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affirmer que tous ces malheurs, tout ce délire, toutes ces souffrances, tous ces désastres, toutes ces horreurs, ont en grande partie pour cause première l'ignorance des saines notions de l'organisation sociale.

Nous avons suivi les doctrines et les actes économiques de la Commune et du Comité central jusqu'au 16 mai.

Un décret daté du lendemain 17 supprimait dix journaux, en tout 44, dont quelques-uns, il est vrai, avaient reparu sous d'autres noms, ce que la Commune voulait prévenir en stipulant, dans ce même décret, qu'aucun journal ou écrit périodique ne pourrait reparaître avant la fin de la guerre. Il était de plus prescrit que les articles devraient être signés par les auteurs, aux termes de la loi de 1850, à laquelle plusieurs journaux ne se sont plus conformés depuis la révolution du 4 septembre. Le même décret portait aussi que «<les attaques contre la République ou la Commune » seraient déférées à la cour martiale.

Se voyant débordé par les abus auxquels donnait lieu, en progression croissante, la solde des fédérés, le délégué aux finances, le citoyen Jourde, qui, en sa qualité de ci-devant marchand, avait conservé quelque sens, décrétait, à lui tout seul, le 16 mai, qu'il serait institué une direction spéciale chargée du « contrôle des finances pour la solde de la garde nationale. » Avertie sans doute par le même délégué du coulage général par une infinité de fissures, la Commune décrétait le 18 mai, qu'il serait créé une commission supérieure de comptabilité; deux jours après, qu'une autre commission serait chargée de vérifier, « après la victoire,» les comptes de tous ceux qui auraient eu les maniements des fonds de la Commune. L'incendie de l'Hôtel-de-Ville et du ministère des finances a remplacé ce travail de vérification.

Mais en fait de finances voici le bouquet: le Journal officiel de la Commune du 21 mai contenait, dans la partie officielle, la déclaration suivante: « Les habitants de Paris sont invités de se rendre à leur domicile sous quarante-huit heures (sic); passé ce délai, leurs titres de rente et grand-livre seront brûlés. Pour le Comité central Grêlier.»

On ne savait trop que penser de cette étrange injonction ; mais le jour même il y avait grand émoi à ce sujet dans la séance de la Commune; et après une discussion assez peu intelligible, dans le compte-rendu, on adoptait un ordre du jour présenté par M. Lefrançais, en ces termes : « la Commune, s'en rapportant au Comité de salut public, pour prendre toutes mesures de répression contre le citoyen Grêlier et ses complices, passe à l'ordre du jour.» Dans la discussion, M. Paschal Grousset demande que, tout en

blâmant l'insertion de cette note, on prenne des mesures pour l'anéantissement de tous les titres appartenant «< aux Versaillais »> le jour où ils rentreraient à Paris. D'où il appert que la note de Grêlier (ancien placier, dit-on), n'était pas étrangère aux plans des hommes d'état de la Commune.

Autre fait financier non moins colossal. A la faveur du gâchis administratif et militaire du gouvernement communal, un groupe d'hommes pratiques a détourné 753,000 titres définitifs de l'emprunt contracté par la ville en 1869. C'était un beau denier de 200 millions; mais la spéculation n'a pu réussir, en l'absence de publications officielles et dans l'impossibilité d'opérer l'échange régulier des titres provisoires. Il n'a donc pu être vendu qu'un petit nombre de ces titres en Belgique et sans doute à vil prix. La Commune n'a eu ni le loisir, ni probablement la volonté de donner des explications à ce sujet.

Nous avons dit les mobiles divers qui ont produit cette insurrection. A mesure que les faits sont mieux connus et que l'on découvre de nouveaux indices, on voit que les ouvriers obéissant à ce Comité central composé des chefs « de l'Association internationale des travailleurs ont cru, après l'événement du 18 mars, à la possibilité d'instituer un gouvernement ouvrier et d'opérer une révolution sociale; que la Commune, au sein de laquelle cet élément socia liste s'est trouvé mêlé avec l'élément jacobin représenté par d'ambitieuses médiocrités de la classe moyenne, a poursuivi la même illusion; que les craintes politiques suscitées par les actes de l'Assemblée n'étaient, ainsi que la revendication des franchises municipales, qu'un prétexte, tant pour les jacobins centralisateurs de leur nature, que pour les socialistes cosmopolites, rêvant tous ensemble la pression de Paris sur la France et sur l'Europe; que s'il y a eu, dans tout ce monde, des gens à bonnes intentions, mais. à esprit de travers, il s'y est trouvé surtout de féroces coquins, jeunes et vieux, qui n'ont vu dans cette effroyable tourmente que l'occasion de se procurer les grossiers plaisirs de l'orgie, de la domination et de la vengeance.

