Images de page
PDF
ePub

Si nous redoutons, vu la période difficile que nous traversons, les réformes, dans notre système d'impositions, nature ou assiette, nous hésiterons beaucoup moins de les recommander dans l'organisation administrative de nos finances.

Ainsi plus la spécialité sera restreinte, c'est-à-dire plus le pouvoir exécutif sera limité dans la répartition des sommes accordées pour les dépenses publiques, et mieux cela vaudra. S'il y a utilité à modifier les chiffres primitifs, le pouvoir législatif est toujours là pour en apprécier le mérite et l'opportunité; mais donner d'avance et de confiance des pouvoirs étendus à l'exécutif, c'est l'autoriser, un jour ou l'autre, à en abuser. La division des pouvoirs, d'ailleurs, veut que la décision, en ces matières, appartienne au Parlement, et il serait dangereux de contrevenir à ce principe essentiel du droit politique.

La plus grande simplicité dans les finances facilitera toujours leur contrôle par le public. Dans ce but un seul budget dont le solde, en plus ou en moins, serait invariablement reporté à l'un des exercices suivants, ce budget unique comprenant, sans exception, toutes les opérations en recettes ou dépenses, serait, à cette fin, un des progrès les plus désirables.

Il y a également utilité à ce que la clôture définitive du budget annuel se fasse avec rapidité, afin de ne pas oublier l'esprit dans lequel il a été primitivement établi.

Enfin la publicité périodique des comptes du Trésor, à l'instar des bilans des grandes institutions de crédit, attestera aux administrés que les conditions de prudence et de sécurité ont été sévèrement pratiquées, loyalement observées dans la gestion des intérêts financiers de l'Etat. Tous ces préceptes sont constamment mis en application par les hommes les plus obscurs, gérant maison de commerce, établissement industriel ou entreprise agricole; il est vraiment étonnant que des recommandations d'une utilité si évidente qu'il semble banal de les faire, soient méconnues quand il s'agit de l'Etat.

Simplicité, publicité loyale et prompte, contrôle incessant, voilà les règles que nous ne saurions trop recommander à nos futurs gouvernants, quels qu'ils soient. Sans elles toute réforme risquera d'être peu durable; avec elles la moindre modification, utile en elle-même, portera tous ses fruits avec permanence, sera acquise au pays et méritera aux administrateurs qui les auront mises en pratique, la reconnaissance de la France entière, et même, par voie de solidarité, de tous les peuples avec qui nous sommes appelés à étendre pacifiquement nos rapports.

ALPHONSE COURTOIS.

RÉSUMÉ ANALYTIQUE

DE L'ENQUÊTE PARLEMENTAIRE

SUR LE RÉGIME ÉCONOMIQUE: -INDUSTRIE DU COTON.

SOMMAIRE.

RÉGION DE L'EST― (suite et fin).

SÉANCE DU LUNDI 28 MARS (1).

Déposition de M. Pouyer-Quertier.-Récriminations contre le traité de 1860.-Infériorité, par suite, de l'industrie nationale dans une lutte pour laquelle on n'était pas prêt. Exécution à rebours du système de Richard Cobden, qui a particulièrement favorisé les salaires par le dégrèvement des subsistances. Que l'impôt en France est infiniment plus onéreux à la filature qu'en Angleterre. - Influence reconnue des tissus mélangés de laine par suite de la cherté excessive du coton. L'industrie, en France, livrée à la merci de six grandes compagnies de transport. — Que l'agriculture a peu ou point gagné au traité de commerce. Du rôle des octrois, ces douanes intérieures, funestes à la richesse générale.-Avantages que procurerait à l'Amérique du Nord son système de tarifs ; c'est ainsi que ce pays rachète sa dette. Influence fatale de l'admission temporaire en franchise de certains tissus. De l'importance capitale du prix des transports. Observation de M. Brame à ce sujet. Nécessité de créer des services distincts, un pour les chemins de fer, l'autre pour les canaux. - Qu'il existe pour le fret, de Bombay à Liverpool et de la ville indienne au Havre, une différence de 30 à 35 0/0. L'industrie cotonnière a été ruinée par l'introduction de gros numéros et par celle des numéros fins de toute sorte.

[ocr errors]

Explications complémentaires de M. Engel Dollfus à l'appui de sa déposition.

