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ville. Le comte de Dunois, le premier de ses fils, était né sans esprit. Il semblait indigne de sa famille. Assez raisonnable pour sentir son incapacité, il s'était couvert de l'habit des jésuites. Le second, le comte de Saint-Pol, celui, dit Sainte-Beuve, qui passait pour le fruit de l'amour, se trouvait par cette décision mis en avant. C'était à lui que revenait tout le glorieux héritage de sa famille. Ses heureuses qualités paraissaient devoir en faire un homme « accompli selon le monde ». Les préférences de madame de Longueville étaient ainsi secrètement flattées par cet arrangement. « Elle se faisait pourtant scrupule, dit l'historien de Port-Royal, de violenter l'aîné, de le contraindre à une vie ecclésiastique qu'il n'embrassait que par incapacité de figurer à la guerre où à la cour, et qui n'était pas une vocation. La famille, au contraire, le prince de Condé notamment, pesait de toute son autorité pour annuler le pauvre aîné et pour lui interdire, par intimidation, l'entrée de ce monde où il leur aurait fait peu d'honneur1».

Un fils qui disparaissait du monde en acceptant dans l'Église une part de l'héritage du Seigneur, c'était pour beaucoup de parents une heureuse circonstance. L'ambition, la vanité, les préférences secrètes du coeur, les arrangements d'intérêt, y trouvaient une combinaison parfois imprévue, le plus souvent ardemment souhaitée et obtenue par les plus vives instances. En voici un exemple; l'histoire est tout au long dans les Mémoires de Saint-Simon. Le duc de La Rocheguyon, de la famille de La Rochefoucauld, avait eu huit garçons, il lui en mourut cinq. Des trois qui restaient, l'aîné avait vingt-cinq ans et plus de soixante mille livres de rente en bénéfices: il était d'Église et portait le titre d'abbé. Le comte de Durtal et le commandeur étaient les deux autres. Cela se trouvait fort mal arrangé. Pour bien faire, il eût fallu que Durtal cût été

1. Port-Royal, t. V.

l'aîné, c'est ce que voulurent les père et mère. L'abbé n'avait jamais voulu ouïr d'entrer dans les ordres. Tant qu'il avait eu des aînés, ç'avait été son affaire; mais, l'étant devenu, cela devint l'affaire de ses parents. Ils le pressèrent de s'engager, ils lui détachèrent dévots, docteurs, prélats; on ne put le déprendre de l'expectative sûre des dignités et des biens qui alors le regardaient uniquement. Il en voulait jouir quand ils viendraient à lui échoir. Il n'avait eu de vocation à l'état qu'on lui avait fait embrasser que celle des cadets de cette maison. Cette résistance d'un aîné touchait plus vivement. encore les chefs d'une famille tourmentée du « ver rongeur de princerie ». Il rendait impossible ce dessein, cher aux La Rochefoucauld, d'arriver à un rang qu'ils avaient vu donner avec de cuisantes douleurs d'amour-propre à MM. de Bouillon, qu'ils croyaient bien valoir. La faveur du roi les mettait en passe d'y parvenir; un aîné, un abbé, refusait d'entrer dans les ordres et de renoncer à son aînesse. A bout d'espérance de ce côtélà, ils prirent une autre route. Ils lui proposèrent de quitter le petit collet, puisque c'était un état qu'il ne voulait pas suivre. Mais à ce petit collet tenaient soixante mille livres de rente. « La douceur, l'onction, la tendresse, n'étaient pas le faible de ses parents. L'extrême épargne l'était davantage. Il ne crut pas devoir se mettre à leur merci en quittant ses bénéfices. I tergiversa, il essuya prières, menaces, conseils, il déclara qu'il demeurerait abbé et aîné, qu'il était trop jeune pour n'avoir point d'état, et trop vieux pour se faire mousquetaire, puis capitaine en attendant un régiment. On en vint aux gros mots; on lui détacha toutes les personnes qu'on crut qui lui feraient plus d'impression. Il écouta, il subit tout avec patience, avec respect, sans plainte. La famille rugissant eut recours au roi. Le vieux de La Rochefoucauld, qui était aveugle et retiré au Chenil, se fit mener au cabinet de Louis XIV. Il lui raconta avec la véhémence qui lui était ordinaire l'état déplo