La liquidation judiciaire de cette affreuse affaire jettera un jour complet sur la nature de ces divers éléments et sur la responsabilité relative de toutes les atrocités commises.

En ce moment la curiosité se dirige avec anxiété vers « l'Internationale », et nous pensons que l'opinion publique, peu apte à démêler le vrai et le faux dans les questions économiques, surtout après un pareil ébranlement, grossit les proportions de cette charbonnerie ouvrière. Le Journal des économistes, qui a signalé ce mouvement depuis son origine et qui a rendu compte de

plusieurs de ces manifestations, aura plus d'une occasion de revenir sur ce danger qui est fort grave, mais qui n'est pas insurmontable. En attendant, nous publions dans ce numéro, au bulletin, une curieuse étude de M. Anatole Dunoyer, sur le caractère et l'organisation de cette association; nous reproduisons aussi la circulaire de M. Jules Favre, relative au même sujet.

Il est probable que, derrière les ouvriers de l'Internationale, et au sein même des énergumènes de la Commune, on apercevra de plus en plus les traîtres de cet horrible drame qui en-deçà et audelà du Rhin, ont directement poussé à ces pillages d'églises, à ces arrestations de prêtres et de notables, à ces meurtres des ôtages, à ces dévastations de monuments. Mais, en attendant la production de semblables preuves, qui peut nier que les premiers coupables ne soient ceux qui ont fait surgir les passions de la guerre, ceux qui ont continué l'invasion après Sedan et tourné les esprits et les cœurs vers les procédés de destruction et d'extermination. En effet, qui donc est venu remettre en usage le barbare procédé des ôtages, si ce n'est les chefs de l'armée prussienne? Qui donc a vulgarisé l'usage du pétrole pour incendier les villages; qui donc a ordonné de bombarder les villes, de viser les monuments, les bibliothèques, les hôpitaux, pour produire l'effet psychologique, si ce n'est M. de Moltke, exécuteur du roi Guillaume et de M. de Bismark, interprètes des sentiments des docteurs allemands, qui les appellent des héros de civilisation? L'histoire dira que l'horreur de la guerre sociale de Paris, en 1871, aura été précédée des horreurs commises par les Prussiens sur le territoire de la France inutilement envahi au point de vue de leur propre intérêt.

Les Prussiens ont festoyé le jour de la chute de la colonne; on pouvait voir leur joie à la lueur des incendies des monuments de ce Paris qui surexcite leur jalousie. Dès le jour de la visite à Ferrières, M. de Bismark comptait sur la « populace de Paris >> comme sur un auxiliaire. Il y comptait encore le 31 octobre; il invoquait le même adjuvant lors de la négociation de l'armistice, lors de la négociation du traité, et, dans ces derniers jours encore, lorsqu'il a exigé de la France, qui se déchirait de ses propres mains, des conditions plus dures que celles antérieurement conve

nues.

La patrie allemande est dans la joie du succès. De temps à autre, M. de Bismark fait applaudir de lourdes facéties contre la France par les docteurs de Reischtag. Demain va s'opérer à Berlin l'entrée triomphale d'une partie de l'armée. Le stupidum pecus, ainsi que les docteurs des universités, applaudiront à outrance et verront reluire, à travers ces uniformes remis à neuf, les 5 milliards de

la France. Ils ne verront pas le cortége des orphelins et des veuve; il ne verront pas le cortége des mutilés ni la file de tombes creusées en France pour les enfants de l'Allemagne; ils ne verront pas les milliards perdus pour la patrie allemande pendant cette année de crise et de destruction; ils ne verront pas que leurs héros ont légué aux générations qui nous suivent de sanglantes revanches, le tout pour faire administrer par des préfets allemands l'Alsace et la Lorraine que M. de Bismark avoue, après la victoire, être peu sympathiques à l'Allemagne, après avoir donné comme un des principaux arguments de la guerre la délivrance de ces mêmes provinces.

La France vient de toucher le fond de l'abîme; mais elle s'en retirera avant que ses vieux ennemis n'aient fermé la paupière, et ce sera la première revanche!

