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SCÈNE X.

BÉJART, MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY, MESDEMOISELLES DU PARC, BÉJART, DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.

MOLIÈRE. Monsieur, vous venez pour nous dire de commencer, mais... BÉJART. Non, messieurs, je viens pour vous dire qu'on a dit au roi l'embarras où vous vous trouviez, et que, par une bonté toute particulière, il remet votre nouvelle comédie à une autre fois et se contente, pour aujourd'hui, de la première que vous pourrez donner. MOLIÈRE. Ah! monsieur, vous me redonnez la vie! Le roi nous fait la plus grande grace du monde de nous donner du temps pour ce qu'il avoit souhaité, et nous allons tous le remercier des extrêmes bontés qu'il nous fait paroître.

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SGANARELLE, parlant à ceux qui sont dans sa maison.

Je suis de retour dans un moment. Que l'on ait bien soin du logis et que tout aille comme il faut. Si l'on m'apporte de l'argent, que l'on me vienne querir vite chez le seigneur Géronimo, et, si l'on vient m'en demander, qu'on dise que je suis sorti et que je ne dois revenir de toute la journée.

SCÈNE II.

SGANARELLE, GERONIMO.

GERONIMO, ayant entendu les dernières paroles de Sganarelle. Voilà un ordre fort prudent.

SGANARELLE. Ah! seigneur Géronimo, je vous trouve à propos, et j'allois chez vous vous chercher.

GERONIMO. Et pour quel sujet, s'il vous plaît?

SCANARELLE. Pour vous communiquer une affaire que j'ai en tête, et vous prier de m'en dire votre avis.

GERONIMO. Très volontiers. Je suis bien aise de cette rencontre, et nous pouvons parler ici en toute liberté.

SCANARELLE. Mettez donc dessus, s'il vous plaît. Il s'agit d'une chose de conséquence que l'on m'a proposée, et il est bon de ne rien faire sans le conseil de ses amis.

GERONIMO. Je vous suis obligé de m'avoir choisi pour cela; vous n'avez qu'à me dire ce que c'est.

SCANARELLE. Mais, auparavant, je vous conjure de ne me point flatter du tout et de me dire nettement votre pensée.

GERONIMO. Je le ferai, puisque vous le voulez.

SCANARELLE. Je ne vois rien de plus condamnable qu'un ami qui ne nous parle pas franchement.

GERONIMO. Vous avez raison.

SCANARELLE. Et, dans ce siècle, on trouve peu d'amis sincères.

GERONIMO. Cela est vrai.

SGANARELLE. Promettez-moi donc, seigneur Géronimo, de me parler avec toute sorte de franchise.

GERONIMO. Je vous le promets.

SCANARELLE. Jurez-en votre foi.

GERONIMO. Oui, foi d'ami! Dites-moi seulement votre affaire.

SGANARELLE. C'est que je veux savoir de vous si je ferai bien de me

marier.

GERONIMO. Qui, vous?

SCANARELLE. Oui, moi-même, en propre personne. Quel est votre avis

là-dessus?

GERONIMO. Je vous prie auparavant de me dire une chose.

SCANARELLE. Et quoi?

GERONIMO. Quel âge pouvez-vous bien avoir maintenant?
SCANARELLE. Moi?

GERONIMO. Oui.

SGANARELLE. Ma foi! je ne sais; mais je me porte bien.

GERONIMO. Quoi! vous ne savez pas à peu près votre âge?

SGANARELLE. Non, est-ce qu'on songe à cela?

GERONIMO. Eh! dites-moi un peu, s'il vous plaît: combien aviez-vous

d'années lorsque nous fîmes connoissance?

SCANARELLE. Ma foi! je n'avois que vingt ans alors.

GERONIMO. Combien fümes-r
s-nous ensemble à Rome.

SCANARELLE. Huit ans.

GERONIMO. Quel temps avez-vous demeuré en Angleterre?

SCANARELLE. Sept ans.

GERONIMO. Et en Hollande, où vous fûtes ensuite?

SCANARELLE. Cinq ans et demi.

GERONIMO. Combien y a-t-il que vous êtes revenu ici?

SCANARELLE. Je revins en cinquante-six.

CERONIMO. De cinquante-six à soixante-huit, il y a douze ans, ce me semble; cinq ans en Hollande font dix-sept; sept ans en Angleterre font vingt-quatre; huit dans notre séjour à Rome font trente-deux; et vingt que vous aviez lorsque nous nous connûmes, cela fait juste

ment cinquante-deux. Si bien, seigneur Sganarelle, que, sur votre propre confession, vous êtes environ à votre cinquante-deuxième ou cinquante-troisième année.

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SCANARELLE. Qui, moi? cela ne se peut pas.

GERONIMO. Mon dieu! le calcul est juste; et, là-dessus, je vous dirai franchement et en ami, comme vous m'avez fait promettre de vous parler, que le mariage n'est guère votre fait. C'est une chose à laquelle il faut que les jeunes gens pensent bien mûrement avant que de la faire; mais les gens de votre àge n'y doivent point penser du tout, et, si l'on dit que la plus grande de toutes les folies est celle de se marier, je ne vois rien de plus mal à propos que de la faire, cette folie, dans la saison où nous devons être plus sages. Enfin, je vous en dis nettement ma pensée : je ne vous conseille point de songer au mariage, et je vous trouverois le plus ridicule du monde si, ayant été libre jusqu'à cette heure, vous alliez vous charger maintenant de la plus pesante des chaînes.

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