui causeraient à la messe, etc., etc.

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» A la messe, il disait son chapelet (il n'en savait pas tage), et toujours à genoux, excepté à l'évangile. Aux grand'messes, il ne s'asseyait dans son fauteuil qu'aux temps où l'on a coutume de s'asseoir. Aux jubilés, il faisait presque toujours ses stations à pied; et tous les jours de jeûnc, et ceux du carême où il mangeait maigre, il faisait seulement collation.» (Ibid.)

Le mouvement est donné, chacun le suit. Qui voudrait y résister se heurterait à la volonté suprême. Les libertins se cachent, les esprits forts se taisent; Don Juan s'encapuchonne, il se couvre du masque dont tant d'autres se servent pour abuser le monde.

« L'hypocrisie, dit-il avec impudence, est un vice à la mode.

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