Pour cela il faut qu'elle paie les Prussiens afin qu'ils s'en aillent. A cet effet, il faut qu'elle fasse appel au crédit, qu'elle augmente ses contributions, qu'elle diminue ses dépenses; il faut aussi qu'elle se remette au travail qui réparera à la longue tous ses malheurs, dans le limite du possible, et qui contribuera dans une large mesure à apaiser les sentiments de colère et de haine, résultats inévitables de l'atroce guerre civile.

Un projet de loi pour un emprunt de 2 milliards 500 millions de francs vient d'être présenté à l'Assemblée; nous en publions plus loin l'exposé des motifs, par M. Pouyer-Quertier, ministre des finances, qui a aussi présenté, dans la séance du 12 juin, un autre projet de loi ayant pour but d'établir des augmentations d'impôts et l'établissement d'impôts nouveaux devant produire un total de près de 500 millions de francs. D'autre part, le ministre a annoncé des économies et des réductions pour 600 millions de francs. Il est à remarquer que l'impôt sur le revenu ne se trouve malheureusement pas parmi les nouveaux impôts projetés, qui sont des taxes sur les assurances, le papier, le pétrole, les allumettes, etc.

M. Pouyer-Quertier paraît avoir dédaigné l'impôt sur les pianos, comme le proposait naguère, sérieusement, feu le facétieux D' Véron. A propos de l'impôt sur les allumettes, notons que nos voisins d'outre-Manche faisaient, vers la fin d'avril dernier, une sérieuse agitation contre cette taxe que M. Lowe, le chancelier de l'Echiquier proposait d'établir en même temps qu'un droit sur les photographies dédaigné aussi par notre lord de la trésorerie.

Heureux Anglais ! ils en sont arrivés au point de pouvoir s'opposer victorieusement à la taxe des allumettes. Il est vrai qu'ils n'ont eu ni la guerre étrangère, ni la guerre civile, ni l'Empire.

Chose plus grave! nous voyons réapparaître les droits de douane

sur les matières premières; nous voyons se relever les mêmes droits sur les produits fabriqués. Aujourd'hui c'est le fisc qui parle au nom de la délivrance du territoire; bientôt ce seront les prétentions de la protection et les jérémiades du travail national que nous entendrons; et voilà ce que la guerre aura fait de ces pauvres réformes douanières, si mesquines, et obtenues par tant d'efforts.

Cette nomenclature de taxes nous rappelle la curieuse série de celles perçues chez les Romains, que nous avons retrouvée dans un vieil écrit d'il y a près de trois siècles, et dont nous avons cru intéressant d'insérer la traduction dans ce recueil.

-Le Journal officiel du 11 juin, a publié l'arrêté prescrivant la promulgation du traité signé à Londres le 13 mars dernier, pour la révision du traité de 1856 que nous avons mis sous les yeux de nos lecteurs dans le numéro de janvier (1). Cette révision, réclamée par la Russie pendant le siége de Paris par les Allemands, ne pouvait rencontrer d'obstacles sérieux de la part de l'Angleterre, de l'Italie et de la Turquie, en présence de l'entente de la Russie et de la Prusse et de l'écrasement de la France.

En vertu de ces nouvelles stipulations, la mer Noire cesse d'être neutralisée; les États riverains, la Russie et la Turquie, reprennent l'exercice de leur souveraineté sur ses eaux et pourront y avoir des arsenaux et des bâtiments de guerre. Pour sauver en apparence le principe fondamental du traité de 1856, la Turquie recouvre la faculté d'ouvrir le Bosphore aux navires de guerre des nations amies ou alliées. L'Angleterre se réserve par cette clause de venir au secours de la Porte, et la Russie s'en arrange provisoirement, sachant que les barrières diplomatiques n'arrêtent pas longtemps les forts. Comme fiche de consolation, l'Angleterre a fait insérer un protocole déclarant qu'aucune puissance ne peut se libérer d'un traité sans l'assentiment des autres puissances contractantes. La Prusse et la Russie, qui ont montré l'une après l'autre comment on respectait les engagements internationaux, en violant, la première, le traité de Prague, et la seconde, le traité de Paris, n'ont pas refusé à l'Angleterre cette satisfaction platonique.

Ainsi se trouvent anéantis les résultats de cette fameuse et inutile campagne de Crimée qu'on aurait pu éviter, par le fait de la guerre désastreuse de 1870 qu'il était encore plus facile d'éviter. Et voilà ce que de nos jours on appelle la grande politique!

Paris, ce 15 juin 1871.

(1) Janvier 1871, xxi, p. 114.

JOSEPH GARNIER.

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