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saire par le déclin de l'agriculture irlandaise, nous ne pensons pas que cette réforme soit suffisante pour assurer la prospérité du pays. Comparée avec l'industrie, l'agriculture ne possède qu'un faible degré d'élasticité. Même, dans la Grande-Bretagne, les profits de la terre et des fermiers étaient imposés, en 1815, sur un total de 63,283,000 livres sterling, et, en 1856, sur 62,387,000 livres sterling, tandis que les profits de toutes autres occupations et de toutes autres propriétés s'étaient élevés à 48,000,000 en 1815 et 141,000,000 en 1856. La terre irlandaise, devenue la propriété du paysan, ou prise à long terme, sera incontestablement plus productive, ainsi que l'a prouvé l'expérience de tous les autres pays, et ne sera jamais trop peuplée, car les multitudes ont appris à traverser l'Atlantique. Bien que ce résultat soit de nature à donner plus de bien-être à la population qui reste, il n'est pas suffisant pour assurer la prospérité d'un pays. La réduction du nombre des habitants, par voie d'émigration, ressemble au gaspillage excessif des parties organiques de l'individu. Il y a, dans les deux cas, indication d'un état maladif qui, en prenant son cours, mène à la mort. Notre but principal est de chercher du travail pour une population croissante, en dirigeant ses efforts vers les différentes occupations d'une industrie productive. Ce but est grandement, sinon complétement atteint, en Angleterre et en Écosse, par l'établissement des manufactures. C'est à peine si l'on rencontre des manufactures en Irlande, excepté dans une province. Nous avons, dans un autre travail (1), comparé l'Irlande à la Suisse et à la Hollande, et prouvé que ni l'un ni l'autre de ces pays ne possède des ressources manufacturières à un aussi haut degré que l'Irlande, et cependant ces deux pays ont atteint une prospérité beaucoup plus grande. Ces deux pays sont singulièrement pauvres en matières brutes propres à l'industrie; ils sont plus éloignés que l'Irlande des pays producteurs, et cependant leurs manufactures ont pris un développement considérable. Il est vrai que l'Irlande ne possède que peu de richesses minérales, mais celles que l'on y trouve auraient pu être mieux utilisées. Dans ses pyrites de fer, elle possède le soufre, l'élément qui est la base de toutes les industries chimiques, celle de la soude, des acides, du verre, des engrais artificiels, du savon, des chandelles, du phosphore, etc. Comme territoire capable d'élever plus de bétail à cornes et de moutons, on y trouve la base des industries de la laine et des cuirs. Le climat est si favorable à la filature du coton,

(1) Lettres sur l'éducation primaire et technique. Edimbourg, Edmonston et Douglas, 1870.

par suite du plus grand rendement probable, avec la même somme de travail, qu'il est à supposer que la cherté du combustible se trouverait plus que compensée. Si nous avions une population instruite, non pas seulement des premiers éléments, comme dans nos écoles primaires, mais des données secondaires de la science et de l'art relatives à la poursuite des occupations industrielles, on ne sait quel développement pourraient prendre les manufactures, car les matières premières n'ont maintenant qu'une faible valeur, comme élément de production, comparativement à l'habileté et à l'intelligence qui peuvent leur donner de l'utilité.

Certains obstacles s'opposent à ce que l'Irlande devienne un grand pays industriel, mais c'est à tort que l'on a prétendu qu'ils se trouvent dans l'absence du combustible et le manque de capital. La proximité des bassins houillers du pays de filles et de l'Écosse donne à l'Irlande d'énormes avantages sur la plupart des autres pays d'Europe. Avec 18 millions sterling de capital déposé dans les banques d'Irlande à 1 0/0 d'intérêt annuel, avec des capitaux que l'on peut obtenir facilement à 2 1/2 0/0, il est absurde de vouloir expliquer l'absence de manufactures par le manque de capital. Il faut remarquer, en outre, que l'industrie crée le capital, et que le capital ne crée pas l'industrie. Dans les temps passés, ce n'a pas été le manque de bras qui a empêché le développement de l'industrie, car ils étaient nombreux et à bon marché. Il y a là, aujourd'hui, une certaine difficulté, parce que l'élève du bétail, remplaçant la culture des céréales, a réduit le chiffre de la population. et rendu le travail manuel plus rare et plus cher. Mais une meilleure entente du propriétaire et du fermier remédierait bientôt à cet inconvénient en améliorant l'industrie agricole.