rable où sa famille allait être réduite par l'opiniâtreté de son petit-fils qui voulait « manger à deux râteliers ». Il pleura, il se désespéra, il dit qu'il était bien misérable de survivre à la perte de sa maison. Marier des cadets et les voir sans rang vis-à-vis ceux des Bouillon, c'était la cause véritable de tant de vacarme. Ses cris, ses pleurs, «< ses furies », étourdirent et apitoyèrent le roi. Il permit au duc de La Rocheguyon de céder son duché à M. de Durtal son second fils, et de faire de ce cadet tige nouvelle de ducs de La Rocheguyon. C'était dépouiller l'aîné; celui-ci, qui se voyait si étrangement frustré, espérait bien y revenir en d'autres temps. M. de La Rochefoucauld se fit encore conduire dans le cabinet du roi, il y recommença ses plaintes et ses douleurs, et obtint que le roi parlerait à son petit-fils. L'abbé parut devant le prince, il s'attendait à le trouver irrité; il n'en fut rien. Louis XIV lui parla avec bonté; l'abbé répondit avec sagesse et raison: il désarma le roi. Tout tenait au revenu. Les parents voulaient demeurer maîtres de leur bourse et l'abbé de ses bénéfices pour n'être pas à leur discrétion. Ils imaginèrent alors un bref du pape qui permit à l'abbé d'aller à la guerre en conservant ses bénéfices. Ils le lui proposèrent; il n'osa pas y résister, parce que toute la difficulté sur laquelle il s'était tenu jusqu'alors était, par là, levée. Rome n'y mit aucun obstacle. Le pauvre abbé de La Rochefoucauld prit donc l'épée. Il partit pour la guerre de Hongrie. La petite vérole le saisit en 1717, à trente ans, au moment où il arrivait à Bude, et ce fléau délivra de lui son père et son frère, duc à ses dépens. L'histoire est un peu longue, mais elle est instructive. Saint-Simon ajoute que ce qui est arrivé depuis dans cette famille n'a pas donné lieu de croire que Dieu ait béni ces arrangements: ce n'est pas là notre affaire 1.

1. Mémoires du duc de Saint-Simon, t. VI, p. 359.

Le cardinal de Retz était, de son aveu, l'âme peut-être la moins ecclésiastique qui fût dans l'univers. Il raconte comment, chanoine de Notre-Dame de Paris à treize ans, il voulut, à force de duels et de scandales, marquer son éloignement pour l'Église. Une première rencontre avec Bassompierre le laissa là avec sa soutane et un duel; une seconde avec le comte d'Harcourt n'eut pas un meilleur succès, et « je demeurai encore là, dit-il, avec ma soutane et deux duels ». Sa famille avait décidé qu'il serait d'Église: il en fut. Rien de plus juste que la réflexion qu'il ajoute sur la nature de l'esprit humain : « Je ne crois pas qu'il y eût au monde un meilleur cœur que celui de mon père, et je puis dire que sa trempe était celle de la vertu. Cependant, ces duels ne l'empêchèrent pas de faire tous ses efforts pour attacher à l'Église l'âme peut-être la moins ecclésiastique qui fût dans l'univers : Sa prédilection pour son aîné et la vue de l'archevêché de Paris, qui était dans sa maison, produisirent cet effet. Il ne le crut pas et ne le sentit pas luimême je jurerais même qu'il eût lui-même juré dans le plus intérieur de son cœur qu'il n'avait en cela d'autre mouvement que celui qui lui était inspiré par l'appréhension des périls. auxquels la profession contraire exposerait mon âme. >>

Je suis loin de prétendre que tous les hommes d'Église n'eussent obéi qu'à des parents intéressés et à des vues ambitieuses. Il y avait dans les dignités ecclésiastiques les plus hautes, comme dans les emplois les moins en lumière, des âmes saintes que la crainte d'errer dans les voies du monde et de manquer celle du salut avait portées vers le sanctuaire. Elles y avaient été menées soit par un conseil divin et caché de la Providence, soit par un charme secret qui incline doucement la volonté, soit par quelque soudain éclat de repentir, par la nécessité de se réconcilier hautement avec le ciel. Il n'en est pas moins vrai que beaucoup d'autres, même entre ceux dont les vertus édifièrent plus tard le siècle, n'eurent au début

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