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Et puisque c'est le personnage ridicule de la pièce, falloit-il lui faire faire l'action d'un honnête homme?

LE MARQUIS. Bon. La remarque est encore bonne.

CLIMENE. Admirable.

ELISE. Merveilleuse.

LYSIDAS. Le sermon et les Maximes ne sont-ils pas des choses ridicules et qui choquent même le respect que l'on doit à nos mystères?

LE MARQUIS. C'est bien dit.

CLIMÈNE. Voilà parlé comme il faut.

KLISE. Il ne se peut rien de mieux.

LYSIDAS. Et ce monsieur de la Souche, enfin, qu'on nous fait un homme d'esprit et qui paroît si sérieux en tant d'endroits, ne descend-il point dans quelque chose de trop comique et de trop outré au cinquième acte lorsqu'il explique à Agnès la violence de son amour avec ces roulements d'yeux extravagants, ces soupirs ridicules et ces larmes niaises qui font rire tout le monde?

LE MARQUIS. Morbleu! merveille.

CLIMÈNE. Miracle!

ÉLISE. Vivat! monsieur Lysidas.

LYSIDAS. Je laisse cent mille autres choses, de peur d'être ennuyeux.
LE MARQUIS. Parbleu! chevalier, te voilà mal ajusté.

DORANTE. Il faut voir.

LE MARQUIS. Tu as trouvé ton homme, ma foi!

DORANTE. Peut-être.

LE MARQUIS. Réponds, réponds, réponds, réponds.
DORANTE. Volontiers. Il...

LE MARQUIS. Réponds donc, je te pric.

DORANTE. Laisse-moi donc faire. Si...

LE MARQUIS. Parbleu! je te défie de répondre.
DORANTE. Oui, si tu parles toujours.

CLIMÈNE. De grace, écoutons ses raisons.

DORANTE. Premièrement, il n'est pas vrai de dire que toute la pièce n'est qu'en récits. On y voit beaucoup d'actions qui se passent sur la scène; et les récits eux-mêmes y sont des actions suivant la constitution du sujet, d'autant qu'ils sont tous faits innocemment, ces récits, à la personne intéressée, qui, par-là, entre à tous coups dans une confusion à réjouir les spectateurs et prend, à chaque nouvelle, toutes les mesures qu'il peut pour se parer du malheur qu'il craint.

URANIE. Pour moi, je trouve que la beauté du sujet de l'École des Femmes

consiste dans cette confidence perpétuelle; et ce qui me paroît assez plaisant, c'est qu'un homme qui a de l'esprit, et qui est averti de tout par une innocente qui est sa maîtresse et par un étourdi qui est sou rival, ne puisse avec cela éviter ce qui lui arrive.

LE MARQUIS. Bagatelle, bagatelle.

CLIMÈNE. Foible réponse.

ELISE. Mauvaises raisons.

DORANTE. Pour ce qui est des enfants par l'oreille, ils ne sont plaisants que par réflexion à Arnolphe, et l'auteur n'a pas mis cela pour être de soi un bon mot, mais seulement pour une chose qui caractérise l'homme et peint d'autant mieux son extravagance, puisqu'il rapporte une sottise triviale qu'a dite Agnès comme la chose la plus belle du monde et qui lui donne une joie inconcevable.

LE MARQUIS. C'est mal répondre.

CLIMENE. Cela ne satisfait point.
ELISE. C'est ne rien dire.

DORANTE. Quant à l'argent qu'il donne librement, outre que la lettre de son meilleur ami lui est une caution suffisante, il n'est pas incompatible qu'une personne soit ridicule en de certaines choses et honnête homme en d'autres. Et, pour la scène d'Alain et de Georgette dans le logis, que quelques-uns ont trouvée longue et froide, il est certain qu'elle n'est pas sans raison, et de même qu'Arnolphe se trouve attrapé pendant son voyage par la pure innocence de sa maîtresse, il demeure au retour long-temps à sa porte par l'innocence de ses valets, afin qu'il soit partout puni par les choses qu'il a cru faire la sûreté de ses précautions.

LE MARQUIS. Voilà des raisons qui ne valent rien.

CLIMÈNE. Tout cela ne fait que blanchir.

ELISE. Cela fait pitié.

DORANTE. Pour le discours moral que vous appelez un sermon, il est certain que de vrais dévots qui l'ont ouï n'ont pas trouvé qu'il choquât ce que vous dites; et sans doute que ces paroles d'enfer et de chaudières bouillantes sont assez justifiées par l'extravagance d'Arnolphe et par l'innocence de celle à qui il parle. Et quant au transport amoureux du cinquième acte, qu'on accuse d'être trop outré et trop comique, je voudrois bien savoir si ce n'est pas faire la satire des amants, et si les honnêtes gens même et les plus sérieux, en de pareilles occasions, ne font pas des choses...

LE MARQUIS. Ma foi! chevalier, tu ferois mieux de te taire.

DORANTE. Fort bien. Mais enfin si nous nous regardions nous-mêmes quand nous sommes bien amoureux.....

LE MARQUIS. Je ne veux pas seulement t'écouter.

DORANTE. Écoute-moi si tu veux. Est-ce que dans la violence de la pas

sion...

LE MARQUIS. La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la. (Il chante.)

DORANTE. Quoi!...

LE MARQUIS. La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.

DORANTE. Je ne sais pas si...

LE MARQUIS. La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.

URANIE. Il me semble que...

LE MARQUIS. La, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la.

URANIE. Il se passe des choses assez plaisantes dans notre dispute. Je trouve qu'on en pourroit bien faire une petite comédie, et que cela ne seroit pas trop mal à la queue de l'École des Femmes.

DORANTE. Vous avez raison.

LE MARQUIS. Parbleu! chevalier, tu jouerois là-dedans un rôle qui ne te seroit pas avantageux.

DORANTE. Il est vrai, marquis.

CLIMÈNE. Pour moi, je souhaiterois que cela se fit, pourvu qu'on traitât

l'affaire comme elle s'est passée.

ÉLISE. Et moi, je fournirois de bon cœur mon personnage.

LYSIDAS. Je ne refuserois pas le mien, que je pense.

URANIE. Puisque chacun en seroit content, chevalier, faites un mémoire de tout et le donnez à Molière, que vous connoissez, pour le mettre en comédie.

CLIMÈNE. Il n'auroit garde, sans doute, et ce ne seroit pas des vers à sa

louange.

URANIE. Point, point, je connois son humeur; il ne se soucie pas qu'on fronde ses pièces, pourvu qu'il y vienne du monde.

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DORANTE. Oui; mais quel dénouement pourroit-il trouver à ceci? car il ne sauroit y avoir ni mariage, ni reconnoissance, et je ne sais point par où l'on pourroit faire finir la dispute.

URANIE. Il faudroit rêver quelque incident pour cela.

SCÈNE VIII.

CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, DORANTE, LE MARQUIS, LYSIDAS, GALOPIN.

GALOPIN. Madame, on a servi sur table.

DORANTE. Ah! voilà justement ce qu'il faut pour le dénouement que nous cherchions, et l'on ne peut rien trouver de plus naturel. On disputera fort et ferme de part et d'autre comme nous avons fait, sans que personne se rende; un petit laquais viendra dire qu'on a servi, on se lèvera et chacun ira souper.

URANIE. La comédie ne peut pas mieux finir, et nous ferons bien d'en demeurer là.

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