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timents à la fois bas et ridicules. Leur idéal à ces princes féodaux, dont la cervelle est empreinte des préjugés du moyen âge combinés avec les sophismes du militarisme ancien et moderne et les nuageuses théories de l'universitarisme germanique, leur idéal c'est d'entrer triomphalement dans Paris, casque en tête, sabre au poing; c'est de passer une grande revue en caracolant sur les boulevards pour humilier la France entière et narguer l'Europe, pour ensuite faire main basse sur les richesses artistiques, rapiner et charger sur leurs fourgons tout ce qu'ils pourront emporter du bien des particuliers.

Et, pour obtenir cette gloire, ils envoient des milliers de bombes éclater çà et là (1), la nuit surtout, et sans avertissement préalable, au sein d'une population agglomérée de deux millions d'âmes dont les trois quarts sont des femmes, des enfants, des vieillards, des citoyens des pays neutres. Leurs pointeurs ont ordre de viser spécialement les hôpitaux, les hospices de la vieillesse, les écoles d'enfants, les ambulances, les musées, les monuments, comme « moyen psychologique,» ainsi qu'ils disent dans leur pédant langage. Paris, calme et résigné à tout événement, espère bien que les Barbares du XIX siècle échoueront contre les efforts de ses enfants en armes et contre ceux des légions départementales du Nord, de l'Est et du Sud. Mais dût-il en être autrement, ce n'est pas la gloire, c'est la honte que recueillera cette génération de Germains. On dira dans les sociétés contemporaines et dans la postérité que les Prussiens, d'abord trois ois plus nombreux, préparés et organisés de longue date, exercés au maniement d'engins à plus grande portée, servis par un espionnage développé sur une grande échelle, grâce à l'hospitalité française, dépourvus de sentiments humains, inaccessibles à la

(1) Une bombe est venue éclater à quelques pas de notre imprimerie et fracasser le rez-de-chaussée d'une maison voisine. Et puisque nous parlons de ce qui touche au Journal des Économistes, inscrivons ici que le feu de l'ennemi a blessé à mort un des co-intéressés de notre publication, un jeune homme plein d'espérance, M. Philippe Chevalier, sortant de l'École polytechnique, fils de feu Auguste Chevalier qui a énergiquement défendu la liberté commerciale au sein de la majorité protectionniste du Corps législatif, et neveu de notre illustre collaborateur et ami, M. Michel Chevalier. Ajoutons encore qu'un des employés du journal, le jeune Fildart, est tombé blessé à Champigny et n'a pas été retrouvé. Ce pauvre jeune homme, comme des centaines de milliers d'autres, était fort inconscient des élucubrations diplomatiques de Napoléon III et de M. de Bismarck.

pital, ou par la liberté et par le respect de tous les droits présentement reconnus et réglés par nos Codes? En cela, l'économie politique est d'accord avec les amis de l'ordre et de la propriété. Mais elle avance que, par la liberté seule, politique, civile, industrielle et commerciale, tout s'émancipe et s'améliore, et qu'il en résulte une égalité relative des conditions qui les rend toutes meilleures à des degrés différents. Réalisant de plus en plus l'égalité qui élève, non celle qui abaisse, elle met chaque jour davantage, comme le voulait Platon, la cité en harmonie avec la nature.

« Or, c'est précisément là ce qui préoccupe les hommes voués à l'étude de cette science nouvelle, fondée par les physiocrates du XVIIIe siècle. « Constater les lois selon lesquelles les sociétés humaines existent, se développent ou s'appauvrissent, prospèrent ou se ruinent, les lois qui régissent le travail et les rapports des hommes entre eux dans une même circonscription territoriale, dans une patrie commune; leurs rapports de commerce, d'industrie, d'échange avec les peuples voisins ou éloignés, réglés politiquement ou librement établis par l'usage et la volonté des individus, par les mœurs et les coutumes, comme par les traités de nation à nation: tel est proprement l'objet de l'économie politique. C'est une science politique en ce sens qu'elle recherche l'influence qu'a sur le bien-être individuel ou général l'action des gouvernements, de tel ou tel principe de gouvernements. « Il ne suffit pas, a dit Fontenelle, d'avoir de grandes qualités; il faut en avoir l'économie. » En avoir l'économie ! c'està-dire savoir user de ces grandes qualités avec mesure et avec ordre, les employer utilement pour soi et pour autrui, ne point les appliquer à des œuvres ou stériles ou funestes. Ce simple mot Economie dit tout.