A l'ouverture de la séance, M. le président expose que la Commission avait fixé à aujourd'hui l'audition de M. Pouyer-Quertier, dans la pensée que les dépositions de l'Alsace seraient épuisées. Il n'en est rien. La Commission croit devoir, en conséquence, interrompre la série des dépositions de l'Est (2).

(1) V. Deuxième fascicule, p. 145 et suivantes,

(2) Cette résolution semble de tout point regrettable. Outre que le grand

Déposition de M. POUYER-QUERTIER, filateur, tisseur de coton, peigneur de laine et président de la chambre de commerce de Rouen: filature, 95,000 broches; tissage de 200 métiers. L'honorable déposant fait allusion à la lettre impériale du 3 janvier 1860, pour constater combien peu chez le gouvernement les actes auraient répondu aux promesses faites. Ainsi l'on reconnaissait la nécessité d'améliorer « l'agriculture et d'affranchir l'industrie de toutes les entraves intérieures» avant de travailler à « développer par l'échange des produits le commerce étranger. » Les voies de transport devaient surtout amener la matière première là où elle est réclamée par les besoins « de la production. » Dans ce but, il convenait, pour provoquer la réduction « des tarifs, » de faire naître et de favoriser « une juste concurrence. » A cela eût dû s'ajouter l'abaissement de l'impôt « sur les denrées de grande consommation. » Mais, pour exécuter un tel programme, il eût fallu dix ans, et c'est quelques jours après ce brillant exposé qu'on supprimera, par voie de traité avec l'Angleterre, le régime prohibitif. Non-seulement ici le Corps législatif n'a pas été consulté, selon qu'il est indispensable en matière d'impôt, mais il ne sera pas appelé à donner son opinion sur les nouveaux tarifs. Bien plus, il ne sera même tenu aucun compte des observations émanées auparavant de divers manufacturiers appelés par l'empereur, et qui déclaraient que la prohibition ne pourrait disparaître qu'à la charge « de droits compensateurs s'élevant de 25 à 30 0/0.» Ces droits étaient « suffisants. » Mais le ministre chargé de régler définitivement « les conventions supplémentaires >>> ne tint aucun compte ni de ces déclarations, ni du sentiment du Conseil supérieur du commerce. «Il s'enferma avec trois manufacturiers anglais, et arrêta seul, en l'absence des manufacturiers français, les bases du traité » qui fera loi.

Voilà comment tout à coup, conclut M. Pouyer-Quertier, l'industrie nationale se trouva aux prises avec l'industrie étrangère sans pouvoir suffisamment lutter avec elle. On supprima sans doute certains droits sur les matières premières, le coton, la laine, et il n'en pouvait être autrement pour sauver l'industrie manufacturière; mais, outre que c'étaient pour le Trésor « les meilleurs droits, » cela profitait à l'étranger particulièrement, et ce déficit a dû être

industriel du Nord, qui suit assidûment, on pourrait même dire pied à pied, l'enquête, eût pu aisément se présenter à son rang pour être entendu, il y a, dans le décousu qui résulte de cela pour le débat, un défaut de suite qui nuit, plus qu'on ne croit, à certaines dépositions.

P. C.

comblé « par des taxes nouvelles sur les denrées alimentaires, sur les produits de notre sol, » de façon à grever fort inégalement les consommateurs, « qu'ils soient riches ou pauvres. » C'est là, remarque M. Pouyer-Quertier, « la liberté économique nouvelle ; diminuer tout ce qui pèse sur les classes riches, et peser de tout le poids possible sur les objets de grande consommation. » L'honorable déposant rappelle à ce propos l'ouvrier qui consomme 3 kilogr. de tissus par an « à 1 fr. de droit, » soit 3 0/0 par an, et compare ceci à la charge qui pèse sur la consommation en viande, en vin, en combustible. Tant s'en faut que ce soit l'œuvre accomplie par R. Cobden en Angleterre. C'est sur les denrées alimentaires qu'a essentiellement porté la réforme entreprise par ce grand manufacturier. Cela équivalait à une élévation de salaire, ce qui réalisait le problème de la vie à bon marché. - Ici, M. le président demande, au nom de divers membres de la Commission, que le déposant précise quelles sont « les matières alimentaires » qui auraient en France été chargées de nouveaux droits? M. Pouyer-Quertier cite les alcools (!), les vins et particulièrement les sucres (?). Il parle de l'enregistrement, du timbre, toutes charges qui retomberaient sur l'agriculture, » et par conséquent sur les denrées alimentaires (?). » Il cite les Anglais, qui ont réduit notablement l'impôt sur le thé dans le même temps. En France, au contraire, on n'oppose aucune réduction d'impôt de consommation aux charges nouvelles créées et qui ne vont pas à moins de 800 millions. Le traité, à l'exception des eaux-de-vie, des vins et des fruits frais, a médiocrement profité à notre agriculture. Les droits, en Angleterre, étaient faibles; ils sont restés vis-à-vis de nous ce qu'ils étaient.