Pendant des siècles de mauvaise administration, nous avons appris aux Irlandais à ne s'occuper que d'agriculture et à regarder l'industrie manufacturière comme devant leur rester étrangère. C'est là le principal obstacle à la prospérité future de l'Irlande. Il n'en était pas ainsi autrefois. Les marchands irlandais adressèrent, il y a deux cents ans, une triste réclamation au gouvernement anglais, qui se terminait ainsi : « Les manufactures irlandaises sont peu nombreuses..., cependant l'existence d'un grand nombre des plus nécessiteux de nos concitoyens dépend entièrement de leur maintien; nous ne pouvons vivre d'air, pas plus que les Anglais eux-mêmes. » Ils réclamaient contre la protection prohibitive, et un de leurs habiles défenseurs s'exprimait comme suit : « Il nous est plus permis de planter du poison que d'établir des manufactures... Si, au lieu d'être prohibées, les manufactures étaient encouragées, la population s'accroîtrait, nos terres reprendraient leur valeur, et

le commun du peuple, accoutumé au travail, secouerait l'ancienne barbarie irlandaise, car l'industrie est le premier pas vers la civilisation, et le meilleur gage de tranquillité pour le gouvernement. » On ne pourrait rien dire de plus juste aujourd'hui sur l'état de l'Irlande. Il est vrai que les lois de protection ont été abolies depuis quelque temps, mais cela ne date pas d'assez loin pour que le châtiment du péché des pères ne retombe pas encore sur les enfants. On ne forme ni on ne change en un jour les habitudes d'une nation. Quand elles sont formées, elles sont comme le poids mort d'une machine, dont il faut toujours tenir compte quand on veut y apporter quelque perfectionnement. Nous ne pouvons espérer, certainement, que l'Irlande sera toujours contente et heureuse quand nous lui aurons importé une branche quelconque d'industrie. Suivant nous, le seul moyen d'ouvrir de nouvelles voies de prospérité de l'Irlande est d'accoutumer les Irlandais à compter sur l'industrie manufacturière autant que sur l'industrie agricole. Cette direction dans la recherche d'occupations productives peut être imprimée par un large enseignement technique. Les classes ouvrières irlandaises ont montré une singulière facilité à s'approprier les connaissances scientifiques et artistiques, et un enseignement judicieux pourrait les rendre aptes à la poursuite des industries qui sont basées sur leur application. Nous avons montré ailleurs que d'autres pays, plus pauvres et moins prospères que l'Irlande, sont devenus, depuis une demi-génération, plus heureux et plus tranquilles par l'introduction de manufactures parmi des populations agricoles. Mais c'est que leurs gouvernements avaient la sage conviction qu'une plus haute éducation technique était le seul moyen de permettre aux populations d'entrer en concurrence avec les autres nations, tandis que nos gouvernants, dépourvus de cette conviction, minquent de la sage initiative qui produit d'aussi désirables résultats.

D'L. PLAYFAIR,

membre du Parlement.

Traduit par T.-N. BENARD (4).

(1) Fait partie d'un volume de mélanges par divers, intitulé: Recess Studies, edited by sir Alexander Grant; Edimbourg, Edmonston and Douglas, 1870, un vol. in-8.

RÉSUMÉ ANALYTIQUE

DE L'ENQUÊTE PARLEMENTAIRE

SUR LE RÉGIME ÉCONOMIQUE:-INDUSTRIE DU COTON.

SOMMAIRE.

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RÉGION DU NORD (suite) (1).

SÉANCE DU MERCREDI 11 MAI (2).