« De même, dans les États, dans les grandes comme dans les petites circonscriptions territoriales qu'on appelle nations, il ne suffit pas d'avoir de grandes richesses naturelles, il faut savoir comment elles se fécondent, comment elles se multiplient et se conservent pour le plus grand bonheur commun: Maxima felicitas. C'était, comme on sait, la devise de Jérémie Bentham, noble et généreuse devise que doivent avoir toujours présente les hommes d'Etat, et qui est comme le but même de l'art le plus difficile, l'art de gouverner, lequel, en certains cas, consiste à ne pas vouloir gouverner du tout; j'entends ce qui, de soi, échappe à toute action gouvernementale directe, comme l'établissement des salaires, la hausse ou la baisse des objets de consommation autres que ceux de première nécessité. De quelque côté qu'on se range du reste, dans ces grandes questions, qu'on soit, par exemple, protectionniste ou libre-échangiste, on délibère également de ces sortes de choses qui sont du domaine de l'économie politique, et les systèmes socialistes eux-mêmes sont de ce domaine. Il y a donc plusieurs écoles d'économistes; mais toujours le sujet de leurs études est le même: il s'agit de l'homme en société, con

sidéré dans cet ensemble de faits qui constitue ses intérêts terrestres. Or, qu'on ait pour maxime: Laissez faire, laissez passer, où qu'on dise : A chacun selon sa capacité; à chaque capacité selon ses œuvres; c'est toujours le même objet, la société, dont on se préoccupe, la cité qu'on a en vue; on fait de l'économie politique ; c'est toujours, comme l'entendait Platon, la cité qu'on veut mettre en harmonie avec la nature. »

C'est là une page qui ne saurait déplaire à l'économiste le plus rigide et qui part assurément d'un esprit ouvert à tous les progrès de l'esprit humain, bienveillant à tous les hommes de bonne volonté, et qui ne spare rien de ce qui est de l'homme. La science, la morale, les arts, l'industrie, sont, en effet, étroitement liés. L'histoire de leurs progrès, c'est l'histoire des progrès du bien-être physique et moral dans toutes les classes de lasociété, ce qui est, comme le dit l'auteur, l'objet même de l'économie politique.

En politique, le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle est républicain selon la science: il ne croit à rien de stable qui ne soit fondé sur les droits de l'homme mis en pratique et sur le bon sens national se formant par la libre discussion, qui sont, comme on sait, les deux grands ressorts américains du gouvernement du peuple par lui-même. Il y a trente-huit ans, un grand poète, qui est en même temps un penseur, Victor Hugo, dans un livre intitulé: Littérature et Philosophie mêlées (2 volumes in-8, 1832), disait : « La République, qu'est-ce ? La société souveraine de la société, s'administrant commune, se gouvernant corps électoral, se jugeant jury, se protégeant garde nationale. » Toute la politique du Grand Dictionnaire paraît répondre à ce programme.

De son article Démocratie on peut inférer les principes suivants, à savoir que la paix sociale ne règnera en France que quand il n'y aura plus antagonisme entre les intérêts de la nation ou du souverain et les intérêts de ceux qu'on appelle les « gouvernants », ce qui n'a pu encore s'y voir, depuis que Bonaparte l'a conquise au 18 brumaire, c'est-àdire depuis plus de 71 ans.

On ne sait pas assez, en effet, que la France a été conquise le 9 novembre 1799 (18 brumaire an vIII), par la force, la ruse et la corruption; qu'un homme sut à propos employer ces trois moyens à la conquérir, à cette date et dans les années qui la suivirent; que cet homme développa tous les germes de corruption qu'il sut démêler à l'état latent chez les hommes de la Révolution (germes qui se seraient peut-être éteints en eux sans lui); qu'il eut l'art de corrompre ces hommes et de les tourner en instruments de domination à son profit; que, par ses préfets, véritables missi dominici de ce nouveau conquérant qui aspirait au titre de nouveau Charlemagne, il a réellement traité par eux la France en pays conquis; que la France, depuis cette date néfaste (9 novembre 1799, 18 brumaire an VIII), malgré tout, ne s'est pas tirée encore de cette con

» et

quête; que les divers gouvernements qui se sont succédé depuis lors, quel qu'ait été leur drapeau, et malgré les deux révolutions de 1830 et de 1848, exploitées par d'habiles gens qui ont su en empêcher les effets logiques, elle est restée en ce malheureux état de « pays conquis, n'a joui ni d'une véritable indépendance ni d'une véritable liberté. La France, par ce seul fait, a été condamnée à des agitations stériles qui n'ont profité qu'à quelques hommes.

Il faut donc, si elle veut être vraiment libre, qu'elle se tire de là. Tant qu'elle ne s'en sera pas tirée, la paix sociale (c'est le mot du Grand Dictionnaire) n'y règnera pas.

Et pour que cette paix y règne, il faut que le pays prenne possession de lui-même, et du self-government.

Or, ce self-government s'appelle tout simplement la République.