Quant aux débouchés ouverts à notre agriculture, ils se réduisent à ceci pour 1 million de produits qu'on exporte, il en entre le triple ou le quadruple. Puis, il n'y a pas à Londres ces droits d'octroi qui font qu'on y mange la viande 20 c. par kilogr. « meilleur marché qu'à Paris et même dans nos provinces. » M. Pouyer-Quertier rappelle ici les chiffres de douane pour les importations et les exportations comparées. Il en résulterait que, si les dernières ont gagné par exemple, en 1868, une somme de 179 millions, comparées à 1859, l'importation s'est accrue de 487 millions, soit une perte « pour la France agricole » de 308 millions. La période de 1869 chiffrerait cette perte par 301 millions 1/2. Il est vrai que M. Pouyer-Quertier ne fait pas entrer dans ces données comparatives les céréales. Ici, le déposant déclare accepter parfaitement les chiffres de la douane, tant qu'elle opère sur des quantités fixées en poids, en hectolitres; mais il les conteste au point de vue « de la valeur. » Il est ici d'accord avec M. Jean Dollfus et les imprimeurs d'Alsace, voulant qu'on

opère au mètre et non au poids. Dans ce système, il serait sorti de France, en 1859, pour 1,200 millions de produits « manufacturés de toute sorte, » chiffre inférieur de 113 millions 1/2 seulement à l'année 1868, tandis que cette même année il serait entré pour 224 millions en plus de ces produits comparativement à 1859. Toute balance faite entre les deux périodes, la perte serait de 110 millions. M. Pouyer-Quertier considère, on le voit, comme une perte tout excédant d'entrée sur la sortie, selon la théorie connue de la balance du commerce. Il continue d'ailleurs à ne tenir nul compte, à la sortie, de l'article céréales, alors qu'il s'occupe de la France agricole.

Passant à l'article de l'impôt, l'honorable déposant compare le chiffre de la contribution qui grève ses établissements avec les taxes dont une filature anglaise d'importance, à peine moindre, est frappée; il déclare que là où cette charge ressort en Angleterre à 10,100 fr. annuellement, il doit, lui, acquitter d'impôts « de toute sorte >>> 19,500 fr. Dans ce système, les ruines se seraient accumulées, 960,000 broches ayant en Normandie dû changer de mains sur les 2 millions qui existent. Les grands établissements ne seraient pas plus épargnés ici que les petits. Il a pu, d'ailleurs, à l'exemple de l'Angleterre, conjurer parfois ce résultat par la spécialisation dans la fabrique, c'est-à-dire en s'attachant à ne produire « qu'un seul article. » C'est ainsi qu'on étend le marché en produisant à trèsbas prix. Mais cela n'est possible « qu'en Angleterre, » où l'on exporte bien plus qu'on ne consomme de produits manufacturés. Cette exportation représenterait, grâce aux débouchés que donnent ici les colonies anglaises, 83 0/0 de la fabrication totale.

M. Seillière intervient au débat pour rectifier un point de sa déposition. Ce ne serait pas seulement 782,000 broches qui seraient annulées en France par l'application des nouveaux tarifs facilitant l'introduction de manufacturés similaires, mais c'est le travail d'un million de broches. Cela résulterait de la communication récemment faite par un manufacturier de Roubaix, communication dont lecture est donnée.

Il semble à M. de Forcade que la consommation de manufacturés en Angleterre se trouverait notablement amoindrie par M. PouyerQuertier. Cela irait à plus du double, si l'on se reporte aux chiffres relevés en 1867 dans le rapport sur l'Exposition.-M. Jules Simon fait remarquer, enfin, qu'il faudrait tenir compte du chiffre des populations respectives dans chaque pays. M. Pouyer-Quertier, sans insister davantage à cet égard, déclare ne pas connaître les chiffres auxquels M. de Forcade fait allusion. Du reste, on ne saurait nier que le côté de l'exportation manufacturière anglaise ne

« PrécédentContinuer »