Déposition de M. G. Denis, filateur et tisseur dans la Mayenne. Reproduction sur l'admission en franchise et l'insuffisance des tarifs, des plaintes déjà formulées.-Écarts notables constituant notre fabrique à l'état d'infériorité envers l'Angleterre. Système de tarification proposé. Observation de M. Gaillard sur les avantages de la spécialisation en Angleterre. Dépositions écrites de MM. Waddington père et fils, filateurs (Eure-etLoir); Burel, Sevaistre frères, ve Aug. Vy, également filateurs dans l'Eure; Hitzinger, Duboscq frères, Tricot frères, tisseurs à Rouen; Cantel, même ville, fabrique de toiles-cuirs; Desgenétais frères, filateurs; Bons, lamier dans la Seine-Inférieure ; Bonnet-Allion, filateur à Cholet (Maine-et-Loire): Vétillart, Quantin et C, filateurs dans la Sarthe, et Glatard frères, filateurs dans le Loiret. Chambres de commerce de Fécamp, de Roanne, et chambre consultative des arts et manufactures de Bolbec. Communication annexe de M. Octave Fauquet, avec tableaux à l'appui. Résumé de ces déclarations : Insuffisance généralement proclaméc des tarifs actuels dans le tissage et la filature; avis en sens contraire de la Chambre de Roanne. Admission temporaire en franchise repoussée par la plupart des déposants; le drawbach pourrait y suppléer au besoin. Critique de la loi de 1866, modificative du système colonial. - Filés étrangers arrivant en petite quantité. - Avantages que présente le petit atelier industriel agricole sur les grands centres de fabrique. - De la spécialisation en Angleterre. -Écarts précisés par M. Fauquet.

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Déposition de M. Gustave DENIS, filateur et tisseur à FontaineDaniel (Mayenne); le déposant, qui exploite une filature de 8,200 broches et 200 métiers à tisser, se présente, en outre, au nom de plusieurs filateurs du même département.-Il reproduit, quant à l'in

(1) Voir pour le commencement de la région du Nord, le no de mars, XXI, p. 398; et pour la région de l'Est, le n° de janvier et février, XXI, p. 21 et 232.

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(2) V. page 461 et suiv., 7 fascicule.

suffisance des tarifs et aux admissions temporaires, les griefs formulés précédemment. Cette insuffisance s'expliquerait par de notables écarts dans le prix de revient, tant sous le rapport de la matière première que des autres éléments du coût de la production, tels que le prix de la main-d'œuvre, les frais généraux, les comptes d'intérêt et d'amortissement. En premier lieu, le coton reviendrait plus cher en France qu'en Angleterre, où les frais de transport et de commission sont loin de tenir autant de place. Aussi le marché du Havre serait-il notablement distancé par celui de Liverpool. Quant au combustible, l'écart est considérable, et ressortirait à 20 et 25 fr. par tonne. Pour ce qui est de la main-d'œuvre, si les choses se nivèlent approximativement entre Rouen, Paris et Manchester, il faut dire que l'ouvrier anglais constitue le patron en bénéfice relativement plus élevé que chez nous. Les employés sont généralemeut mieux payés qu'en Angleterre; cela tient à ce que l'atelier français est d'un gouvernement plus difficile quant à l'ouvrier (?). Enfin, les comptes d'intérêt et d'amortissement se chiffrent à un taux supérieur de ce qui existe chez nos voisins. On admet en Angleterre que le prix de revient de la broche n'excède pas 30 fr., alors que chez nous il n'est pas moindre de 50 fr.; le déposant a établi à 49.67 par broche le prix de sa propre filature.

De tous ces écarts dans le prix de revient, résulte en somme une différence s'élevant à 36 c. par kilog. dans la filature. Pour niveler les prix, M. Denis se joint à la Normandie et demande avec elle qu'on gradue de cinq en cinq numéros les nouveaux tarifs jusqu'au n° 40 inclusivement, au lieu d'échelonner de dix en dix suivant ce qui existe actuellement. Il présente à l'appui un système gradué de tarification. Du reste, il ne s'oppose pas à ce que, si l'imprimeur ne peut exporter sans jouir de l'admission temporaire, on lui accorde le bénéfice d'un drawbach spécial.

Cette déposition, fort écoutée, donne lieu à M. Gaillard, filateur et tisseur, d'insister sur les avantages que procure aux Anglais, tant au point de vue du salaire que de la constitution de grands ateliers, faisant toujours « les mêmes articles » la spécialisation sur laquelle on a déjà longuement insisté.

DÉPOSITIONS ÉCRITES.

MM. WADDINGTON frères et fils, filateurs à Saint-Remy-sur-Avre (Eure-et-Loir); BUREL, filateur à Montfort-sur-Risle (Eure); SEVAISTRE frères, filature de Bernay; Ve Augustin Vv, à Serquigny (Eure); HITZINGER, à Saint-Philpert-sur-Risle, et DUBOSCO frères, à Rouen, tissages mécaniques; CANTEL, fabrique de toiles-cuirs, à Rouen; TRICOT frères, tisseurs à la main, même ville; DESGENETAIS

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