Partant de là, on peut dire qu'il n'y aura pour la France, pour la société française, ni sécurité véritable, ni ordre dans le mouvement, ce qui est la vie des peuples libres, tant que, par un suprême effort, elle leur donne un 18 brumaire ou un 2 décembre, prétendent être ses tuteurs, ne sera pas sortie de son état de nation gouvernée comme un peuple conquis; tant qu'elle aura des gouvernants prétendant la diriger, lorsqu'eux-mêmes ne devraient être que les instruments de sa souveraineté ;

Qu'en conséquence, pour que la France vive et marche dans sa force et dans sa liberté, il faut qu'elle arrive à se donner une constitution républicaine qui supprime tout antagonisme anti-social entre le Souverain (le peuple) et les instruments élus de sa souveraineté : les ministres dans l'ordre administratif, et son plus haut mandataire dans l'ordre politique ou national, quelque nom qu'on lui donne, président du comité exécutif de la République.

Constitution bien simple, et consistant en quelques articles :

La commune élisant son conseil municipal et son maire;

Le département élisant son conseil général et son administrateur général (plus de préfets par conséquent nommés par le pouvoir exécutif);

Le suffrage universel élisant l'Assemblée nationale représentative, composée d'uu nombre de représentants du peuple déterminé sur un chiffre donné de la population;

Celle-ci élisant le pouvoir exécutif national et temporaire sans aucune prérogative de nature à entraver la volonté du souverain exprimée par ses représentants avec mandat impératif accepté sur les diverses questions à débattre dans l'intérêt général; pouvoir exécutif, par conséquent, très-humble et très-obéissant serviteur de la volonté générale ainsi exprimée ;

Un véritable conseil d'Etat élu par les 89 départements, siégeant à Paris auprès d'un ministre appelé ministre de l'intérieur, lequel devra

obéir à ce véritable conseil d'Etat; ministre ne gouvernant rien, charg seulement d'apposer sa signature aux arrêtés de ce conseil pour leur donner force exécutive.

La commune jouissant ainsi de son autonomie quand l'exercice de cette autonomie ne touche pas aux intérêts d'une commune ou des communes voisines, ne relève que d'elle-même. Quand cet exercice touche à ces intérêts, elle relève du conseil général du département, etc.

Telle est à peu près toute la théorie politique, intérieure, du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, applicable d'ailleurs à tous les peuples arrivés à un véritable état de civilisation.

En résumé, ce Dictionnaire, dont certains articles sont de véritables ouvrages, qui formeraient, imprimés en romain ordinaire, d'assez forts volumes, est, quelque prévenu qu'on soit contre lui par le faste de son titre, quand on l'examine de près, un monument qui fait le plus grand honneur au courage de l'homme qui l'a entrepris. C'est comme une immense enceinte où paraissent, ramassées et étiquetées selon l'ordre alphabétique, toutes les variétés imaginables des connaissances acquises par l'homme jusqu'à l'heure présente. Je ne saurais mieux le comparer, pour l'effet général, qu'au Champ-de-Mars transformé en 1867 en palais de l'industrie universelle. Et encore la comparaison ne donne-t-elle pas bien l'idée de tout ce qu'on trouve dans ce vaste répertoire; car tout s'y trouve, et tout ne se trouvait pas à l'exposition universelle. L'encyclopédie du dernier siècle, toutes les encyclopédies pâlissent devant ce monument d'une variété et d'un complet, si l'on peut ainsi parler, frappant et presque étrange, tant on y peut tout voir et s'y instruire de tout. C'est. je crois, Montesquieu qui a dit : « Tout expliquer, c'est tout unir.»La plus haute intelligence est celle qui voit le plus d'objets sous le plus de faces, et une intelligence incomparable et pareille à celle que les théologiens attribuent à Dieu, et les philosophies déistes à l'Être suprême, serait celle qui verrait tous les objets du monde physique et moral sous toutes leurs faces. Malheureusement, l'infirmité de notre nature exclut l'idée de cette dernière universalité dans un cerveau humain, mais non l'idée d'une universalité relative. Voir le plus d'objets sous le plus de faces est seulement ce à quoi peut aspirer l'homme le mieux doué et le plus avide de connaissances; et quiconque aurait un esprit ouvert à comprendre à la fois ce qui est du système du monde et de la nature, en même temps que ce qui est de l'art et du savoir humain, s'il avait la patience ou la puissance de ne rien laisser sans le lire de ce que contient le Grand Dictionnaire dont nous parlons, arriverait à être l'intelligence la plus haute à laquelle il puisse être donné à l'homme de s'élever; l'intelligence qui verrait le plus d'objets sous le plus de faces.

L'éloge que je fais là du Dictionnaire de M. Larousse peut paraître excessif; il n'est que juste. Un critique excellent qui d'abord, à la pre3 SERIE, t. XXI. 10 15 janvier 1871.

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